Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bauhaus (suite)

En 1910, Walter Gropius*, qui a été chef d’agence chez Behrens, soumet au même Rathenau un projet de société pour la fabrication en série de maisons entièrement équipées, abordant ainsi un problème qu’il proposera par la suite comme thème de recherche au Bauhaus. Il participe également aux discussions qui, au sein du Werkbund, opposent Henry Van de Velde, resté attaché à l’idée de l’œuvre unique, expression directe de la personnalité du créateur, et Hermann Muthesius (1861-1927), pour lequel le seul problème actuel est celui du prototype destiné à être reproduit en grande série. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’exposition du Werkbund à Cologne fournit à Gropius et à son associé Adolf Meyer (1881-1929) l’occasion d’une réalisation spectaculaire (une usine modèle). Aussi, lorsqu’en 1914 Van de Velde est amené à démissionner, c’est à Gropius qu’il propose de prendre sa succession à la tête de l’école d’Art appliqué de Weimar, qu’il avait rénovée à l’instigation du grand-duc de Saxe. Dès 1915, Gropius fait à l’administration grand-ducale des propositions en vue de la réorganisation de cette école. Il faut attendre la fin des hostilités pour que suite puisse être donnée à ce projet.


Idée et structure

Non moins que par les vicissitudes politiques, l’histoire du Bauhaus a été marquée par l’évolution de l’idée même dont le Bauhaus est issu. Cette idée, Gropius l’avait formulée en 1919 en termes quasi médiévaux, invitant tous les arts à collaborer, comme sur les chantiers des cathédrales, dans la perspective de l’« œuvre bâtie » (Bau) collective, « fin et raison d’être de toute création de formes », et à reprendre conscience de leur commun enracinement dans l’artisanat. Aussi, dans chacun des ateliers, dans lesquels l’« apprenti » est admis après avoir été initié aux « aspects élémentaires de la forme et du matériau » (Vorlehre), l’enseignement est donné simultanément par un artiste, chargé de la partie théorique (Formlehre), et par un artisan, qui assure la formation pratique (Werklehre). Au nombre de sept, ces ateliers se consacrent chacun à une technique : pierre (sculpture), bois (menuiserie), métal (ferronnerie), terre (céramique), verre (vitrail), textile (tissus), couleur (fresque). Au terme de sa formation en atelier de spécialité, le « compagnon » peut être admis à préparer la maîtrise dans un atelier de synthèse, où il reçoit un complément de formation théorique et scientifique ainsi qu’un enseignement concret très poussé, puisqu’il est associé à l’étude et à l’exécution de programmes réels de construction (Baulehre). Artisans et artistes, maîtres et simples exécutants reçoivent donc une formation commune, créant entre eux une communauté de langage et de pensée.

Le schéma d’organisation des études ne fut guère remis en question avant le départ de Gropius, mais l’idée de retour à l’artisanat fut vivement contestée dès 1921-22 par une partie des étudiants, qui voyaient en elle un anachronisme. Aussi, à l’occasion de la « Semaine » de 1923, Gropius, tout en affirmant la valeur pédagogique permanente de l’apprentissage d’un métier de type traditionnel, affirme que la machine est désormais au centre des préoccupations du Bauhaus et lance un nouveau mot d’ordre : « l’art et la technique, une nouvelle unité ». Cette formule provoqua elle-même de violentes réactions, cette fois de la part des maîtres. Ceux-ci, en effet, peintres pour la plupart, s’insurgent contre l’assimilation de l’œuvre d’art au produit industriel. Le conflit entre « artistes » et « industriels » ne sera jamais résolu au Bauhaus : autant que les antagonismes politiques, il pèsera sur la suite de son histoire. La collaboration avec l’industrie ne manquera pas du reste d’avoir elle-même des répercussions politiques, les étudiants de gauche accusant la direction de faire du Bauhaus un simple bureau d’études esthétiques au service de quelques grandes entreprises capitalistes.

Les corrections apportées par Hannes Meyer au plan d’études, en 1928, firent perdre à la pédagogie du Bauhaus une part de son originalité, mais accrurent son efficacité. En outre, plus encore qu’en 1925-26, lors de la construction des bâtiments de Dessau, les ateliers furent alors appelés à collaborer à une grande entreprise collective, la réalisation de l’école de cadres de la Confédération des syndicats allemands à Bernau, près de Berlin, attribuée par concours à Hannes Meyer. Les inévitables attaques vinrent cette fois-ci de droite, dirigées contre un engagement politique que Hannes Meyer, moins diplomate que Gropius, ne sut ou ne voulut pas éviter.


Les ateliers et le Vorkurs

Pendant les premières années de Weimar, la pénurie de moyens et d’équipement, aggravée par les insuffisances techniques et les incertitudes esthétiques, ne permit guère qu’un bricolage hésitant. Aussi est-il naturel que ce soit l’atelier de céramique (Gerhard Marcks [né en 1889], Otto Lindig) qui ait eu, durant cette période, la production la plus abondante et la plus achevée. En revanche, les meubles qui sortent alors de l’atelier de menuiserie sont, pour la plupart, assez gauches : le simplisme des assemblages, la lourdeur des formes schématiques, un bariolage cru, une allure générale primitiviste trahissent l’inexpérience autant que les contradictions des sollicitations expressionniste et néo-plastique, qui s’exercent conjointement. Seuls le mobilier dessiné par Gropius pour son propre bureau et quelques meubles isolés dus à Albers ou à Breuer tranchent, par leur équilibre et leur réserve, sur une production dans l’ensemble incertaine. C’est seulement à Dessau, lorsque Breuer*, passé « maître », aborde de front le problème du mobilier industrialisé, que l’activité de l’atelier d’ameublement prend une signification historique.

La production de l’éphémère atelier du vitrail fut à peu près nulle, mais le fait même que cet atelier ait été créé mérite d’être relevé. Cette création se situe en effet au point de rencontre de deux recherches indépendantes. D’une part, dès avant 1914 (v. der Blaue* Reiter), des peintres, tels Marc, Macke, Klee* lui-même — sous l’influence à la fois de Robert Delaunay et du Néerlandais Johan Thorn Prikker (1868-1932), un des artisans de la renaissance du vitrail —, avaient posé le problème de la couleur-lumière. D’autre part, dans les mêmes années de l’avant-guerre, l’« architecture de verre » des premiers architectes expressionnistes (Bruno Taut [1880-1938]) supposait l’emploi non de vitrages incolores, mais de structures à facettes dans lesquelles étaient sertis des losanges de verre multicolore, tirant de la lumière des harmonies mouvantes comparables à celles des vitraux des cathédrales. Ces recherches sur le vitrail semblent bien avoir été à l’origine de l’idée des projections lumineuses colorées — indépendantes du cinéma abstrait — de Kurt Schwerdtfeger (1897-1966) et de Ludwig Hirschfeld-Mack (né en 1893), dans lesquelles on peut voir des incunables du lumino-cinétisme (v. cinétique [art]).