Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Wagner (Richard) (suite)

Le wagnérisme

Wagner n’eut, à l’origine, qu’un petit groupe d’amis et de défenseurs, mais les représentations de Bayreuth firent croître rapidement sa notoriété. Ses théories se répandirent assez vite, et, bien qu’il eût donné aux jeunes compositeurs français de 1879 ce conseil : « Ne soyez d’aucune école, surtout pas de la mienne », les artistes de toute discipline s’en emparèrent. On vit alors, à des degrés divers, le wagnérisme envahir la peinture, la littérature, la poésie, le théâtre et la musique : toutes les nations payèrent leur tribut à l’esthétique wagnérienne. En Europe centrale, Engelbert Humperdinck (1854-1921), Hugo Wolf*, Anton Bruckner* et Gustav Mahler* sont les fidèles disciples de Wagner ; seuls Hans Pfitzner (1869-1949) et Richard Strauss* parviennent à s’affranchir partiellement de son emprise, bien que la structure symphonique de leurs drames rappelle parfois le souvenir du maître qu’ils vénèrent. En Italie, la forte personnalité de Verdi* parvient difficilement à se dégager de l’influence wagnérienne, malgré la noblesse d’accents et le lyrisme épuré des dernières œuvres : Aïda, Otello, Falstaff. En dépit des sources folkloriques auxquelles ils s’abreuvent, les compositeurs slaves et scandinaves ne peuvent se libérer totalement des moyens d’expression que leur avait révélés l’art wagnérien.

Mais c’est en France, sans doute, que le wagnérisme s’est implanté de la manière la plus durable. D’Ernest Reyer (1823-1909) à nos jours, en passant par le théâtre naturaliste* d’Alfred Bruneau et de Gustave Charpentier, les œuvres romantiques de Xavier Leroux et Gwendoline de Chabrier*, le drame musical, usant du leitmotiv comme élément fondamental de composition, a été la forme la plus fréquemment adoptée par les compositeurs français. Vincent d’Indy* et ses disciples de la Schola cantorum y sont entièrement soumis ; l’un de ces derniers, Albéric Magnard (1865-1914), déclare même dans la préface de Bérénice avoir délibérément choisi le style wagnérien parce qu’il est « celui qui convenait le mieux à ses goûts tout classiques et à sa culture musicale toute traditionnelle ». Debussy* lui-même, par l’usage de certains thèmes conducteurs dans Pelléas et Mélisande, n’échappe pas totalement à l’envoûtement de celui dont il considérait l’œuvre ultime, Parsifal, comme « un des plus beaux monuments sonores que l’on ait jamais élevés à la gloire imperturbable de la musique ». Dans le domaine de la musique symphonique et du lied, le langage wagnérien exerça de même une influence notoire sur les œuvres de César Franck*, d’Henri Duparc*, d’Ernest Chausson (1855-1899), de Paul Dukas* et de nombre de ses élèves.

Quant aux autres disciplines artistiques, elles n’ont pu se dérober efficacement à l’impulsion donnée par ces idées nouvelles. Les peintres y participent plus particulièrement avec les lithographies wagnériennes de Fantin-Latour, d’Odilon Redon et de Jacques-Émile Blanche. Poètes et littérateurs entrent aussi en lice ; un courant se crée dans le sillage de l’idéal wagnérien ; aux premiers défenseurs se joignent de nouveaux apôtres, et les noms de Baudelaire, de Théophile Gautier, de Gérard de Nerval, de Champfleury, de Villiers de L’Isle-Adam, de Catulle Mendès, de Mallarmé, de Verlaine, de Théodore de Banville, de Huysmans, de Zola, de Joséphin Peladan, d’Émile Baumann, d’Élémir Bourges, de Marcel Proust, parmi tant d’autres, évoquent le rayonnement littéraire de la nouvelle religion. La Revue wagnérienne (1885-1888), fondée par Édouard Dujardin (1861-1949), marque l’apogée de cette ruée vers le wagnérisme ; la collection complète (rééditée en 1968) donne une idée très exacte de l’atmosphère exaltée où se complaisaient les wagnériens de toute obédience. Se limitant à des objectifs plus précis, les esthéticiens s’efforceront ultérieurement d’établir objectivement les rapports qui existent entre le symbolisme des mythes wagnériens et la pensée philosophique de l’époque. Le pessimisme de Schopenhauer*, sa métaphysique de l’amour, sa théorie de vouloir-vivre et l’apologie du renoncement, tout comme la volte-face de Nietzsche entre l’Origine de la tragédie et le Crépuscule des faux dieux éclaireront alors d’un jour singulier l’œuvre de Wagner, en la situant très exactement dans l’histoire de la pensée humaine, et contribueront à mettre en valeur son originalité foncière.

