Théologien anglais (Hipswell, Yorkshire, v. 1320 - Lutterworth, comté de Leicester, 1384), précurseur de la Réforme du xvie s.
John Wycliffe (ou Wyclif) naît dans une famille noble, les Wycliffe to Wycliffe, qui sont restés catholiques jusqu’en 1830, date de l’extinction de la lignée. On le destine à l’état ecclésiastique et, comme ceux de sa classe, il débute par l’université. À Oxford, où il est successivement étudiant, puis professeur et administrateur, il prend tous ses grades, de maître ès arts à docteur en théologie, tout en manifestant un vif intérêt pour les sciences naturelles, les mathématiques et l’optique. Ainsi ne tarde-t-il pas à se faire un nom parmi les érudits de son temps. En 1365, il est au point culminant de sa gloire académique et a déjà publié un nombre respectable d’ouvrages : ainsi la Logique, le De universalibus, le De materia et forma, le De anima et des Commentaires sur tous les livres du Nouveau Testament, à l’exception de l’Apocalypse.
Curieusement, c’est — comme ce le sera pour Luther — l’intervention romaine dans les affaires nationales et la cupidité de la papauté qui vont être la borne de son destin : en 1365, le pape Urbain V réclame subitement le tribut de Jean sans Terre et des arriérés depuis trente-trois ans. L’indignation patriotique des Anglais explose ; Wycliffe s’arrache à ses chères études et devient d’un coup le défenseur des droits et de l’honneur de la couronne d’Angleterre.
De nouveaux ouvrages voient bientôt le jour : Determinatio quaedam de dominio, De civile dominio, De dominio divine, une Somme théologique, De veritatae sacrae scripturae, Ad parliamentum regis, où il défend la thèse que, dans certaines conditions, le pouvoir civil peut rappeler l’Église à l’ordre, notamment dans le domaine de l’administration de ses biens et la gestion de son patrimoine.
Désigné pour plaider la cause anglaise aux conférences de Bruges entre les délégués d’Édouard III et les légats de Grégoire IX (1374), Wycliffe s’est acquis l’estime et l’amitié des dirigeants anglais, mais il s’est attiré une haine tenace de la curie romaine. En 1377 et en 1378, il est cité devant les instances ecclésiastiques pour répondre de « dix-neuf thèses contraires au droit et au dogme catholiques ». Chaque fois, c’est le pouvoir politique qui le fait acquitter, cependant que lui continue à défendre l’économie du royaume contre les empiétements et les ingérences du Vatican. L’hostilité de l’Église aussi bien que ses ingérences intéressées dans la vie nationale ont conduit Wycliffe à une remise en cause fondamentale de l’autorité et de la légitimité du pape. Sans le savoir, Wycliffe rejoint en son siècle la spiritualité des vaudois* : seule une Église institutionnellement et financièrement pauvre est conforme au style du Christ.
Or, en 1378, c’est précisément le « grand schisme d’Occident » : deux papes, Urbain VI et Clément VII, sont en conflit ouvert ; intrigues et ultimatums se succèdent. D’où la conséquence logique dans la pensée de Wycliffe, largement ouverte déjà à ces réflexions radicales (De officio regis) : un chef visible n’est nullement indispensable à l’Église si celle-ci accepte de ne se fonder que sur l’Écriture sainte. Le nécessaire passage à l’acte, c’est une nouvelle traduction de la Bible ; Wycliffe l’entreprend avec quelques amis (1378-1382), en même temps que l’évangélisation publique et itinérante. Douze thèses sur l’eucharistie (De eucharistia), dont dix seront condamnées par un synode londonien, une riposte, Confessio magistri Johannis Wiclif, et un traité populaire, The Wicket (« le Guichet »), jalonnent cette période.
En 1382, Wycliffe présente au roi et au Parlement ses quatre articles : 1o abolition des vœux monastiques ; 2o abolition de l’exemption des taxes fiscales pour le clergé et ses biens ; 3o suppression des dîmes et offrandes imposées ; 4o prédication de la doctrine évangélique sur l’eucharistie dans toutes les églises du royaume. Comme on désire le laisser terminer en paix sa vie, l’institution ferme les yeux...
Wycliffe en profite pour écrire son œuvre maîtresse, le Trialogus, somme de sa doctrine, où il se montre profondément catholique, sauf sur deux points majeurs : l’autorité exclusive de la Bible, qui est la « magna charta » du Royaume de justice et de liberté ; la doctrine de l’eucharistie, qui lui fait refuser la transsubstantiation (« comme Christ en sa personne est vraiment Dieu et vraiment homme, ainsi le sacrement est-il vraiment corps de Christ et vraiment pain... »). Son étonnante culture et son ouverture au monde lui permettent d’être en permanence à l’écoute des philosophes et littérateurs profanes et de les intégrer à sa réflexion théologique.