Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

vitrail (suite)

Une fois peintes, les pièces de verre sont cuites au four, puis assemblées dans un réseau de plomb pour former les panneaux, le plus souvent carrés ou rectangulaires. Les panneaux sont ensuite mastiqués pour qu’ils soient imperméables, puis munis de tiges métalliques, les vergettes, qui leur assurent une certaine rigidité. Pour les recevoir, la fenêtre est pourvue de barlotières, barres de fer dont les extrémités sont scellées dans la pierre ; ces barres sont généralement horizontales et verticales, mais ont aussi été forgées à la forme des panneaux aux xiie et xiiie s.

L’enchaînement des opérations s’est peu modifié au cours du temps et se pratique encore de nos jours ; mais on ne sait rien sur l’origine de cette technique. Les fouilles ont mis au jour des débris de vitraux du vie (Ravenne) et du xe s. (Basse-Œuvre de Beauvais). Mais les fragments qui constituent les premiers vitraux connus — têtes du Christ de Lorsch (musée de Darmstadt) et de Wissembourg (musée de l’Œuvre Notre-Dame à Strasbourg) — ne remontent pas au-delà du xie s.


Le vitrail roman

Les plus anciens vitraux complets restés en place datent des environs de 1100 et se trouvent dans les fenêtres hautes de la cathédrale d’Augsbourg. Au cours du xiie s. se développent localement diverses « écoles », principalement en France, dans l’Ouest (Le Mans, Angers, Vendôme, Poitiers), le Centre (Clermont-Ferrand, Lyon, Gargilesse, Le Champ), en Champagne (Châlons-sur-Marne) et dans la région parisienne (Saint-Denis, Chartres).

Ces vitraux, comme des plaques d’orfèvrerie lumineuse, s’enchâssent dans des ouvertures qui percent des murs encore épais. De larges bordures les entourent, composées de motifs complexes, délimitant un champ sur lequel se détachent les médaillons carrés ou circulaires, ceinturés d’un ruban décoré, qui abritent des figures isolées ou des scènes d’une iconographie savante. Les verres sont épais, mais de teintes claires, découpés en petites pièces qui font scintiller la lumière. La peinture, d’une technique très minutieuse, utilise le même langage que la fresque et l’enluminure romanes* : personnages traités en aplats, drapés compliqués avec plis en V, visages et mains soigneusement détaillés.

Des caractères analogues marquent les rares vitraux de la seconde moitié du xiie s. conservés dans les pays germaniques, notamment les panneaux peints par Gerlachus, le premier peintre verrier dont la signature, accompagnant l’autoportrait, nous soit parvenue (musée de Münster), ceux de Sankt Patrokli de Soest (Westphalie), la Vierge de Flums (Zurich, Musée national). Cette esthétique romane se retrouve à la cathédrale de Strasbourg et persiste pendant la première moitié du xiiie s. (Ardagger, Autriche, v. 1225-1240).


Le vitrail gothique


xiie-xiiie siècle

Dès la fin du xiie s. et surtout au début du xiiie, les chantiers des grandes cathédrales et la construction de nombreuses églises paroissiales fournissent aux peintres verriers l’occasion d’une activité dont l’ampleur ne se retrouvera plus à aucun moment de l’histoire.

L’extension des surfaces vitrées, liée au développement de l’architecture gothique*, s’accompagne d’un changement qualitatif dans la fonction du vitrail : de composition inscrite dans une ouverture de la paroi, celui-ci devient paroi lui-même et définit le volume intérieur ; au terme de cette évolution, la maçonnerie a entièrement cédé la place à d’immenses murs de lumière, auxquels une coloration assombrie, dominée par l’accord rouge-bleu virant au violet, donne une nouvelle densité. Dans ces murailles de verre, le décor, moins riche qu’à l’époque romane, forme un tissu serré autour des parties figurées, regroupées en grands médaillons aux formes élaborées. La composition des scènes se complique, et les personnages, plus nombreux, perdent leur attitude hiératique. La technique se simplifie et abandonne le graphisme rigide de la peinture romane pour un modelé à deux tons de grisaille qui suggère mieux les volumes.

Les premiers exemples de cette peinture gothique apparaissent en France, à Saint-Remi de Reims (v. 1180), et en Angleterre, à Canterbury (apr. 1174). L’évolution se poursuit au cours du premier tiers du xiiie s. dans les grandes vitreries de Laon, de Soissons, de Saint-Quentin, d’Amiens, de Notre-Dame de Paris, de Bourges, du Mans, etc., avec une variété de styles dont la cathédrale de Chartres offre à elle seule un magnifique échantillonnage, et atteint son apogée à la Sainte-Chapelle de Paris*.

Vers le milieu du xiiie s., l’influence du vitrail français s’étend à toute l’Europe : en Espagne (León), en Italie (Assise) et, dans les pays germaniques (par l’intermédiaire de la cathédrale de Strasbourg), jusqu’à Marburg, Ratisbonne et Semmering en Autriche (v. 1290).

Le vitrail germanique connaît des courants stylistiques locaux, dont certains auront des prolongements dans le Jutland. L’un d’eux est caractérisé par un mode de composition particulier : sur un « tapis » décoratif vivement coloré sont placées des files de médaillons superposés, aux contours redentés, qui enferment des personnages isolés (Figuren im Langpass). Les réalisations les plus typiques se voient à Naumburg (v. 1250) et, en Autriche, à Heiligenkreuz (v. 1290). Le vitrail italien, très influencé à ses débuts par le vitrail allemand, en offre de beaux exemples vers la fin du xiiie s. et au début du xive à Assise et à Florence (Santa Croce).


xive siècle

L’évolution du vitrail au xive s., parallèle à celle des autres arts, tend vers un langage commun, le « gothique international », qui se répand dans toute l’Europe autour de 1400. Il y a deux courants principaux, les vitreries claires de France et d’Angleterre s’opposant à la pleine couleur dans les pays germaniques et en Italie.

Précisons qu’à côté des vitraux colorés on a produit dès le xiie s. des « grisailles », compositions décoratives peintes sur verre blanc, cela tant pour améliorer l’éclairage que pour réaliser des économies. Ainsi au déambulatoire de Saint-Denis vers 1150, puis dans les édifices du xiiie s., à Chartres, à Auxerre, à Salisbury, à York, etc. Les grisailles sont aussi le décor principal des églises cisterciennes, surtout en Allemagne (Haina, Altenberg) et en Autriche (Heiligenkreuz). La seconde moitié du xiiie s. voit divers essais de composition associant grisailles et panneaux de couleur. De ces tentatives naît le parti qui dominera en France et en Angleterre au xive s. : les panneaux de couleur, représentant des scènes ou des figures isolées dans un encadrement d’architecture, forment une bande horizontale entre deux registres de grisailles — ainsi dès 1270 à Saint-Urbain de Troyes. Cette nouvelle conception de la fenêtre appelle une gamme colorée plus légère, que le jaune d’argent, inventé au début du siècle, enrichit de nuances délicates. La peinture, très élégante, se rapproche de la miniature parisienne (Jean Pucelle*). Les plus beaux exemples se voient à Oxford (Merton College) et à la cathédrale d’York vers 1310, à Saint-Ouen de Rouen après 1318, à la cathédrale d’Évreux vers 1320.