Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Barbares (suite)

Les Barbares à la veille des grandes invasions

C’est à cette époque, où les populations germaniques ont à peu près occupé les positions d’où elles partiront à l’assaut de l’Empire romain, qu’il est enfin possible de décrire avec quelque exactitude le monde barbare européen, dès lors organisé en grande confédération militaire.

À l’est, les Goths, ou Germains des steppes (auxquels se rattachent les Hérules et les Gépides), sont essentiellement des cavaliers vivant d’élevage nomade. Ils se subdivisent en deux grands ensembles politico-militaires : d’une part, celui des Ostrogoths, implantés entre la Volga et le Dniepr, et fortement soumis à la pression des peuples iraniens de race blanche, vivant entre le Caucase, le Don et la Volga (Scythes, Sarmates et Alains) ; d’autre part, celui des Wisigoths, localisés entre le Dniepr et le bas Danube, d’où ils menacent plus directement les provinces romaines des Balkans.

En Europe centrale, les Vandales, implantés sur le Danube moyen, sont voisins des Suèves, qui sont localisés sur l’Oder, où ils jouxtent les Lombards, dont les positions territoriales se situent entre l’Elbe inférieur et la Vistule inférieure ; ils voisinent avec les Alamans, établis dans les champs Décumates, avec les Burgondes, qui bordent le cours moyen du Rhin, tandis que les Francs se fixent sur le cours inférieur de ce fleuve. Étant pour la plupart des Germains de la forêt — notamment les Francs et les Burgondes —, ces populations vivent essentiellement de chasse, de cultures, d’élevage et du travail du bois.

Enfin, les Germains de la mer (Jutes, Angles, Saxons et Frisons), qui bordent le littoral de la mer Germanique (actuelle mer du Nord), depuis le Skagerrak jusqu’au Rhin inférieur, se consacrent moins à l’élevage des bœufs qu’à la pêche, au commerce et surtout à de fructueuses opérations de piraterie, dont sont victimes les habitants de la Bretagne et de la Gaule du Nord-Ouest.

Opposées par leur genre de vie, ces populations présentent néanmoins quelques traits communs qui soulignent leur originalité face à l’Empire romain, auquel elles sont confrontées. Ces traits les rapprochent d’ailleurs des Barbares des steppes asiatiques ou des déserts du Proche-Orient et d’Afrique, confrontés parallèlement aux Empires chinois, sassanide, voire même romain.

Ignorant la notion d’État, étrangers au phénomène urbain, les Germains organisent leur vie sociale et politique dans le cadre de la famille et de la tribu ainsi que dans la soumission absolue à l’autorité du chef. Cette autorité est d’abord celle du père : celui-ci détient le droit de répudier sa femme en cas d’adultère ; il remet à ses fils âgés de douze à quinze ans la framée et le bouclier, symboles de leur entrée dans le monde des guerriers ; il reste, jusqu’à sa mort, responsable des fautes et des dettes de ces derniers ; il porte enfin, collectivement avec les siens, la lourde charge de payer ou de faire payer le prix du sang (wergeld), en vertu du droit de vengeance (faida) et du principe de la responsabilité collective, qui rend solidaire chaque famille des fautes et des crimes dont il est responsable ou victime.

Cette autorité est ensuite celle du chef de guerre, issu le plus souvent d’une famille à laquelle les Barbares attribuent une origine divine (les Amales chez les Ostrogoths, les Mérovingiens chez les Francs Saliens), mais au sein de laquelle les hommes libres se réservent primitivement le droit de choisir par procédure acclamatoire le plus digne de les conduire au combat.

Société d’agriculteurs ou d’éleveurs soldats vivant sous la tente dans les steppes ou dans des maisons en bois ou en pisé dans la zone des forêts, se faisant souvent aider dans leurs activités manuelles par des esclaves recrutés parmi les prisonniers de guerre ou les débiteurs insolvables, les Barbares sont également fort habiles dans l’art de la poterie et surtout dans celui de la métallurgie. Les Germains, notamment, passent maîtres dans l’art de l’orfèvrerie cloisonnée à décoration zoomorphique (art des steppes) et surtout dans celui de durcir l’acier par l’azote, ce qui assure à leurs épées longues une puissance de frappe très supérieure à celle du gladium romain.

Étant d’abord des combattants, les Barbares adorent avant tout les forces de la nature, qu’ils se représentent sous la forme de dieux guerriers se disputant la maîtrise du monde.

Wotan, dieu du Commerce, mais aussi des Combats et des Tempêtes, et Donar, dieu de la Foudre, prennent ainsi place au premier rang des divinités germaniques aux côtés de Herta (Nerthus), déesse de la Fécondité, et de Freyja, déesse de l’Amour et du Foyer.

Malgré la vigueur de ce polythéisme, l’évêque goth Ulfilas (v. 311 - v. 383) parvint à convertir les Goths, puis les Gépides, les Vandales, les Ruges, les Alamans et finalement les Lombards à la forme arienne du christianisme, dont la simplicité doctrinale (v. Arius) les rendra impénétrables au christianisme orthodoxe, au contraire des Francs, restés plus longtemps païens.


À l’assaut de l’Empire romain

À l’extrême fin du ive s. et au début du ve, ces peuples repartent à l’assaut de l’Empire romain et finalement en brisent la résistance, tout au moins à l’Occident.

Les causes d’un tel mouvement sont multiples. Il est possible qu’une dégradation de climat ait chassé les pasteurs des hautes plaines eurasiatiques vers les riches plaines céréalières de l’Empire chinois ou de l’Empire romain, mieux aptes à nourrir leurs troupeaux, de même que le dessèchement de l’Afrique du Nord a lancé les nomades chameliers à l’assaut des positions romaines.

Plus certainement, une surcharge démographique, entraînant une surcharge pastorale des pâturages à rendement obligatoirement immuable, est à l’origine de la fuite en avant de ces peuples. En fait, ces deux explications ne s’excluent pas, mais se complètent et se renforcent même de l’esprit d’aventure qui anime ces peuples guerriers.