Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vitrocérame

Matériau vitrocristallin obtenu par les techniques verrières et céramisé ensuite par un traitement thermique convenable.


La dévitrification d’un verre est généralement un accident. Il arrive que des objets ayant séjourné intempestivement dans une arche deviennent opaques par suite de la dévitrification, mais ils sont généralement déformés. Réaumur avait observé le phénomène et maintenait la forme en noyant l’objet dans du sable (porcelaine de Réaumur). La dévitrification exige la présence de germes cristallins dont la température de formation ne coïncide pas nécessairement avec celle qui permettrait la croissance des cristaux. Le phénomène n’a d’ailleurs été bien compris qu’après les études récentes sur les questions d’immiscibilité et de séparation de phases. Si, sur le diagramme d’équilibre le plus simple de la séparation d’un mélange liquide homogène de deux corps A et B, en deux liquides séparés A + B, il ne se produit pas de cristallisation au refroidissement pour aucun des deux corps A ou B, on peut observer la formation de deux verres superposés. On réserve le terme de démixtion pour caractériser une séparation de phases dans laquelle l’une des phases précipite dans l’autre (matrice) d’une manière désordonnée, conduisant à un milieu vitreux, en apparence isotrope, mais constitué par des microhétérogénéités. Les systèmes SiO2Li2O et SiO2Na2O présentent cette tendance à la démixtion. Des considérations thermodynamiques font que la démixtion est ou n’est pas spontanée. La courbe qui sépare les deux domaines métastables est appelée spinodale. Dans les régions extérieures à la limite spinodale, l’état métastable tolère de faibles fluctuations de composition. La démixtion ne s’amorce qu’en présence d’agents formateurs de germes. À l’intérieur de la courbe spinodale, la décomposition est spontanée et se produit en tous points, sans germes, de sorte que les deux phases sont interconnectées. La cristallisation de l’une ou des deux phases peut intervenir alors à la condition d’introduire des germes cristallins. De tels germes peuvent ne pas correspondre au cristal qui va se former, pourvu que la structure cristalline de ces germes qui va servir de modèle soit de même type et que les paramètres cristallins ne diffèrent pas de ± 10 à 15 p. 100. Pour obtenir la présence de ces germes dans les verres destinés à être céramisés, on s’adresse à des éléments solubles dans le verre fondu et insolubles à plus basse température, tels que l’oxyde de zirconium (ou zircone) ZrO2, l’oxyde de titane TiO2, l’oxyde de zinc ZnO, etc. La composition est choisie pour présenter le phénomène de démixtion. En effet, la céramisation de la porcelaine de Réaumur se faisait à une température à laquelle le verre ordinaire se ramollissait ; dans les vitrocérames, une des phases interconnectées qui dévitrifie la première sert de support à l’autre jusqu’à ce que, suffisamment ramollie à son tour, elle puisse dévitrifier.

Après la fusion normale de la composition choisie, les objets sont mis en forme par les procédés habituels en verrerie. L’objet est ensuite maintenu à la température voulue pour que l’agent nucléant agisse (une centaine de degrés au-dessus de la température de recuisson), puis est porté à la température de céramisation, qui dépend des phases cristallines engendrées.

La transformation peut être totale ou garder une partie vitreuse. Un verre à 65,5 p. 100 de silice SiO2, à 26 p. 100 d’alumine Al2O3, à 4 p. 100 d’oxyde de lithium Li2O, à 4,5 p. 100 d’oxyde de titane TiO2 cristallise en deux heures à 900 °C.

Au contraire des céramiques classiques, issues du frittage de grains de dimensions finies, les vitrocérames proviennent de germes de dimensions submicroscopiques, répartis uniformément dans la masse. Les cristaux obtenus sont très fins et étroitement liés. Il en résulte une grande résistance à la rupture. Un éventail considérable de composition permet d’adapter les propriétés des vitrocérames à de multiples usages :
— radômes (très faibles pertes diélectriques) ;
— vaisselle culinaire (très bonne résistance aux chocs thermiques) ;
— canalisations en génie chimique (très faible attaquabilité) ;
— soudure des tubes de télévision en couleurs (céramisation à basse température) ;
— disques de télescopes (très faible coefficient de dilatation), etc.

Les Russes utilisent comme matière première des scories vitreuses, qui conduisent, après céramisation, à des plaques de roulage et à des conduits d’une remarquable dureté et d’une excellente résistance à l’abrasion.

I. P.

➙ Céramique / Verre / Verrerie.

 W. M. Pvlushkiw, Principes de la technologie des Sitalls (Moscou, 1970). / O. Knapp et P. O. Kunth, Glaskeramiken und Schmelzsteine (Dresde, 1972).

Vitruve

Ingénieur militaire et hydraulicien romain du ier s. av. J.-C., auteur d’un traité d’architecture, le seul de l’Antiquité à nous être parvenu.


L’époque d’Auguste, dans les deux grands témoignages en prose qu’elle nous a légués, l’Architecture de Vitruve et l’Histoire de Rome de Tite-Live*, s’est attachée à recueillir une tradition appelée à guider notre classicisme* dans le choix de ses modèles. Cela a donné le type du héros cornélien, mais nous a condamné, en architecture, à méconnaître trop longtemps l’apport romain impérial (v. Rome). L’architecte, il est vrai, n’avait rien d’un visionnaire, du moins si l’on en juge sur un texte privé de son illustration et maintes fois recopié durant tout le Moyen Âge jusqu’à sa première édition à Rome en 1486.

Par son œuvre, dédiée à un empereur qu’on peut identifier à Auguste — la situant ainsi vers 27-23 av. J.-C. —, on sait que Vitruve éleva la basilique de Fanum Fortunae (auj. Fano) en interprétant les règles hellénistiques. Grâce à Frontin (ier s. apr. J.-C.), qui lui attribua le module quinaire en lui dédiant ses Aqueducs de Rome, on sait aussi qu’il fut ingénieur du service des eaux ; mais on n’est pas certain de son identité. Dans un travail de compilation du milieu du iiie s., Faventinus cite : « Vitruvius Pollio et autres » ; mais Pollio désigne-t-il le cognomen ou une autre personne ? Après Auguste Choisy, Paul Thielscher (dans Realenzyclopädie, 1961) a opté pour la seconde solution ; mieux, il a voulu voir dans l’architecte le praefectus fabrum de Jules César et son favori : le chevalier de Formiae, Lucius Vitruvius Mamurra (ier s. av. J.-C.). L’organisation du génie militaire, l’emploi des engins de siège ont eu une large part dans la conquête des Gaules ; aussi peut-il être tentant d’identifier à l’officier de César notre obscur architecte, dont on sait par ailleurs qu’il fut expert en machines de guerre. Des spécialistes, il est vrai, s’y refusent ; pour Pierre Ruffel et Jean Soubiran, par exemple (Recherches sur la tradition manuscrite de Vitruve, 1960), les contradictions du texte peuvent s’expliquer par une dualité de rédaction, et son appareil mathématique par l’intervention d’un autre Vitruve, auteur, au ier s. de l’Empire, d’un traité d’arpentage. Après tout, si l’architecte avait été le second de César, pourquoi serait-il resté muet à ce propos vingt ans après la disparition de son chef ?