Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W
W

Wagner (Richard)

Compositeur et dramaturge allemand (Leipzig 1813 - Venise 1883).



La vie

Orphelin de père à l’âge de six mois, il est élevé par sa mère, par son beau-père — l’acteur Ludwig Geyer, peintre et poète à ses heures — ainsi que par son oncle Adolf ; l’intérêt porté par ce dernier à la philosophie, à la philologie et aux arts exercera une influence certaine sur la formation et l’orientation ultérieure de l’enfant. Celui-ci commence ses études à la Kreuzschule de Dresde, où la famille Wagner s’est installée en 1814 ; s’enthousiasmant pour Homère et pour Shakespeare, il déclare, vers sa onzième année, qu’il sera poète. De retour à Leipzig (1827), il ébauche un drame, Leubald, qu’il envisage de mettre en musique, mais il lui faut reconnaître rapidement que les principes et les règles fondamentales lui font défaut ; la Méthode de basse chiffrée de Logier, qu’il loue avec ses économies personnelles, ne peut combler ce vide. Une sonate, un quatuor, une ouverture, un opéra et une pastorale tirés de Goethe achèvent de le convaincre de la nécessité d’études sérieuses. Tout en poursuivant son éducation philosophique, Wagner travaille l’harmonie et le contrepoint avec Christian Theodor Weinlig (1780-1842), le cantor de Leipzig.

Possédant désormais la technique requise, il compose ses premières œuvres véritables : une fantaisie, deux sonates, une polonaise pour le piano, sept compositions pour le Faust de Goethe, l’esquisse des Noces (œuvre de théâtre inachevée) ainsi que son premier opéra, les Fées (1833). Chef de chant à Würzburg (1833), puis chef d’orchestre à Magdebourg (1834-1836), il s’éprend d’une jeune cantatrice, Minna Planer (1809-1866), qu’il épouse malgré l’opposition de sa famille (1836). L’échec de son deuxième opéra, Défense d’aimer (conçu d’après Mesure pour mesure de Shakespeare), et la fermeture du théâtre le conduisent à Leipzig, puis à Königsberg, d’où le chasse une nouvelle faillite (1837). Riga l’accueille alors pour deux ans (1837-1839) ; c’est là qu’il esquisse Rienzi (1838).

Le directeur du théâtre ayant abandonné son poste, Wagner se trouve de nouveau sans emploi et quitte Riga en janvier 1839 pour tenter sa chance à Paris. Après une traversée mouvementée, suivie d’une brève halte à Londres, il atteint Boulogne-sur-Mer, où il rencontre Meyerbeer ; malgré l’appui qu’on lui promet, ses démarches échouent l’une après l’autre dans la capitale. Les déceptions qu’il éprouve et la misère qui l’accable l’obligent à se livrer à des travaux lucratifs — transcriptions diverses d’ouvrages célèbres et articles de revues —, ce qui ne l’empêche pas d’achever Rienzi (1840) et d’entreprendre le Vaisseau fantôme, dont il écrit la partition en moins de sept semaines dans son logis de Meudon.

Wagner rentre à Dresde en 1842 pour y monter Rienzi, dont le succès entraîne sa nomination comme maître de chapelle de la cour royale de Saxe le 2 février 1843. Un mois plus tôt, cependant, le Vaisseau fantôme n’a obtenu qu’un succès d’estime, et, en 1845, Tannhäuser se soldera par un échec. Les affronts que Wagner essuie et les déboires qui se multiplient l’incitent à participer dès 1848 au mouvement révolutionnaire naissant ; ami d’August Röckel et de Bakounine, il prend part au soulèvement de Dresde (1849) ; l’échec de l’insurrection, le triomphe de la réaction et le mandat d’amener décerné contre lui le contraignent à fuir et à se réfugier à Zurich.

