Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Balmont (Konstantine Dmitrievitch)

Poète russe (Goumnichtchi, province de Vladimir, Russie, 1867 - Noisy-le-Grand 1942).


« Je suis venu dans ce monde pour voir le soleil. » Prédestination ou choix volontaire, Balmont est en effet le poète des « visions solaires » et des élans hardis. Considérant sous leur aspect primordial et simple états d’âme et forces de la nature, il s’adresse aux éléments d’égal à égal, se dit fils de la mer, du feu, apostrophe le vent :
Vent éternel, vent mon frère,
Vent des monts et des mers...,
et, s’abandonnant à la joie de vivre, chante l’amour passion et le plaisir des sens.

Des marins écossais ou scandinaves établis en Russie seraient à l’origine de sa famille du côté paternel. À cet atavisme, il faut sans doute rapporter le besoin d’ouverture sur le monde qui incitera Balmont à explorer les littératures et les contrées étrangères : il voyagera à lui seul plus que tous les autres écrivains russes pris ensemble. De sa mère, née Lebedeva, nom qui remonterait à celui de Bielyï Lebed, « Cygne Blanc », porté par un prince de la Horde d’Or, il avait hérité la personnalité forte et passionnée qu’elle devait à son ascendance tatare. Dès son adolescence, il eut une vie mouvementée, passant d’un lycée à un autre à la suite d’un renvoi pour appartenance à un cercle révolutionnaire. Étudiant, il est exclu de l’université de Moscou comme fauteur de trouble un an après son admission (1886). Vient ensuite une tentative de suicide : à vingt-deux ans, il se jette par la fenêtre d’un troisième étage. Des fractures diverses le retiennent une année au lit, mais, une fois rétabli, il éprouve, dit-il, une excitation intellectuelle et une joie de vivre extraordinaires.

C’est cet enthousiasme et l’amour extatique pour la poésie dont il s’accompagne qui, quelques années plus tard, frappent et conquièrent le jeune Valeri Iakovlevitch Brioussov (1873-1924) dès leur première rencontre au cercle des étudiants « amateurs de littérature occidentale ». Balmont a déjà publié des vers originaux, des traductions de Shelley et de Poe. Quant à Brioussov, il a vingt ans, l’ouvrage de Dmitri S. Merejkovski Sur les causes de décadence et les courants nouveaux dans la littérature contemporaine (1893) vient de lui faire découvrir Verlaine, et, avide de gloire littéraire, il essaie de percer en composant des vers dans le style « décadent ». La réunion terminée, au lieu de se séparer après les libations d’usage, les deux jeunes gens quelque peu éméchés errent jusqu’à huit heures du matin dans les rues de Moscou, dissertant de poésie et échafaudant des projets littéraires. Ainsi s’achève sur l’aube d’un nouveau mouvement littéraire cette nuit du 28 septembre 1894, où, auprès du poète qui, dès l’année suivante, s’affirme comme le représentant le plus authentique du premier symbolisme russe, est venu se ranger celui qui en sera le théoricien et l’organisateur.

Si à Brioussov revient surtout la défense de l’art poétique nouveau, Balmont en assure magnifiquement l’illustration. De 1895 à 1905, il publie sept recueils de vers qui lui apportent une immense popularité. En 1903, il est à l’apogée de sa gloire. Dans les cercles littéraires, où il se produit avec succès, on parle même d’une « ère balmontienne » de la poésie russe. Mais les adversaires aussi font entendre leur voix : ils dénoncent la manie de la grandeur, l’individualisme, poussé jusqu’à la déification du moi, d’un poète voulant être « comme le soleil qui ne vit que par lui-même » et autour duquel « se pressent des mondes qui lui appartiennent » ; ils se scandalisent d’entendre déclarer que l’art ignore le bien et le mal, et peut avoir également pour objet la victime et le bourreau. Égoïsme affiché, érotisme, cynisme même interviennent en effet chez Balmont comme chez Brioussov : ce sont les armes offensives dont use la nouvelle poésie pour s’affranchir des lieux communs utilitaires et humanitaires, et conquérir son indépendance. Abstraction faite de ces éléments polémiques, l’attitude fondamentale de Balmont est celle d’un homme libre qui connaît tous les replis de son âme, est attentif à toutes les manifestations de son moi et sait concentrer la plénitude de l’existence dans chacun des instants en lesquels la vie se décompose. Le symbole seul est capable de figurer la relation qui s’établit dans ces moments fugitifs entre le poète et le monde. Il naît de la rencontre de deux éléments : une abstraction cachée et une représentation concrète « organiquement et aussi naturellement associées que les eaux d’un fleuve se fondant harmonieusement, par un matin d’été, avec la lumière du soleil ». Quelle signification donner, par exemple, à l’image féminine vers laquelle vont les désirs du poète ? Avec ses yeux couleur de mer et son cœur infidèle, elle pourrait bien être le symbole du changement cher à son cœur, c’est-à-dire le symbole de la vie mouvante.

Balmont crée des rythmes nouveaux, diversifie la rime, répand une profusion d’allitérations et d’assonances comme nul poète russe n’avait fait encore. La poésie de Blok n’eût sans doute pas été possible sans la métamorphose du vers opérée par Balmont.

Émigré en 1920, Balmont a continué à produire, et dans des domaines très divers. L’histoire littéraire a reconnu sa place dans l’évolution de la poésie russe, mais la critique n’a pas encore porté à l’ensemble de son œuvre, très étendue, l’attention qu’elle mérite.

Œuvres de Balmont

Vers :

Sous le ciel nordique (Moscou, 1894) ;
Dans l’immensité (Moscou, 1895) ;
Édifices en feu (Moscou, 1900) ;
Soyons comme le soleil (Moscou, 1903) ;
Seulement l’amour (Moscou, 1903) ;
Liturgie de la beauté (Moscou, 1905) ;
Aurore boréale (Paris, 1931).

Prose :

les Cimes des montagnes (Moscou, 1904) ;
les Éclairs blancs (Moscou, 1908) ;
Phosphorescences marines (Saint-Pétersbourg - Moscou, 1910) ;
le Pays d’Osiris (Moscou, 1914).

A. G.

 C. Balmont, Quelques poèmes (Crès, 1916) ; Visions solaires (Bossard, 1923).