Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bamilékés (suite)

Les sociétés coutumières de la chefferie

Chez les Bamilékés, la considération s’attache avant tout à l’appartenance aux sociétés de la chefferie, dont chacune constitue un degré de promotion.

En dehors de la seule société réservée aux descendants des chefs, toutes les autres sont ouvertes aux deux catégories de la population avec des chances égales. La disposition des membres de la société par rapport au chef dans les réunions atteste le souci de constituer deux hiérarchies parallèles, avec correspondance de dignité et de considération.

L’entrée dans une société comporte des dépenses de prestige, d’autant plus lourdes que la société est plus considérée. L’héritier entre de droit dans toutes les sociétés dont son père faisait partie, mais, tant qu’il n’aura pu faire face aux dépenses de réception, il ne sera pas considéré comme notable, ni même reconnu officiellement comme héritier.

L’admission dans les sociétés les plus fermées est manifestée par des marques de prestige dans l’habitat (place de cérémonie, allée d’honneur, case ornée de poteaux).


La parenté, les deux modes de segmentation du patrilignage

Les Bamilékés comptent la parenté sur deux lignes, et chaque individu est relié à deux groupes : patrilignage et matrilignage.

• Le matrilignage. Il ne comporte aucun principe de groupement ni de résidence.

• Le patrilignage. Chaque individu désigne parmi ses fils un héritier unique qui dispose de tous ses biens, et également le remplace dans toutes ses activités. C’est ici qu’intervient une disposition fondamentale du système bamiléké : je suis relié à mon père et à mon grand-père paternel. Mais si je ne suis héritier ni de l’un ni de l’autre, les ancêtres plus éloignés ne peuvent exercer aucune action sur moi et je n’ai rien à attendre d’eux. Tout individu non héritier est regardé comme fondateur d’un nouveau lignage. Ces dispositions ont pour effet d’individualiser une ligne à l’intérieur du lignage, celle des héritiers successifs, et tendent à faire des liens entre ancêtres et descendants non une relation de groupe, mais une relation de personne à personne. C’est ce principe qui régit les fondements du culte des ancêtres et, par voie de conséquence, la structure des groupes et le comportement des individus.

Le patrilignage comporte un autre principe et un autre mode de segmentation. On admet en effet la persistance, entre tous les descendants en ligne paternelle d’un même ancêtre, d’un lien spirituel permettant d’accroître la force vitale de chacun, de lui donner force, chance et prospérité. Ici il y a segmentation dans le lignage, quand un individu est devenu notable, par l’appartenance à des sociétés coutumières de la chefferie, d’un niveau élevé.

Selon les groupements, l’accent est mis plus fortement sur le premier ou le second principe ; ce choix influe profondément sur la structure des groupes de parenté et leur emprise territoriale, c’est-à-dire sur le droit foncier.


Le chef et la terre

La coutume stipule que la terre appartient au chef. Celui-ci attribue aux habitants des concessions, transmissibles de droit aux héritiers successifs, mais ne pouvant, au moins en principe, faire l’objet d’aliénation. Quand un homme meurt sans héritier, la terre fait retour au chef.

En fait, la coutume a toujours admis le partage et la donation ; elle tolère de nos jours la vente entre habitants du même groupement, mais demeure foncièrement opposée à la vente à des étrangers, qui porte atteinte aux prérogatives du chef.


L’organisation des quartiers

Le mode de segmentation du lignage bamiléké réduit à l’extrême l’extension de ces groupes, qui réunissent rarement plus de 5 à 10 hommes adultes.

Cette faible extension a conduit à la constitution d’unités territoriales plus étendues, capables d’affirmer leurs droits sur le sol, d’élaborer une organisation du terroir et, autrefois, d’assurer leur défense contre l’ennemi. La population du quartier atteint, de nos jours, 500 à 2 000 personnes.

D’une façon générale, le quartier peut être défini comme le cadre à l’intérieur duquel se constituaient les classes d’âge.


Les classes d’âge

Il s’agissait en fait d’associations d’amis de même âge, plutôt que de classes d’âge au sens rigoureux du terme. En effet, bien qu’exerçant des fonctions religieuses dans le cadre du quartier, elles formaient des associations privées constituées de leur propre initiative et ne disposant d’aucun pouvoir. Les classes se constituaient à partir d’enfants du sexe masculin âgés de neuf à dix ans. Les adolescents ne recevaient aucune initiation à proprement parler ; ils pratiquaient des jeux guerriers et exerçaient un contrôle les uns sur les autres, punissant les paresseux et les retardataires, et ils développaient un lien de solidarité qui devait persister toute la vie. Le système des classes d’âge a été désorganisé vers 1935 par la scolarisation. La classe 1935, qui avait commencé quelques réunions, n’a pu se constituer, et a fortiori les suivantes. On observait en 1967-68 une tendance à la reprise de la tradition interrompue.


Le chef

Au cours de la longue période d’élaboration du système, chaque chef a créé une nouvelle société coutumière — c’est-à-dire, en fait, un nouveau conseil délibératif —, à laquelle il attribuait des pouvoirs. Par ce moyen, il faisait abandon d’une partie des siens ; dès avant l’époque coloniale, le chef bamiléké, abstraction faite des notions religieuses et magiques qui s’attachaient à sa personne, exerçait ses fonctions politiques davantage comme un président que comme un autocrate.

Depuis longtemps, le prestige et l’autorité des chefs avaient beaucoup souffert du rôle de percepteur d’impôts et d’organisateur de corvées qui leur était dévolu par l’administration coloniale. Au cours de la période troublée de 1958-1962, plusieurs chefs furent assassinés et la plupart des chefferies incendiées. On put croire que la fonction avait disparu.