Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Williams (Tennessee)

Écrivain américain (Columbus, Mississippi, 1911).


Dramaturge, Thomas Lanier, dit Tennessee Williams, occupe le premier plan du théâtre américain après la Seconde Guerre mondiale, de 1945 à 1960. Traduites et surtout largement diffusées par le cinéma, ses pièces lui valent un triomphe international qui s’explique aussi par la violence des situations, le dynamisme de l’action et la hardiesse pour l’époque de ses sujets. Poète de la sexualité refoulée, Williams emprunte ses personnages, ses décors à la vie du Sud. Mais il teinte son réalisme d’une mythologie violente et d’une diction rhétorique qui fait de son œuvre un théâtre poétique. Les situations qu’il met en scène sont souvent mélodramatiques, voire extravagantes (hystérie, homosexualité, castration, voyeurisme, jalousie morbide), mais il sait les faire « passer », leur donner une vraisemblance artistique avec un sens inné du théâtre qui, malgré l’influence de O’Neill et d’Ibsen, fait surtout penser aux excès de la tragédie élisabéthaine.

Sudiste, Williams est né dans le Mississippi et a passé à Saint Louis une enfance malheureuse et pauvre, dans une atmosphère décrite dans la Ménagerie de verre et Un tramway nommé Désir. Fils d’un voyageur de commerce, il commence des études à l’université du Missouri, quand la crise de 1930 l’oblige à travailler trois ans dans une fabrique de souliers — période qu’il qualifie de « mort vivante ». Après une grave maladie, il reprend ses études à l’université d’Iowa. Il écrit, très jeune, des poèmes, puis des pièces de circonstance pour l’université. Très tôt, il a un désir de professionnel : « atteindre un public de masse ». Il a déjà écrit cinq pièces en un acte — qui seront réunies sous le titre American Blues (1948) — et Battle of Angels (1940), sa première grande pièce, quand un agent littéraire de Broadway, Audrey Wood, le remarque et le prend en main avec un contrat pour Hollywood.

The Glass Menagerie (la Ménagerie de verre, 1945) établit sa réputation. Dans cette pièce tendre et émouvante, Williams se présente lui-même sous le nom de Tom et évoque ses souvenirs d’enfance : une famille ruinée de Saint Louis. La mère, délaissée, vit parmi ses souvenirs et rêve d’un riche mariage pour son fils Tom et sa fille Laura, boiteuse et timide. La fille s’évade pathétiquement dans un monde imaginaire peuplée de ses petits animaux de verre ; le fils s’engage dans la marine.

Avec A Streetcar named Desire (Un tramway nommé Désir, 1947), il reprend ce thème de la frustration féminine, mais avec une violence mélodramatique : une vieille belle se jette dans les bras de son beau-frère et finit par perdre la raison ; habilement, le personnage de Blanche demeure ambigu : ni victime ni coupable. Summer and Smoke (Été et fumée, 1948), pièce sans brio, est l’un des rares échecs avec Camino Real (1953), allégorie fumeuse. The Rose Tattoo (la Rosé tatouée, 1951) est une farce pleine de verve, de sensualité et d’humour : une veuve sicilienne reprend goût à la vie dans les bras d’un solide camionneur. L’obsession de la chair sort ici superbement de son confinement. Cat on a Hot Tin Roof (la Chatte sur un toit brûlant, 1955) est un drame d’argent sudiste : chatte habile, pour garder son mari homosexuel et alcoolique et capter l’héritage, l’héroïne sait marcher parmi les embûches. Dans Orpheus descending (la Descente d’Orphée, 1957), Williams adapte librement le mythe d’Orphée : un guitariste trop séduisant est victime de la jalousie des hommes. En 1958, Suddenly Last Summer (Soudain l’été dernier) a un grand succès de scandale : une jeune fille droguée y raconte le lynchage par des enfants d’un esthète oisif. Sweet Bird of Youth (Doux Oiseau de jeunesse, 1959) clôt le cycle des drames de la passion effrénée en évoquant les rapports troubles d’une vieille vedette et de son gigolo.

Period of Adjustment (Période d’adaptation, 1960) marque un tournant dans l’œuvre, un apaisement pragmatique qui est confirmé par les pièces suivantes : The Night of the Iguana (1961), The Milk Train doesn’t stop here anymore (1964), The Eccentricities of a Nightingale (1965), Slapstick Tragedy (1965), Outcry (1971), Small Craft Warnings (1972), qui ont déçu le public, habitué aux grandes orgues de Williams et blasé par l’évolution des mœurs. Psychanalysé, converti au catholicisme, Williams semble avoir perdu sa facilité d’écriture splendide.

La qualité des grandes pièces de Williams repose sur un équilibre rare du réalisme et de la poésie, équilibre tendu jusqu’à l’extrême du mélodrame et de la rhétorique. Elle repose aussi sur l’art d’associer le monologue lyrique et la tension dramatique, la diction poétique et le sordide. Le succès de ce théâtre doit quelque chose au scandale (Baby Doll, 1956). Néanmoins, son avenir est assuré parce que, par-delà la simple audace, Williams a mis en scène des « outsiders », qui ne sont, curieusement pour un Américain, ni des nègres ni des juifs, mais des « marginaux » de la passion et de l’imagination qui refusent le monde tel qu’il est : artistes, obsédés sexuels, fous, infirmes, étrangers, pour lesquels il déclenche notre sympathie en nous associant à la menace qui pèse sur eux. Cette critique du monde, qui est en partie sociale et politique, s’étend à la conception d’un univers sans Dieu, où il n’y a de salut que dans la fuite ou la résignation à la mort. Par-delà le bizarre et le baroque de ses excès, Williams parvient, à travers des êtres anormaux dans des situations extraordinaires, à nous présenter quelque chose d’essentiel, de juste et de poignant sur le drame essentiel de la vie quotidienne : la frustration de la vie en société. En nous invitant à l’indulgence, voire à la complicité pour ses obsédés ou ses délirants, Tennessee Williams dénonce l’inhumanité d’une civilisation où tout ce qui n’est pas conforme est condamné. En ce sens, par-delà son succès de scandale, il peut rester populaire dans une société qui cherche de plus en plus consciemment à se libérer de ses tabous.

J. C.

 S. L. Falk, Tennessee Williams (New Haven, Connect., 1961). / B. Nelson, Tennessee Williams (New York, 1961). / N. M. Tischer, Tennessee Williams, Rebellious Puritan (New York, 1961). / E. M. Jackson, The Broken World of Tennessee Williams (Madison, Wisc., 1965). / G. Weales, Tennessee Williams (Minneapolis, 1965). / J. Fayard, Tennessee Williams (Seghers, 1972).