Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Le baroque germanique

La grande époque du baroque germanique est le xviiie s. (v. Allemagne et Autriche). Au siècle précédent, en effet, la guerre de Trente Ans épuise les ressources de tout le pays, et c’est seulement dans la dernière décennie qu’une intense fièvre de construire saisit abbés et évêques, princes petits et grands. Cependant, séparée seulement par les Alpes, qui n’ont jamais dressé une barrière infranchissable aux courants artistiques, l’Italie a déjà envahi les pays du Danube par l’intermédiaire de ses architectes et de ses décorateurs, Santino Solari (ou Solario) [1576-1646] à Salzbourg* (cathédrale), Carlo Lurago (v. 1618-1684) à Passau (cathédrale), Enrico Zuccalli (v. 1642-1724) à Munich* (Théatins). Le parti de ces édifices, variation sur le thème du Gesù, est repris par une école de maîtres maçons autochtones, dont le centre est situé dans le Vorarlberg. Ils construisent des églises d’un bel équilibre intérieur, au décor en stuc un peu lourd (Obermarchtal en Souabe). C’est le « Hochbarok » des historiens allemands.


Prague et Vienne

Dans le domaine des Habsbourg, la Bohême (v. Tchécoslovaquie) va montrer la voie. Dès la fin du xviie s., Prague* devient une des plus prestigieuses villes baroques, tant par ses palais, où interviennent d’abord des Italiens (Francesco Caratti [actif entre 1652 et 1677] au palais Černin), que par ses églises : le berninisme est introduit par un Bourguignon, Jean-Baptiste Mathey (v. 1630-1695) [église des Croisés à Prague et château de Trója]. Le grand créateur du baroque bohémien, Christoph Dientzenhofer (1655-1722), vient de Bavière ; ses deux frères Georg et Johann, son fils Kilian Ignaz (1689-1751) comptent aussi dans l’histoire de l’architecture. Christoph Dientzenhofer conjugue les leçons de Guarini et de Borromini et tire des combinaisons ingénieuses et inédites du voûtement et de l’élévation de ses édifices, dont l’espace intérieur est diversifié à l’infini et assoupli par l’emploi préférentiel de la ligne courbe (église du couvent de Břevnov). En province, un artiste curieux, Giovanni Santini Aichel (1667-1723), construit des églises d’abbaye et de pèlerinage, n’hésitant pas à reprendre la voûte à nervures.

L’autre capitale des Habsbourg, Vienne*, une fois débarrassée des Turcs, se couvre de palais et d’églises grâce aux talents rivaux de Johann Bernhard Fischer von Erlach (1656-1723) et de Johann Lukas von Hildebrandt (1668-1745), le premier plus hanté par la majesté de l’antique, comme dans la grande église votive de Saint-Charles-Borromée, le second plus mouvementé et borrominien (palais Kinsky, Belvédère). En province, les grandes abbayes se reconstruisent, et Jakob Prandtauer (1660-1726) dresse fièrement au-dessus du Danube la façade contrastée de Melk.

Si la peinture, à quelques exceptions près, n’est pas au niveau de ces créations architecturales, la sculpture par contre est représentée par des talents vigoureux et personnels, Ferdinand Maximilián Brokov (1688-1731) et Mathias Braun (1684-1738) en Bohême, G. Raphael Donner (1693-1741) en Autriche.


Abbayes, pèlerinages et résidences princières

Au début du xviiie s., la Franconie profite de la leçon de la Bohême voisine. Johann Dientzenhofer (1663-1726) déploie, comme son frère, les arcs obliques, les triangles sphériques et les tribunes ondulantes à l’église abbatiale de Banz, tandis qu’au château de Pommersfelden il imagine l’escalier baroque le plus monumental avant ceux de B. Neumann. Toute l’Allemagne du Sud entre Alpes et Danube se couvre alors d’églises, dont les moins originales ne sont pas ces églises de pèlerinage qui adoptent volontiers des plans insolites, variations sur le plan centré, et des présentations intérieures spectaculaires. Les principaux créateurs sont les frères Asam*, décorateurs plus qu’architectes (Weltenburg, Rohr, Johann-Nepomuk-Kirche à Munich), Dominikus Zimmermann (1685-1766), introducteur de motifs rocaille (Steinhausen, Wies), Johann Michael Fischer (1692-1766), plus sévère (Zwiefalten, Ottobeuren) et J. Balthasar Neumann*, génial inventeur de formes (Vierzehnheiligen, Neresheim), dont l’œuvre civile est tout aussi importante (châteaux de Werneck et de Würzburg, escaliers monumentaux de Bruchsal et de Brühl).

Le xviiie s. voit princes, laïcs et ecclésiastiques rivaliser pour se faire construire des résidences qui s’inspirent, a-t-on un peu trop prétendu, de Versailles, de Marly ou de Trianon, en vérité plus par le traitement du site que par la structure architecturale et le décor. C’est toutefois un homme de formation française, François de Cuvilliés (1695-1768), qui prend la première place à Munich auprès de l’Électeur de Bavière, important une rocaille exquise (Amalienburg à Nymphenburg, théâtre de la Résidence). Nicolas de Pigage (1723-1796) et Philippe de La Guêpière (v. 1715-1773), également de formation française, jouent le même rôle respectivement auprès de l’Électeur palatin et du duc de Wurtemberg.

Le néo-classicisme apparaît plus tard qu’en France, à partir de 1780, au moment où les assises sociales du Saint Empire commencent à se désagréger.

Un peu en marge de ce vaste domaine, la Pologne* connaît les mêmes phases : au xviie s., introduction du berninisme romain, avec des Italiens comme Jan et Jerzy Catenaci et un Hollandais, Tylman z Gameren (v. 1632-1706). Au xviiie s., sous les rois saxons, les grandes abbayes se reconstruisent selon des modèles germaniques, et les magnats se font bâtir des résidences à la campagne. Les souvenirs baroques restent nombreux à Cracovie*.

La Saxe protestante présente ce paradoxe de posséder le plus baroque des ensembles d’architecture civile : le Zwinger à Dresde*, dont Matthäus Daniel Pöppelmann (1662-1736) donna les plans et dont l’exécution est due pour une large part au grand sculpteur Balthasar Permoser (1651-1732). Il n’est pas le seul dans l’Allemagne méridionale d’alors ; d’excellents modeleurs de stuc émergent, Josef Anton Feuchtmayer (1696-1770) et surtout Ignaz Günther*. Parmi les peintres, le seul digne d’être cité a transposé Tiepolo dans une gamme acide, c’est Franz Anton Maulbertsch (1724-1796). En réalité, la médiocrité des fresquistes rococo se fait oublier dans la symphonie créée par les lignes ondulantes des membres d’architecture, les jeux complexes des ornements de stuc, les accents forts des groupes, des statues, des colonnes et des balustrades, tout cela dans la clarté joyeuse que les larges et hautes baies diffusent sur les couleurs tendres, rose, vert pâle et bleu azur d’un monde où la mystique se veut allègre, dont les programmes théologiques sont d’ailleurs fortement articulés et qui évoque, pour le fidèle émerveillé, plus l’Église triomphante du paradis des saints et des anges que l’Église militante et souffrante.