Siegfried Wagner

Compositeur allemand (Tribschen, Suisse, 1869 - Bayreuth 1930).

Fils de Richard Wagner et de Cosima, il commença par étudier l’architecture avant de s’orienter vers la musique. Il se fit alors connaître comme chef d’orchestre et compositeur. De 1896 à sa mort, il consacra son activité aux représentations du festival de Bayreuth, dont il fut le fervent animateur.

principales œuvres : Sehnsucht, poème symphonique d’après Schiller (1895) ; Concertstück pour flûte et petit orchestre (1913) ; 1 concerto de violon (1915) ; des opéras : Der Bärenhäuter (1899), Herzog Wildfang (1901), Der Kobold (1904), Bruder Lustig (1905), Sternengebot (1908), Banadietrich (1910), An allem ist Hütchen schuld (1917), Schwarzschwanenreich (1918), Sonnenflammen (1918), Der Schmied von Marienburg (1923), Der Friedensengel (1926), Der Heidenkönig (1933) ainsi que Rainulf und Adelasia (1922), Die heilige Linde (1927), Wahnopfer (1928), non représentés.

Wieland Wagner

Régisseur allemand (Bayreuth 1917 - Munich 1966).

Fils de Siegfried Wagner et petit-fils de Richard Wagner, après avoir fait ses études secondaires au lycée de Bayreuth et obtenu le baccalauréat, il séjourna plusieurs années à Munich, où il travailla la peinture, l’harmonie et le contrepoint tout en complétant sa culture générale. C’est en 1943 qu’il fit sa première mise en scène, le Ring, au théâtre de cour d’Altenburg. En 1951, pour la réouverture du Festspielhaus, il prenait avec son frère Wolfgang (né en 1919) la direction des festivals, dont il allait être l’un des plus géniaux animateurs. Sa réputation de metteur en scène franchit rapidement les frontières, et son activité s’étendit en peu de temps aux principales villes d’Allemagne et de l’étranger, où il mit en scène non seulement les œuvres de R. Wagner, mais aussi Fidelio, Orphée, Antigone, Elektra, Salomé, Lulu. S’inscrivant dans l’optique des recherches antérieures d’Adolphe Appia (1862-1928), ses réalisations scéniques, extrêmement dépouillées, se réduisent à des schèmes essentiels, dont l’apparence abstraite exprime directement l’essence du drame, et mettent en relief la vie intérieure des personnages promus au rang d’archétypes autant que les mobiles qui déterminent l’action. Ainsi Wieland Wagner parvient-il à nous plonger au cœur même de la légende au lieu de nous la faire découvrir par ses contingences externes. L’immatérialité de la lumière, qui joue, dans cette conception, un rôle de premier plan, lui a permis d’atteindre en 1962, dans Tristan et Isolde, un stade où le conflit des héros légendaires s’élève au-delà d’eux-mêmes, jusqu’au drame de l’Amour et de la Mort, dans une ascèse qui rejoint celle des Hymnes à la nuit de Novalis. Avec lui disparaissait en 1966 le plus révolutionnaire et le plus génial des metteurs en scène contemporains ; son influence considérable se fera longtemps encore sentir sur les scènes du monde entier.

 W. Panofski, Wieland Wagner (Brême, 1964). / A. Goléa, Entretiens avec Wieland Wagner (Belfond, 1967). / W. E. Schäfer, Wieland Wagner (Tübingen, 1970).

G. F.

➙ Opéra.