Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

baroque (suite)

Baroque churrigueresque et art monarchique

Au xviiie s., le baroque espagnol est communément classé sous le nom de « style churrigueresque », en raison de l’importance attribuée à la famille des Churriguera*, dont le représentant le plus important fut José, souvent aidé par ses deux frères. Ce sont des sculpteurs de retables d’origine catalane, qui se haussent parfois au rôle d’architecte. Un peu abusivement, on leur fait honneur de la dernière phase, particulièrement profuse, des décors intérieurs d’église, qui se traduit par une sorte de grouillement dévorant la structure. En fait, José Churriguera, comme on peut le constater au retable de San Esteban à Salamanque, a le souci d’articuler fortement son décor, ce qui ne sera pas le cas de certains de ses émules. Les Figueroa jouent en Andalousie le rôle tenu par les Churriguera dans le nord de la Péninsule. C’est au xviiie s. seulement que Séville* s’ouvre grâce à eux au baroque. Francisco Hurtado Izquierdo (1669-1725) construit et décore d’extraordinaires sacristies et chapelles du saint sacrement, avec des matières précieuses et une virtuosité dans les assemblages de motifs géométriques qui rappelle les contacts profonds de l’Espagne avec l’art musulman (chartreuse d’el Paular). À Tolède, le célèbre « transparent » de la cathédrale, dû à Narciso Tomé (actif entre 1715 et 1742), est conçu selon un principe berninien : la source lumineuse, invisible, diffuse une clarté mystérieuse avec des effets de contre-jour, une Cène sculptée semble planer dans les airs, portée par une gloire et un grouillement d’anges. Pedro de Ribera (v. 1683-1742) et Teodoro Ardemans (1664-1726) travaillent pour la Cour et les grands, et ils aiment eux aussi les accumulations, par exemple dans leurs catafalques, qui sont encore plus chargés qu’en Italie. Car, dans l’art baroque, la Mort, elle aussi, devient spectacle, avec tout un répertoire macabre.

Le règne de Philippe V (1700-1746) introduit l’influence française, plus sensible dans le mobilier et les jardins que dans les constructions et la peinture. C’est d’ailleurs à l’architecte italien Juvara que le roi d’Espagne fait appel pour son palais de Madrid. Ce vaste édifice rappelle étrangement le second projet présenté par le Bernin à Louis XIV pour la transformation du Louvre, et repoussé au profit de la sage colonnade actuelle : lointaine revanche du baroque romain ! C’est d’ailleurs l’aspect le plus baroque de la statuaire des jardins de Versailles et de Marly que l’on a repris dans le parc d’un autre palais, celui de la Granja, par Ardemans. On fait appel à des artistes étrangers, Italiens, Français et même Allemands, tels Konrad Rudolf (actif entre 1701 et 1732 ; grand portail de la cathédrale de Valence) et, à la cour de Portugal, ce João Frederico Ludovice, alias Ludwig (actif entre 1701 et 1752), constructeur de l’énorme monastère de Mafra.


Le baroque au Portugal

Il existe un type de façade baroque pour les églises lusitaniennes, en largeur, avec des frontons ou des pignons ondulants et volontiers interrompus, le contraste entre le crépi blanc du mur nu et le granit des bandeaux soulignant baies et arêtes. Ce type connaît une particulière fortune dans le Nouveau Monde, au Brésil.

La mode de la céramique, de l’« azulejo » si chère au Portugal*, se transporte aussi outre-Océan.

Au Portugal encore, l’art de cour, ou plus exactement l’urbanisme monarchique se manifeste avec éclat à la faveur d’une catastrophe, le tremblement de terre qui détruit Lisbonne* en 1755 : le ministre Pombal veut de l’ordre et de vastes perspectives (place du Commerce).


Le baroque colonial

En traversant l’Atlantique, le baroque ibérique subit maintes altérations et mutations, il devient le baroque « colonial », qui lui-même présente, selon la région et selon l’époque, des aspects divers. On peut noter cependant quelques constantes : dans l’architecture religieuse, qui prédomine plus encore que sur le vieux continent, la préférence est donnée à la façade encadrée de deux tours, qui s’écarte donc du type romain et reprend un parti gothique ; sur les croisées de transept, on retrouvera souvent une coupole qui rappelle les « cimborios » espagnols plus que les dômes italiens. Les architectes et maîtres d’œuvre viennent souvent de la métropole, de l’Andalousie surtout, où se trouvent les ports ; mais l’internationalisme des ordres missionnaires explique la présence d’artistes étrangers : Italiens, Allemands, Flamands entre autres, si bien que l’art de l’Amérique latine n’est pas uniquement la transposition de l’art espagnol et que, à la fin du xviiie s., on y trouve des échos assez inattendus du rococo germanique. Enfin, les colons s’installent chez des peuples qui ont des traditions artistiques parfois fort originales et y recrutent des artisans : la production des maîtres autochtones ne doit pas tout à l’art occidental, et, dès le xviie s., l’art indigène transparaît dans le décor.

L’art baroque d’Amérique, en fin de compte, se différencie bien par rapport à celui de l’Europe, et d’ailleurs il fleurira plus longtemps, car les colonies américaines se replieront sur elles-mêmes au moment où les nations occidentales entreront dans l’ère des bouleversements révolutionnaires, et alors que l’assaut du néo-classicisme n’aura pas eu le temps de se répercuter outre-Atlantique.

Au Mexique* (Nouvelle-Espagne), les architectes du xviie s. aiment dresser à la façade des églises (Puebla, Oaxaca, Mexico*) trois ordres de colonnes, mais les membres d’architecture sont entièrement recouverts d’une sorte de tapisserie sculptée qui semble ronger la pierre. En très faible relief, cette ciselure se compose de motifs géométriques ou floraux, généralement très stylisés et d’une exécution assez grossière ; elle a tendance à envahir tout, intérieur comme extérieur, taillée dans la pierre, modelée dans le stuc, et l’on a pensé y retrouver le souvenir de la sculpture précolombienne. Il est certain qu’à des ornements sans patrie se mêlent des motifs et des figures autochtones. Au début du xviiie s. s’épanouit avec insistance la mode des « estipites », tant aux façades d’églises que dans les retables. Il s’agit de sortes de balustres très compliqués qui font fonction de colonnes ; l’origine est métropolitaine, mais le développement obsédant de la formule appartient bien au Nouveau Monde. Certaines églises, Taxco, Ocotlán, Tepotzotlán, se distinguent par un élan irrésistible en hauteur.