Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

ballet (suite)

Russie

Tandis que les langueurs du ballet romantique s’évanouissent, les centres d’intérêt chorégraphique se déplacent : Copenhague, Varsovie, Moscou et surtout Saint-Pétersbourg, où la pure tradition française fait école. Héritier du ballet de cour, le ballet, en Russie, dans la seconde moitié du xixe s., est avant tout une œuvre de circonstance. Le maître à danser français Jean-Baptiste Landet (ou Landé) est à l’origine de la fondation de l’école impériale de danse (1738). Pendant tout le xviiie s., les maîtres de ballet étrangers se succèdent à Saint-Pétersbourg (Hilferding, Angiolini, Le Picq). Une personnalité de tout premier ordre va éclipser ses devanciers : Charles Didelot (1767-1837), élève de Dauberval et de Vestris, le « plus grand chorégraphe après Noverre », qui a travaillé aux opéras de Paris et de Lyon. Pour lui, la virtuosité n’est pas une fin en soi ; il développe donc la technique tout en faisant une large part à la pantomime. Il réforme le costume, recherche des effets de mise en scène (féerie), collabore efficacement avec les musiciens et favorise l’essor de l’école de danse. À cette époque, la danseuse russe, contrairement à ce qui se passe en France, par exemple, tient une place plus importante que le danseur ; d’où la nécessité d’« inviter » des danseurs étrangers.

À Moscou, une autre école de danse est créée (1806). Malgré les différences d’école (rigueur, délicatesse, expressivité à Saint-Pétersbourg ; vie, chaleur, impétuosité à Moscou) — qui subsistent encore —, le corps de ballet de 1830 est excellent. La venue de Carlo Blasis en 1861 redonne un second souffle à la troupe du Bolchoï.

À Saint-Pétersbourg, le départ de Didelot (1829) marque le déclin du ballet, déclin qui grandira le triomphe de Maria Taglioni (1837). D’autres danseurs s’y succèdent : Marius Petipa (1847), Fanny Elssler et Jules Perrot (1848 à 1858), Carlotta Grisi (1850), puis Mazilier, Arthur Saint-Léon (1859 à 1869). C’est Marius Petipa* (1818-1910) qui va imposer sa forte personnalité. Élève de Vestris, collaborateur de Perrot, partenaire de Fanny Elssler, maître de Fokine, de Pavlova, de Karsavina, il est le véritable créateur du ballet russe contemporain. Auteur de cinquante ballets, il en remonte plus de soixante-dix d’auteurs divers. Il collabore étroitement avec des musiciens de qualité, tel Tchaïkovski (la Belle au bois dormant, 1890 ; Casse-Noisette, 1892 ; le Lac des cygnes, 1895).

À partir de 1885, le ballet s’installe au théâtre Mariinski. À la fin du xixe s., la Russie est le seul pays à accorder un statut privilégié à des danseurs, leur permettant de poursuivre une carrière honorable. L’école de danse où le Suédois Christian Johansson (de 1869 à 1903) et Enrico Cecchetti (de 1892 à 1902) déploient leurs qualités de pédagogue forme les plus grandes étoiles russes (Mathilde Kchessinskaïa, Preobrajenska, Anna Pavlova*, Vera Trefilova ; Pavel Gerdt, Nikolaï et Sergueï Legat, Aleksandr Gorski, Michel Fokine). À Moscou, Gorski (1871-1924) tente des innovations dans le domaine de la mise en scène. Lorsqu’il est appelé au théâtre Mariinski, sa présence ne fait pas oublier Marius Petipa. La nouvelle génération porte les noms d’Iekaterina Gueltser, Aleksandr Volinine, Ivan Clustine. Mais déjà s’affirme Michel Fokine, dont la personnalité oriente l’épanouissement des solistes de la troupe comme Tamara Karsavina (née en 1885) et Adolphe Bolm (1884-1951). La vitalité de la danse y est telle que c’est d’elle que vont venir tous les éléments — ou presque — qui implantent l’école russe dans le monde entier après la Révolution de 1917.


