Vesaas (Tarjei) (suite)
Vesaas suggère plus qu’il ne raconte ; sa prose même est souvent si lyrique qu’on ne s’étonne pas dé le voir aussi publier des recueils de poèmes. Le premier, les Sources (1946), reste traditionnel quant aux formes de la langue, mais, avec le Jeu et la foudre (1947), Bonne Chance aux voyageurs (1949), le Pays des feux cachés (1953) et enfin Rêve, renouvelle-toi (1956), il fait figure de pionnier en introduisant les tendances les plus modernistes dans la poésie norvégienne. Il passe de l’idylle à l’angoisse la plus déchirante, use d’un style parfois excessivement simple ou au contraire fort complexe, mais il a le don de rester toujours original.
Si ses romans portent volontiers la marque du drame, une pièce de théâtre comme la Brise matinale (1947) est d’un lyrisme tel qu’il est presque impossible de la porter à la scène. Par contre, la technique de ses pièces pour la radio est irréprochable : il sait dégager une atmosphère, jouer de sous-entendus et d’allusions, se servir au mieux des répliques à voix basse et des silences.
Le roman intitulé les Oiseaux (1957), un des sommets de sa création littéraire, est l’histoire de Mattis, l’idiot du village, qui en fait possède un don que les autres ont perdu : celui de s’émerveiller devant les choses de la nature, leur beauté, leur poésie. Il se rend compte qu’il est à la charge de sa sœur quand celle-ci tombe amoureuse : il s’éloigne à la force des rames et défonce sa barque. Le Palais de glace (1963) donne un aperçu de ce qui peut remuer le cœur des adolescents. Attirée par l’éclat envoûtant d’une cascade gelée, une jeune fille s’y perd et les efforts pour la retrouver restent vains ; sa meilleure amie s’isole, mais elle sera sauvée par le contact de ses camarades, tandis que le printemps fait fondre la glace dans la nature. Ce sont aussi les rapports entre des jeunes filles qui font l’objet de cet autre roman, les Ponts (1966) ; Aud et Torvil découvrent le corps d’un bébé que sa mère a tué, et celle-ci est aussi décidée à se donner la mort ; elles réussiront à lui faire reprendre goût à la vie. Les ponts sont ici le symbole des contacts humains. Le Feu (1961), de forme purement surréaliste, révèle un auteur ouvert aux influences nouvelles de la littérature. L’action se déroule dans un monde de rêve dont les aspects sont tirés de la réalité, mais qui ne prête pas pour autant à une interprétation allégorique. Il s’agit de l’échec du héros, qui ne parvient ni à arracher les hommes à leur isolation, ni même à sortir de la sienne. Son dernier roman, le Bateau du soir (1968), qui tient en partie de l’autobiographie, rassemble tous les grands thèmes déjà abordés : l’amour naissant, rempli d’appréhensions ; le monde des enfants dressé contre celui des adultes ; le conflit entre le besoin de vie en commun et de solitude ; la lutte entre les forces destructives et créatrices de l’univers.
Tarjei Vesaas meurt le 15 mars 1970, laissant une œuvre riche et variée, empreinte d’émotion et de mystique. Ses romans, dont des pages entières sont de véritables poèmes en prose, ont pour la plupart un fond de tragédie ; les personnages se révèlent de façon plus intense dans la souffrance et dans la peine que dans la joie simple et totale.
J. R.
R. Skrede, Tarjei Vesaas (en norvégien, Oslo, 1947). / T. Brostrøm, le Monde symbolique de Vesoos (en norvégien, Oslo, 1955). / E. Steen, Tarjei Vesaas (en norvégien, Oslo, 1956). / J. E. Vold, Tarjei Vesaas (en norvégien, Oslo, 1964). / K. G. Chapman, Traits principaux de la poésie de Tarjei Vesaas (en norvégien, Oslo, 1971).