Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

ballet (suite)

Noverre, auteur de cent cinquante ballets, veut simplifier la danse. Art imitatif, celle-ci s’exprime le mieux dans le genre tragique, où l’action évolue grâce au jeu des passions. Supprimant la partie chantée, Noverre donne à la pantomime le rôle le plus important, faisant reposer sur elle la progression dramatique. La perfection d’exécution n’est pas pour lui une finalité : la danse pure n’a pas place dans le ballet d’action. Novateur, il pense que la musique, sans prendre le pas sur la danse, doit « céder » à l’action. Réformateur, il supprime masques, robes à paniers et perruques.

Appelé en 1776 par Marie-Antoinette pour remplacer Gaétan Vestris à la tête du ballet de l’Académie royale, Noverre ne peut résister à la cabale suscitée par Maximilien Gardel et Jean Dauberval, qui briguent tous deux son poste. Arrivé trop tard à Paris, qu’il abandonne pour l’Angleterre (1781), où il collabore avec Joseph Haydn, il ne voit pas l’application de ses théories. Avant de quitter l’Opéra, Noverre monte le seul ballet composé à sa demande par Mozart, les Petits Riens (1778). Dans ses Lettres, il signale la profusion des danseurs de talent à l’Opéra, les meilleurs artistes du moment dans la tradition de style noble. Les danseuses Marie Allard (mère d’Auguste Vestris), Marie-Madeleine Guimard, Anne Heinel (femme de Gaétan Vestris) marquent l’histoire du ballet de leur passage, tandis que se dessine la génération des danseurs romantiques : Jean-Pierre Aumer, Antoine Bournonville, Charles Didelot, Louis Duport, etc.

Le drame dansé, ou chorédrame

Forme unique que connut le ballet grâce à la puissante personnalité de Salvatore Vigano, le drame dansé est en partie issu des théories de Noverre. Hilferding et Angiolini sont à l’origine de cette évolution. « Ne pas se contenter de plaire aux yeux mais intéresser le cœur », tel est le but de Vigano. Le chorégraphe et le décorateur recherchent l’harmonie entre l’action dansée et le cadre scénique, et créent l’atmosphère de clair-obscur particulière à la tragédie. Le peintre et décorateur Alessandro Sanquirico (1777-1849) a le génie des lumières et sait rendre les œuvres que Vigano présente à la Scala.

Salvatore Vigano, chorégraphe italien (Naples 1769 - Milan 1821). Fils d’un maître de ballet, neveu de Boccherini, disciple de Noverre par l’intermédiaire de Dauberval, il monte à Vienne en 1801 les Créatures de Prométhée, qu’à sa demande lui a composées Beethoven. Il a le sens de la fresque scénique, dont le climat puissant fait dire à Stendhal qu’il est le « Shakespeare du ballet ». Malgré leur succès, peu de ses ouvrages (Coriolan, 1804 ; Gli Strelizzi, 1809 ; Othello, 1818 ; I Titani, 1819) seront repris. Avec lui disparut le « chorédrame », qui revivra grâce à Fokine, Massine et Lifar.


La Révolution

De la salle de la porte Saint-Martin, où elle s’est transportée après l’incendie qui a ravagé la salle du Palais-Royal en 1781, l’Académie s’installe dans le théâtre édifié par Mlle de Montansier, rue de Richelieu. En dépit de ces déménagements, Pierre Gardel (1758-1840) peut assumer sa charge de maître de ballet et de chorégraphe. Gardel compose quelques œuvres de circonstance (l’Offrande à la liberté, 1792) ; Vestris danse en « sans-culotte » dans la Rosière républicaine. Mais les tentatives de ballets à thèmes sociaux en resteront là.


Le ballet romantique, ou ballet blanc

Le courant romantique n’épargne pas le ballet. La technique s’est élaborée ; elle est parvenue à un point tel que les pas et leurs enchaînements, par leur fluidité même, peuvent traduire l’imaginaire, l’irrationnel. Le ballet romantique dispose de deux actions : l’une terrestre, l’autre surnaturelle. La danseuse se meut dans un rêve, elle ne touche pas le sol — du moins donne-t-elle cette impression —, ses pieds sont chaussés de chaussons aux bouts renforcés qui lui permettent de se hausser, sa robe, un tutu long, est faite de mousseline blanche et vaporeuse, ailes diaphanes de sylphide...

Dès 1820, le danseur et théoricien Carlo Blasis* (1795-1878), dans son Traité élémentaire théorique et pratique de l’art de la danse, a fait le point sur l’évolution de la technique. Grâce à lui, la virtuosité acquiert une place que n’aurait pas osé lui donner même un Vestris. Son Manuel complet de la danse (1830) reste le fondement de l’enseignement de la danse*.

Maria (ou Marie) Taglioni* débute en 1822. Elle enchante le public par sa danse pure, ses ports de bras élégants ; ses pieds, débarrassés des chaussures à talon, ne martèlent plus la scène. Le 12 mars 1832 est donnée la Sylphide, ballet que son père Filippo Taglioni* compose pour elle. La partition est médiocre ; le rôle une révélation. Le langage chorégraphique, le style et la technique de l’interprète font de la Sylphide un ballet tragique à l’ineffable poésie, qui suscite l’enthousiasme.

Avec la création de Giselle (28 juin 1841), dont Th. Gautier écrit pour elle une partie du livret d’après les Reisebilder d’Henri Heine, Carlotta Grisi (1819-1899) s’impose. Partenaire de Jules Perrot et de Lucien Petipa, elle révèle « une vigueur, une légèreté, une souplesse et une originalité » qui la mettent sur le même plan que Maria Taglioni et sa rivale Fanny Elssler (1810-1884), d’origine autrichienne. Avec Elssler, le romantisme se teinte d’exotisme et de pittoresque ; à la poésie éthérée de l’« âme heureuse » et au style « ballonné » de la Taglioni, elle oppose son charme physique et le brio de son style « terre à terre ».

La Sylphide est le modèle du ballet romantique. Les deux plans de l’action se retrouvent dans tous les ballets de l’époque, et le même thème est repris : l’amour d’un « esprit » pour un « mortel ». L’interprétation repose sur la danseuse, qui « danse pour danser », et en fonction de qui la musique a été composée. Le danseur est devenu partenaire. C’est l’ère de la danse pure.

À côté de ces trois étoiles, d’autres danseuses s’illustrent (Fanny Cerrito, Lucile Grahn), tandis que les chorégraphes œuvrent au triomphe du ballet : Filippo Taglioni (la Fille du Danube, 1836 ; l’Ombre, 1839), Jean Coralli et Jules Perrot (Giselle, 1841), August Bournonville (Napoli, 1842), Jules Perrot (Pas de quatre, 1845).