Éléments scéniques du ballet


Le lieu chorégraphique

À ses débuts, le ballet a pour lieu de représentation une vaste salle d’un palais, en général rectangulaire, parfois flanquée d’un ou de plusieurs rangs de galeries garnies de sièges. Les évolutions sont vues d’en haut ; les figures inscrivent des lignes sur le sol : la danse est « horizontale ». Quelquefois, une scène est dressée. Vers 1610 apparaissent les premiers rideaux de scène. À partir de 1641 (Ballet de la prospérité des armes de France), le ballet est entièrement dansé sur la scène, qui est faite de planches solidement assemblées. Le spectateur a donc une vision unique du spectacle, qui se joue dans un cadre magique séparé de la salle par la rampe. La France prend modèle sur l’Italie, où le style baroque s’impose dans la construction de nombreux théâtres. L’aménagement des salles en balcons superposés se généralise. Mais c’est la scène qui accapare tout l’intérêt des scénographes et où tout concourt à l’illusionnisme (décors, lumières, accessoires).


Les machines

La perspective et le trompe-l’œil trouvent leur application dans la réalisation des décors, qui prennent toute leur importance avec la « machine ». Venue d’Italie, la machine fait de la scène une « boîte à illusions ». Giacomo Torelli, puis les Vigarani déployèrent leur génie à la réalisation de machines grandioses et délicates. La machinerie, le plus souvent hydraulique, en procédant à des changements à vue ou en utilisant des décors simultanés, permet de faire apparaître des personnages fantastiques, des êtres surnaturels, d’engloutir des vaisseaux, de simuler les vagues, de faire disparaître des reliefs, des acteurs, de faire pivoter des plans entiers, etc. Mais les machines, fort coûteuses, perdront leur importance au profit du décor proprement dit.


Les décors

Consistant d’abord en une unique toile peinte, le décor se compose ensuite de plusieurs plans parallèles reproduisant les mêmes motifs. De Jacques Patin (1540-1610) à Jean Berain* (1639-1711), le décor subit l’influence de la scénographie italienne, puis revient à la sobriété française. Berain formera à son style les décorateurs du xviiie s. Watteau, Boucher, Claude Gillot brosseront parfois des décors. Servandoni (1695-1766), installé à Paris en 1728, inaugure les plantations d’angle. L’époque romantique a son décorateur en Pierre Luc Charles Ciceri (1782-1868), qui signe les décors de Giselle (1841). Étiquetés, répertoriés, les décors des xvie et xviie s. sont réutilisés. Au xixe s., le décor redevient un tableau dans lequel chaque effet a sa recette. Les artistes de cette époque (Humanité René Philastre, Charles Antoine Cambon, Charles Séchan, Léon Feuchère, Jules Pierre Dieterlé, Auguste Alfred Rubé, Jusseaume, etc.) exploitent tous les procédés connus, se tenant à l’écart de l’évolution de la peinture. Jusqu’à l’arrivée des Ballets* russes à Paris (1909), le décor de ballet s’étiole. La révolution artistique dont ces derniers sont les artisans permet au directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché (1862-1957), de suivre délibérément une voie largement ouverte et de faire appel aux artistes de l’école de Paris. Dès lors, les décors sont signés Maxime Dethomas, René Piot, Dimitri Bouchène, Cassandre, André Dignimont, Léger, Brayer, Chapelain-Midy, Wakhevitch, Jacques Dupont, etc. Les peintres de la routine sont désormais distancés. Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres noms apparaissent au synopsis du ballet : Christian Bérard, Léonor Fini, Marc Chagall, Carzou, Félix Labisse, René Allio, Antoni Clavé, André Levasseur, André Delfau, Jean Bazaine, etc. Aujourd’hui, le ballet contemporain offre son tremplin à toutes les audaces scénographiques ; toutes les matières nouvelles prêtent leur consistance, leurs formes, leurs couleurs ; les constructions tubulaires aménagent des structures scéniques au fur et à mesure de la progression de l’œuvre. Sans espérer être exhaustif, on peut citer les noms de quelques représentants de la nouvelle génération (Bernard Daydé, James Hodges, Roger Bernard, Martial Raysse, Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle, André Wogenscky, Germinal Casado, etc.), auxquels se joignent parfois Max Ernst, Calder, Vasarely, etc.