Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Wright (Frank Lloyd) (suite)

Né — à une date qu’il ne savait pas lui-même — dans une famille de pasteurs dont le père était d’origine anglaise et la mère galloise, Wright a passé toute sa jeunesse dans le Wisconsin et il a surtout vécu, à l’âge de l’adolescence, chez son oncle, qui était fermier à Spring Green : il conservera de cette éducation campagnarde un vif attachement à la nature, augmenté encore par les méthodes éducatives dont il a bénéficié (méthode F. Fröbel). En 1885, il entreprend d’assez brèves études d’ingénieur à l’université de Wisconsin. Deux ans plus tard, il arrive à Chicago, où il se fait engager dans l’agence d’un architecte fort conventionnel, qu’il quitte très vite pour entrer chez Louis Henri Sullivan (v. Chicago [l’école de]). Il deviendra bientôt le bras droit de ce dernier, son chef d’atelier pendant six ans. Spécialiste en ornements, il dessine la plupart de ceux de l’Auditorium Building. La collaboration des deux hommes s’arrêtera en 1893, Wright ayant accepté des commissions personnelles dans le cadre de l’agence ; néanmoins, Wright conservera à Sullivan son admiration.


1892-1924

La première œuvre personnelle de Wright est la Charnley House à Chicago (1892), objet de ses conflits avec Sullivan ; la construction, austère, est un cube de brique, percé de trous rectangulaires et dont seule la partie centrale défoncée s’enrichit d’un élégant balcon couvert à colonnade dorique — le jeune architecte avoue ici sa dette à l’esthétique néo-classique, dans une vive réaction contre l’éclectisme de son époque. On s’est peu intéressé aux autres œuvres contemporaines de Wright : Winslow House, River Forest, Illinois (1893) ; Wright House, Oak Park (1894) ; Francis Apartments, Chicago (1895). Elles ont pourtant toutes en commun ce caractère de masse, cette austérité du décor d’encadrement et l’utilisation libre, en opposition, de bandes ornementales qui peuvent couvrir tout un étage avec une exubérance tout à fait sullivanienne.

La personnalité de Wright se dégage très rapidement à travers quelques œuvres clés comme le moulin à vent de Spring Green, construit en 1895 pour ses tantes, ou le club de golf de River Forest (1898) : l’enveloppe murale éclate, les plans horizontaux se développent sans rupture du dedans vers le dehors. Les toitures se compliquent pour correspondre à cette ouverture ; elles se croisent et s’accrochent à un mât de maçonnerie vertical : la cheminée, dont le foyer deviendra le centre de la composition. Ce sera le type des « maisons de la prairie », avec leur plan éclaté « en ailes de moulin à vent » et la prédominance du foyer central — toutes choses que Wright reprenait de la tradition de l’architecture rurale des pionniers de la Nouvelle-Angleterre, qui avaient importé d’Europe le principe, médiéval dans ses origines, du bloc-foyer en maçonnerie et de l’enveloppe légère en pans de bois, autorisant des transitions souples vers l’extérieur.

L’originalité architecturale des solutions inventées par Wright est indiscutable : elle définit un nouveau rapport interne-externe en développant les espaces de transition et en jouant sur l’intégration dans le paysage. Si la tradition rurale a pu l’aider à la formulation de ce nouveau vocabulaire, Wright n’en est pas moins débiteur envers l’architecture domestique anglaise (Philip Webb, 1831-1915 ; Richard Norman Shaw, 1831-1912) et aussi envers l’art japonais, qu’il devait révérer sa vie durant : la méditation sur la maison japonaise lui a seule permis d’imaginer cette destruction de la « boîte de maçonnerie » qui était si traditionnelle à l’architecture classique. À l’époque d’un Art* nouveau préoccupé de renouvellement ornemental, l’œuvre de Wright est beaucoup plus avancée que celle de ses contemporains ; elle ne connaît ni les rigidités douloureuses, les conflits de sensibilité et de raison qui pèsent sur Victor Horta, ni les nostalgies piranésiennes d’Otto Wagner : Wright a échappé à la tradition académique ; il exprime librement une personnalité qui s’est faite à travers l’expérience de sa sensibilité dans le monde alors vraiment neuf des États-Unis.

Des « maisons de la prairie », on retiendra les plus importantes : Willits House (Highland Park, Illinois), Heurtley House (Oak Park), Hillside Home School (Spring Green, Wisconsin) en 1902 ; Martin House (Buffalo, New York) en 1904 ; Coonley House (Riverside, Illinois), Isabel Roberts House (River Forest, Illinois) en 1908 ; Robie House (Chicago) et Thomas Gale House (Oak Park) en 1909 ; enfin les Midway Gardens, restaurant en plein air de Chicago, en 1913-14.

Dans la même période, Wright est l’auteur de trois bâtiments urbains importants : le Larkin Office Building de Buffalo (1904, détruit en 1950), l’église unitarienne d’Oak Park (1906) ainsi que la City National Bank and Hotel de Mason City, Iowa (1909-1913). Le Larkin Building est une boîte de brique cantonnée comme une forteresse par quatre tours carrées : à l’intérieur, les bureaux sont disposés en galerie sur cinq niveaux autour d’un grand vide central éclairé par le haut ; l’espace monumental de ce grand volume interne avait été enrichi d’un orgue, qui en formait le seul ornement avec les curieux chapiteaux cubistes des piliers. L’église unitarienne d’Oak Park reprend, en béton armé, cette réflexion sur les volumes clos, sans contact visuel avec l’extérieur, mais animés par le jeu des sources d’éclairage naturel.

Une importante publication, réalisée par l’éditeur allemand Wasmuth (Darmstadt) en 1910-11, devait découvrir Wright au public européen et orienter de façon définitive la naissance du mouvement moderne. C’est à ce moment-là qu’aux États-Unis la réputation de Wright connaît sa première éclipse, à la suite d’abord d’un divorce mal accepté, puis de la mort tragique de sa seconde femme et de ses enfants en 1914 ; deux ans plus tard, Wright s’exile au Japon, où l’appelle la commande de l’Imperial Hotel de Tōkyō (1916-1922) — l’une de ses plus belles œuvres. Quand il revient aux États-Unis en 1922, c’est un homme oublié, démodé : il ne construira dans cette période que la Millard House de Pasadena, Californie (1923), et la Ennis House de Los Angeles (1922-1924) ; il y utilise une intéressante structure en blocs préfabriqués de béton, dont le moulage en relief développe les qualités d’épiderme du matériau, créant entre la nature luxuriante des jardins et le monde minéral de l’architecture une étrange continuité de texture. L’expérience tourne le dos à l’esthétique puriste, mais elle résume bien l’évolution de Wright vers une plus profonde intégration de l’architecture à la nature. Puis, peu à peu, Wright, devenu surtout pédagogue, s’enfonce dans l’oubli des vieux maîtres dépassés par l’évolution de leur temps...