Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bacon (Francis), baron Verulam

Homme d’État et philosophe anglais (Londres 1561 - id. 1626).


Fils du garde des Sceaux de la reine Elisabeth Ire, le jeune Bacon passe son enfance dans l’entourage de la Cour. Il étudie le droit et la philosophie scolastique au Trinity College de Cambridge, puis accompagne à Paris l’ambassadeur d’Angleterre auprès d’Henri III. La mort de son père le rappelle brusquement à Londres, où, réduit à de simples fonctions d’avocat, il s’applique à briguer des emplois de plus en plus honorifiques et rémunérateurs. Élu membre de la Chambre des communes en 1584, il y siège de nouveau en 1586, en 1589 et en 1593, mais perd la protection de la Couronne pour avoir pris position par maladresse contre les intérêts du pouvoir royal. Bacon se tourne alors vers le comte d’Essex, dont il gagne les faveurs, et qui l’élève au poste de conseiller de la reine. Il publie en 1597 ses Essais de morale et de politique. Lors de la disgrâce d’Essex, Bacon suscite la réprobation en requérant la peine de mort contre son protecteur. Cependant, admiré par Jacques Ier, il accumule les honneurs et devient, en 1618, lord chancelier. Tandis que paraît en 1620 son Novum Organum, il s’emploie à corriger le retard dans les questions judiciaires, ordonnant notamment l’exécution de sir Walter Raleigh, détenu depuis quatorze ans. En 1621, le Parlement, mécontent de l’administration royale, accuse le chancelier de concussion et obtient une condamnation, que le roi atténue sans oser néanmoins rappeler Bacon auprès de lui. Le philosophe se retire de la vie publique, s’adonne à l’étude et meurt le 9 avril 1626.

Moins créateur que réformateur, Bacon a le mérite de rompre avec la tradition scolastique et de proposer une logique de l’expérimentation. Il s’agit pour lui de construire la science et la philosophie à partir de l’observation pure des faits, et non d’interpréter le monde en fonction d’un système préétabli.

L’intelligence humaine abandonnée à elle-même est, dit-il, impuissante sans le secours d’une méthode. Et seule la méthode expérimentale peut nous conduire à des résultats positifs. L’œuvre maîtresse de Bacon, l’Instauratio magna (la Grande Reconstitution) [1623], part du principe qu’il n’existe qu’un moyen de dominer la nature : apprendre à la connaître en lui obéissant. Elle se veut donc un essai d’analyse et de synthèse, une méthode et un guide d’action, répondant à l’ambition de fonder la philosophie sur des bases concrètes.

L’ouvrage se compose de six parties, dont la plupart ne seront traitées que partiellement par l’auteur. De dignitate et augmentis scientiarum (De la dignité et du progrès des sciences) propose une revue générale et un classement des sciences déjà connues et d’autres dont Bacon souhaite la création. Le Novum Organum, sorte de « Discours de la méthode » avant la lettre, prétend donner à l’esprit l’instrument indispensable à son accession à la vérité. La troisième partie, Phaenomena universi, contient tous les faits à interpréter, tandis que Scala intellectus (l’Échelle de l’entendement) explique comment tirer de connaissances vraies des applications pratiques ; comment l’esprit va du particulier au général et du général au particulier. La cinquième partie, Prodromi, exposera les premiers résultats provisoires de la méthode. Enfin, Philosophia secunda dressera le bilan définitif des lois et des vérités dégagées. Mais si Bacon, parlant des précautions à prendre pour venir à bout des problèmes, déclare : « il faut que la chose s’exécute comme à l’aide de machines », il se contente de fonder son analyse sur ce qu’il juge être les trois composantes de l’esprit : la mémoire, d’où naît l’histoire ; l’imagination, source de la poésie ; la raison, qui crée la philosophie. L’histoire, tant naturelle que civile, s’identifie à l’expérience humaine. La poésie a pour but de créer un univers d’individus factices à l’image des individus réels. La philosophie traite de Dieu, mais Bacon a la prudence de « laisser à la foi ce qui est à la foi », de la nature sous ses aspects métaphysique et mécanique, et de l’homme comme individu et comme être social.

Sous la rigueur du projet, les critiques de Bacon n’ont pas manqué de souligner l’arbitraire dans le choix des faits, l’explication sommaire, la croyance à la magie, une faiblesse dans l’expérimentation que ne laissait pas supposer la théorie de l’induction. L’expérimentation, réduite ici à une série de principes abstraits, annonce bien plus l’idéologie empiriste que la future méthode expérimentale. Mais sa volonté de classement et de précision suffirait sans doute à regarder Bacon comme un homme de science.

R. V.

 A. Cresson, Francis Bacon, sa vie, son œuvre (P. U. F., 1956). / H. B. White, Peace Among the Willows, the Political Philosophy of Francis Bacon (La Haye, 1968).

Bacon (Francis)

Peintre britannique (Dublin 1909).



De Picasso à Soutine

Le hennissement de souffrance du cheval blessé à mort dans Guernica, cette manière de glisser à la surface d’un visage que montrent les portraits peints par Picasso* vers 1938, le passage du « frottage » de surfaces banales à des êtres monstrueux chez Max Ernst*, les membres disloqués des personnages de Soutine*, tels semblent être, dans l’art moderne, les exemples déterminants pour Bacon. Les autres références, de Grünewald à Vélasquez et de Daumier à Van Gogh, paraissent moins essentielles. Il faut enfin noter l’influence du surréalisme sur lui, responsable d’un abandon partiel au hasard dont il attend l’étincelle décisive à partir de laquelle le tableau s’organisera avec lucidité. Cependant, Bacon sera relativement lent à trouver sa voie propre : il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que commence, avec Trois Études pour des personnages à la base d’une Crucifixion, son œuvre personnelle. La puissante originalité de celle-ci ne tarde pas à s’imposer. Depuis, la renommée de Bacon s’est étendue au monde et, bien qu’elle ait joué à rebours de la vogue abstraite, lui a fait de nombreux disciples parmi les jeunes peintres.