Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
Z

Zola (Émile) (suite)

1900-1902

Le vieil ami de Zola, Paul Alexis, meurt en 1901. Edmond de Goncourt est mort en 1896, et Alphonse Daudet en 1897. J. K. Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique se sont détachés de Zola pour des raisons littéraires et politiques. En février 1901 paraît la Vérité en marche, recueil des articles sur l’affaire Dreyfus ; en mai, Travail, où Zola imagine la cité fraternelle de l’avenir dans un rêve de socialisme phalanstérien, plus inspiré de Fourier que de Marx. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, au retour de Médan, l’écrivain meurt asphyxié par les émanations du chauffage dans son appartement de la rue de Bruxelles. Accident ou malveillance ? On en a débattu, sans parvenir à une certitude. Ses funérailles ont lieu le 5 octobre. Une délégation de mineurs est venue de Denain. Anatole France, dans son discours d’hommage, prononce ces mots : « Il fut un moment de la conscience humaine. »

En 1903 paraît Vérité, roman inspiré par l’affaire Dreyfus et par la lutte contre les congrégations. Le quatrième des Quatre Évangiles, Justice, est demeuré à l’état de notes préparatoires. En 1906 meurt Paul Cézanne, l’ami d’enfance de Zola. La même année, le jugement de Rennes est cassé, Alfred Dreyfus, enfin réhabilité, est réintégré dans l’armée. Le 4 juin 1908, un immense cortège transporte les cendres de Zola au Panthéon.


Le romancier

L’œuvre la plus illustre de Zola est les Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, massif romanesque qui compte vingt romans et qui parut entre 1871 et 1893. Ce n’est pas que les romans du début soient négligeables : la Confession de Claude (1865), encore sous l’influence de Musset et de Murger, les Mystères de Marseille (1867), roman-feuilleton où Zola utilise déjà la technique du dossier documentaire, et surtout Thérèse Raquin (1867) et Madeleine Férat (1868), où la chronique de mœurs est très fortement enserrée dans les présupposés d’un déterminisme physiologique et social inspiré à la fois de Balzac, de Taine (Nouveaux Essais de critique et d’histoire), de Michelet, des Goncourt (Germinie Lacerteux). Après les Rougon-Macquart ont paru les Trois Villes, Lourdes (1894), Rome (1896), Paris (1898). Le mysticisme des foules de Lourdes, clientèle docile et pitoyable des marchands d’illusions bénites, les clés de Saint-Pierre et les intrigues vaticanes sous le règne du pape Léon XIII, les vains efforts d’un prêtre progressiste pour susciter un « aggiornamento » de l’Église, les secousses politiques et sociales de Paris au temps du général Boulanger, de l’affaire de Panamá et des anarchistes : rien, dans ces trois romans, n’a perdu de son intérêt pour le public d’aujourd’hui. Quant aux Quatre Évangiles, au titre messianique, on peut y voir une méditation, en forme de cycle romanesque, sur les grands problèmes qui assaillent la société à la veille d’un siècle nouveau, alors que le progrès accéléré des forces productives ne semble pas devoir épargner à la France une profonde crise morale : problèmes de la natalité dans Fécondité (1899), de la lutte des classes et du socialisme dans Travail (1901), de l’éducation dans Vérité (1903). Le xxe s. a fort mal répondu aux thèses et aux espérances des Quatre Évangiles. Mais ce sont trois œuvres indispensables à lire pour qui veut explorer les courants idéologiques qui parcourent la France de 1900, et aussi trois œuvres de facture curieuse, où s’annoncent des genres romanesques nouveaux, tels que le roman-fleuve ou le roman de « politique-fiction ».

C’est cependant par l’étude des Rougon-Macquart qu’on peut le mieux caractériser les thèmes favoris, les techniques, l’art de Zola romancier. Sur le modèle de la Comédie humaine, infléchi par l’enseignement de Taine, Zola a voulu peindre « une famille qui s’élance vers les biens prochains et qui roule détraquée par son élan lui-même, justement à cause des lueurs troubles du moment, des convulsions fatales de l’enfantement d’un monde ». L’ensemble des sujets, de la Fortune des Rougon au Docteur Pascal, compose l’histoire et les structures de la société française, du coup d’État à la débâcle de Sedan (avec quelques anachronismes, notamment en matière d’histoire économique). Il compose aussi une peinture souvent cruelle, parfois émouvante, sans fards ni vaine pudeur, des mœurs et des mentalités. On peut faire confiance dans une large proportion au témoignage de Zola, qui s’est appuyé, pour écrire chacun de ses romans, sur un dossier considérable de lectures et d’enquêtes personnelles.

Malgré la multiplicité des personnages et des situations, l’ensemble du cycle constitue un véritable système, un ensemble cohérent, organique, dans la mesure où le modèle sur lequel il est construit — le dédoublement d’une famille en deux branches complémentaires et opposées — suffit à assurer son fonctionnement. Un autre principe d’unité tient au langage symbolique et mythique, qui sous-tend la chronique et lui donne ses significations profondes, marquées par la vision du monde propre à l’auteur. L’œuvre entière est ordonnée par le double courant qui parcourt la vie intérieure de Zola, sans que le créateur et l’homme privé puissent aisément se distinguer : l’exaltation des forces de la vie (thèmes de la nature et de l’homme en travail, thèmes du rut, de la gésine, de la fécondité, de la germination) ; la hantise du néant, la conviction que tout cède, s’écroule, se dissout sans l’action inexorable de la mort (thèmes de la violence, de la destruction, du meurtre, de la bêtise, de la stérilité, de l’absurdité, de l’agonie). Les deux courants se mêlent dans les mêmes œuvres, comme on le constate aisément à la lecture de Nana, de Germinal, de la Terre, de la Bête humaine ou de la Débâcle.

On ne peut sous-estimer la part de la méthode dans la genèse des Rougon-Macquart ; les ébauches, les plans et les notes documentaires qui précèdent chaque œuvre en portent la marque. Mais ils portent aussi la trace d’une vive sensibilité, d’un regard qui saisit sur le vif les êtres et les choses, comparable, par la manière dont il fonctionne et se traduit dans la création, au regard des peintres que Zola aimait : Manet, Pissarro, Monet, Renoir. Comme eux, l’écrivain est habile à capter le jeu des formes, des couleurs, des mouvements, des éclairages. Comme eux, il part à la recherche du « motif » et jette sur ses carnets de multiples esquisses. De là, dans les Rougon-Macquart, des centaines d’instantanés, de scènes vues, de silhouettes attrapées au vol : par exemple l’animation des boulevards extérieurs dans l’Assommoir, la foule du salon de peinture dans l’Œuvre, la sortie des puits dans Germinal, la fièvre des jours de grande vente dans Au Bonheur des dames, etc. Le quotidien est happé au plus près de sa source. Rien, cependant, qui soit banalement photographique. Une vibration affective — pitié, ironie ou anxiété — ponctue chaque phrase. À chaque sensation se mêle une connotation symbolique.