Moralement abandonné par sa femme, qui lui reproche d’avoir sacrifié sa situation à son idéologie, dénué de ressources, Wagner ne vit que grâce aux subsides d’amis fidèles, tel Liszt*, qu’il a connu à Paris en 1841 et qui ne l’abandonnera jamais. Au sein de cet exil, il rédige quelques essais où s’expriment ses théories sur l’art et la vie sociale : l’Art et la Révolution, l’Œuvre d’art de l’avenir (1849), Opéra et drame (1851). Après avoir ébauché, puis abandonné Wieland le Forgeron, qu’il avait espéré vainement faire accepter à Paris, il entreprend, sur les conseils de Liszt, qui vient de monter Lohengrin à Weimar (1850), la réalisation de l’Anneau du Nibelung, dont la première esquisse remonte à l’automne de 1848 et qu’il n’achèvera qu’une vingtaine d’années plus tard. La version originale du poème entier est terminée le 15 décembre 1852, mais la passion amoureuse qu’il éprouve pour Mathilde Wesendonk, (1828-1902), femme d’un riche industriel de Zurich, et l’élaboration de Tristan et Isolde (conçu en 1854), qui en est le fruit, vont interrompre et retarder la mise en œuvre de la partition musicale.

Le 17 août 1858, à la suite d’une lettre interceptée par Minna, Richard Wagner quitte l’« Asyl auf dem grünen Hügel », que ses amis lui avaient offert l’année précédente ; il se rend à Venise, où il passe l’hiver, et revient en mars à Lucerne, où il achève Tristan le 6 août 1859. En 1861, il confiera dans une lettre à Mathilde Wesendonk : « D’avoir écrit Tristan, je vous demeure reconnaissant, en toute éternité, du fond de l’âme. » Du séjour sur la colline verte date non seulement Tristan, mais encore quelques polkas et valses écrites à l’intention de Mathilde et de sa sœur Marie, le dessein d’une « sonate pour Mathilde Wesendonk » (1853), la première esquisse en prose de Parsifal (« Vendredi saint », 1857) et les cinq lieder sur les poèmes de Mathilde Wesendonk.

Durant quelques années, Wagner lutte et s’efforce d’imposer son œuvre. Arrivé en septembre 1859 à Paris, il dirige au Théâtre-Italien trois concerts de ses œuvres (25 janv., 1er et 8 févr. 1860), auxquels assistent de nombreuses personnalités parisiennes appartenant au monde des arts. On reconnaît, entre autres, parmi les auditeurs : le docteur A. de Gaspérini, Frédéric Villot, conservateur du Louvre, le poète Charles Baudelaire, le romancier Jules Champfleury, le peintre Gustave Doré, Émile Perrin, futur administrateur de l’Opéra et de la Comédie-Française, Léon Kreutzer, critique à la Revue et gazette musicale, Stephen Heller, pianiste et compositeur, ainsi que Louis Lacombe, Charles Gounod et Camille Saint-Saëns. Au début de mai 1860, Pauline Viardot fait entendre chez elle le deuxième acte de Tristan en l’honneur de Marie de Kalergis, qui a subventionné les précédents concerts ; Karl Klindworth tient le piano, et Berlioz est l’unique auditeur. Deux concerts à Bruxelles et une escapade à Anvers dans l’espoir (d’ailleurs déçu) d’y confirmer sa conception décorative du premier acte de Lohengrin ont rempli les dernières semaines de mars ; un voyage d’une semaine en Rhénanie au mois d’août 1860 à l’occasion d’une amnistie partielle précède de peu la mise en répétitions de Tannhäuser à l’Opéra de Paris ; malgré les remaniements opérés en vue de ces représentations, la cabale des membres du Jockey Club fait tomber l’œuvre (13 mars 1861), qui est retirée de l’affiche après trois représentations particulièrement tumultueuses. C’est pendant les répétitions que la Librairie nouvelle fait paraître les Quatre Poèmes d’opéra, traduits en prose française, précédés d’une lettre sur la musique, où se trouvent résumées les idées essentielles de Wagner sur l’art.