Xénophon (suite)
Ce journal de marche, ce reportage d’un correspondant de guerre qui finit par prendre la tête des opérations, a une saveur extraordinaire. Xénophon n’annonce rien à l’avance, n’intervient pas dans la narration, ne s’indigne pas, ne cherche pas à émouvoir son lecteur. Celui-ci doit garder son jugement libre. L’auteur s’efface constamment dans ces petits tableaux vrais et courts, où le dessin est plus marqué que la couleur, un dessin si précis et si juste qu’on voit les faits et les objets comme s’ils étaient présents. On pense à Mérimée ou, plus encore, à Stendhal (le récit de la bataille de Counaxa, par sa netteté et sa sobriété du trait, par sa discontinuité, n’a-t-il pas des caractères communs avec le récit de la bataille de Waterloo vue par les yeux de Fabrice del Dongo ?). La fraîcheur des impressions, la vie qui anime chaque page, les croquis rapides de ces mercenaires grecs, qui ont chacun leur personnalité propre, font de l’Anabase une œuvre originale, presque unique.
« Xénophon, écrit Diogène Laërce, est un homme remarquable à beaucoup d’égards, notamment pour son goût pour les chevaux, la chasse et l’art militaire, comme on le voit par ses écrits ; un homme pieux, qui aimait à offrir des sacrifices, se connaissait aux choses religieuses, et fut un disciple fidèle de Socrate. » Si ce n’est pas son moindre mérite d’avoir introduit, peut-être plus que Platon, la doctrine de Socrate dans la conscience athénienne, il reste qu’il n’est pas négligeable aujourd’hui de pouvoir lire une œuvre qui aborde des sujets graves avec un parfait naturel et sans que son auteur élève jamais la voix.
A. M.-B.
A. Croiset, Xénophon, son caractère et son talent (Thorin, 1873). / A. N. Roquette, De Xenophontis vita (Kœnigsberg, 1884). / K. Muenscher, Xenophon in der griechisch-römischen Literatur (Leipzig, 1920). / G. Colin, Xénophon historien (Les Belles Lettres, 1933). / J. Luccioni, les Idées politiques et sociales de Xénophon (Les Belles Lettres, 1947) ; Xénophon et le socratisme (P. U. F., 1953). / L. Strauss, On Tyranny, an Interpretation of Xenophon’s “Hieron” (New York, 1948 ; trad. fr. De la tyrannie, précédé du Hiéron de Xénophon, Gallimard, 1954). / E. Delebecque, Essai sur la vie de Xénophon (Klincksieck, 1957). / C. Mossé, Xénophon. L’Économique. Commentaire historique (Thèse, Paris, 1960).