Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Véronèse (le) (suite)

Le monde du Véronèse ignore presque toujours l’expression de la douleur ou même de la tristesse — que révèle cependant la petite Crucifixion du Louvre ; il ne faut y chercher en général ni recueillement, ni intimité. C’est un monde serein et fastueux, qui traduit l’aspiration au bonheur de la société vénitienne en compositions dont les plus caractéristiques sont amples, rythmées par des architectures théâtrales, peuplées de nombreuses figures ; un monde imaginaire, bien qu’il accueille le portrait — tantôt faisant partie de la mise en scène, tantôt isolé — et des morceaux réalistes, tels que bouffons, nains, pages, soldats, chiens, singes, dont la présence au milieu d’épisodes sacrés ou mythologiques se justifie par le seul plaisir de les peindre. Cette fête est celle de la couleur. Le Véronèse joue avec magnificence des rapports de tons, de leurs accords ou parfois de leurs dissonances, de leurs échanges par les reflets. Son registre est plus lumineux que celui de ses rivaux. Dans la fresque comme dans la peinture à l’huile, où les empâtements contrastent avec les glacis, la touche fondue ou apparente estompe les contours, mais fait scintiller des lumières d’or sur les plis des somptueuses étoffes.

Il faut, cependant, se garder d’une interprétation trop exclusivement sensualiste de cet art. Dans ses compositions, le Véronèse enchaîne les figures en souples guirlandes ou affirme de puissantes diagonales. Il a le sens de l’espace ; sa perspective originale et hardie multiplie les points de fuite (comme dans les Noces de Cana, afin de mettre successivement en valeur les morceaux) et les raccourcis, abaisse souvent la ligne d’horizon pour grandir les figures du premier plan, alors que celles du fond ou de la partie supérieure (ainsi dans le Martyre de saint Georges) obéissent plutôt à une perspective frontale. Dans la décoration des plafonds et des voûtes, l’espace est conçu pour une vision oblique depuis le sol. Tout cela fait du Véronèse un précurseur du baroque.

C’est en se référant à son exemple que S. Ricci* tirera, au début du settecento, l’école vénitienne de sa torpeur, suivi de G. B. Tiepolo*, qui saura s’en inspirer plus librement. D’une manière générale, les grands coloristes doivent beaucoup au Véronèse : ainsi Delacroix*, son plus fidèle disciple posthume, ou Cézanne*, qui l’admirait.

B. de M.

 R. Pallucchini, Veronese (Bergame, 1940 ; nouv. éd., Rome 1953). / L. Vertova, Veronese (Electa, Milan, 1960). / T. Pignatti, Paolo Veronese a Maser (Milan, 1965) ; le Pitture di Paolo Veronese nella chiesa di San Sebastiano in Venezia (Milan, 1966). / R. Marini, L’Opera completa del Veronese (Milan, 1968 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint de Véronèse, Flammarion, 1970).

verre

Corps solide, minéral, non cristallin, homogène et isotrope, provenant du figeage progressif de certaines substances après fusion.


L’état vitreux solide s’accompagne généralement du caractère fragile dû à l’impossibilité de glissement des plans réticulaires, au contraire des matériaux ductiles. Une propriété habituelle, mais non nécessaire, des verres est la transparence dans le visible ; mais certains verres sont opaques dans cette région et transparents pour le rayonnement infrarouge, comme c’est le cas des verres à base de chalcogénures (S, Se, As). Par extension, on donne parfois le nom de verres organiques à des hauts polymères transparents.


Historique

La nature présente quelques exemples de corps à l’état vitreux. Ceux-ci peuvent provenir d’une fusion suivie d’un refroidissement rapide consécutif à l’impact d’une météorite (tectites), de la foudre (fulgurites), d’une éruption volcanique (obsidiennes). Des concours de circonstances ont pu provoquer de semblables formations vitreuses et être observés par l’homme ; mais il ne faut voir qu’une légende synthétique et raccourcie dans l’explication de Pline attribuant à des marchands phéniciens l’« invention » du verre, au cours de la cuisson de leur repas, sur une rive sablonneuse, en présence de blocs de nitre prélevés en manière de calage sur leur cargaison !

L’art de la formation de verres était connu des Égyptiens 4 000 ans avant l’ère chrétienne ; mais ces verres ne constituaient que des glaçures colorées apposées sur des corps de poterie. Les perles de vrai verre sont, apparues au cours de la Ve dynastie (environ 2700 av. J.-C.). Les techniques de production s’épanouirent au cours de la XVIIIe dynastie (1580-1314 av. J.-C.), période qui fournit des objets finement façonnés : vases à onguent, à parfum, etc.

L’état de conservation des objets trouvés dans les sépultures égyptiennes et les possibilités de datation masquent peut-être l’apparition de semblables techniques antérieures ou concomitantes dans d’autres parties du monde, telles que la Mésopotamie ou la Chine. En fait, l’origine du verre est obscure. Rome, puis la Gaule devinrent expertes dans cet art, qui a conservé longtemps un caractère ésotérique et a été considéré, parmi les arts du feu, comme « noble ».


Compositions vitrifiables

Une composition vitrifiable typique est 75 p. 100 de silice SiO2 (sable), 15 p. 100 d’oxyde de sodium Na2O (natron naturel, cendres sodo-potassiques, puis sulfate et aujourd’hui carbonate de sodium) et 10 p. 100 de chaux CaO provenant du calcaire. Les verres industriels dérivent de cette formule et sont à base de silice (verres silico-sodo-calciques), mais il existe des verres boriques, des verres phosphoriques, etc., ainsi que des verres mixtes, tels que les borosilicates, réputés pour leur résistance aux chocs thermiques, comme le Pyrex. Le souci de faciliter la fusion et le travail du verre ainsi que celui d’assurer une « durabilité » suffisante (résistance aux agressions atmosphériques ou aux produits chimiques) et d’adapter les verres à des contraintes de destination (optique, soudure, etc.) ont conduit les verriers à multiplier les constituants. Ainsi, l’affinage du bain de verre fondu est facilité par la présence de sulfate de sodium, d’anhydride arsénieux ou de composés fluorés. Le palier de travail est allongé par la présence d’alumine. L’anhydride borique et le zinc diminuent la viscosité aux températures élevées. On peut dire que chaque procédé de formage (coulée, laminage, étirage, soufflage, pressage, travail à la main) entraîne une adaptation de la composition, et il est fréquent de rencontrer dans une composition verrière dix constituants et plus. Les verres de couleur, les verres d’optique accroissent encore la palette des éléments qui peuvent entrer dans la constitution d’un verre.