Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vermeer (Johannes) (suite)

Miracle et poésie

Vermeer n’a donc rien d’un peintre provincial et autodidacte. Son œuvre est placée à de nombreux carrefours de la création picturale de son époque. Et pourtant elle a fait de plus en plus figure de miracle isolé et fut l’objet d’une admiration passionnée et éblouie de la part de nombreux artistes et écrivains, de Théophile Gautier à Renoir et à Van Gogh, des Concourt à Proust, à Claudel et à Malraux. Vermeer est l’un des peintres qui a poussé le plus loin l’illusion figurative, mais sans se perdre dans la sécheresse du détail minutieusement traité, sans céder d’autre part aux facilités de l’anecdote. Sa maîtrise technique est étonnante, mais ne se manifeste qu’avec discrétion, pour mettre en évidence la texture des objets et leur façon d’accrocher la lumière : perles ou tapis, éclat d’un vitrail ou épiderme terne d’une carte de géographie. Vermeer a été souvent évoqué comme l’un des précurseurs de l’impressionnisme. Cet aspect de son œuvre est le plus évident dans la Vue de Delft, que Proust admirait tant : touche pointilliste, a-t-on pu dire, faite de « gouttes lumineuses » rendant les reflets, à l’opposé des coups de brosse affirmés d’un Frans Hals* ou d’un Rembrandt comme du faire porcelaine d’un Gérard Dou (1613-1675) ou d’un Frans Van Mieris.

Quant au refus de l’anecdote, non seulement il fait de Vermeer l’antithèse d’un Jan Steen (1626-1679), mais il a amené les exégètes modernes à des interprétations aussi surprenantes que divergentes. Les titres des tableaux sont multiples et incertains. Qui sont les modèles ? Les membres de la famille de l’artiste, comme le pense Malraux ? La Femme endormie (Metropolitan Museum of Art, New York) est-elle une bourgeoise ou une servante ? Rêve-t-elle dans son sommeil ? Certaines scènes ne seraient-elles pas la représentation allégorique d’un vice, d’une vertu, d’une science, la Foi (ibid.) et l’Atelier du peintre (Kunsthistorisches Museum, Vienne) n’étant que des exemples moins voilés de cette pratique ? Il semble que la vérité soit plutôt du côté de Havard, qui pensait que Vermeer utilisait ses personnages pour leur volume, la tache colorée qu’ils constituent et non pour l’idée qu’ils expriment. Car cette vie recueillie, silencieuse, ces personnages immobiles, figés moitié dans la clarté, moitié dans une pénombre transparente, sont inséparables d’un mystère que ne peut entamer aucune spéculation rationalisante. Ce mystère se manifeste par le rendu cru de la lumière solaire, qui entre latéralement (le plus souvent par la gauche), qui éveille les symphonies de bleu, de blanc et de jaune, de bistre et de rouge, qui transfigure la pose des personnages et qui donne toute sa crédibilité à la suggestion de l’espace. Le décor est constitué le plus souvent par une salle dont le cadrage suggère un volume cubique. Des éléments de mobilier accrochent l’œil au premier plan ; un jeu savant d’obliques (damier des carrelages, fuite des murs latéraux, battant des fenêtres, dossier des chaises, plateau des tables) jalonne de diagonales le parcours vers le mur du fond, vu de face et sur lequel s’affirme au contraire la rigoureuse géométrie des verticales et des horizontales (tableaux, cartes).

Les personnages, comme perdus dans leur intériorité, condensent le calme et le silence ambiants ; la lumière joue sur leurs vêtements, sur les perles, sur les pupilles et rend évident le volume ovoïde des têtes. Toutes les composantes du tableau jouent en complète harmonie, aucune ne détruisant à son profit l’équilibre de celui-ci. Ainsi des scènes de la vie quotidienne peuvent-elles devenir les moyens de dévoilement d’un des univers les plus poétiques de la peinture, où l’immobilité et la consistance des êtres et des choses sont révélées par la magie d’une lumière quasi immanente.

« Vermeer est un intimiste hollandais pour un sociologue, non pour un peintre [...] il ne connaît d’atmosphère que de poésie », a écrit A. Malraux.

M. E.

 A. B. de Vries et R. Huyghe, Jan Vermeer de Delft suivi de Poétique de Vermeer (Tisné, 1948). / P. T. A. Swillens, Johannes Vermeer, Painter of Delft (Utrecht et New York, 1950). / L. Gowing, Vermeer (Londres, 1952). / A. Malraux, Tout Vermeer en couleurs (Gallimard, 1952). / L. Goldscheider, J. Vermeer, the Paintings (Londres, 1958 ; 2e éd., 1967). / V. Bloch, Vermeer, suivi de « l’Éloge » de Thoré-Bürger (Quatre Chemins-Editart, 1966). / P. Descargues, Vermeer (Skira, Genève, 1966). / E. Günther Grimme, Vermeer (Éd. du Chêne, 1975).

Verne (Jules)

Romancier français (Nantes 1828 - Amiens 1905).



L’écrivain le plus traduit de toutes les littératures

Phénomène unique dans les lettres françaises, et rare dans la littérature mondiale : Jules Verne est un écrivain international. Ses personnages sont aussi bien africains qu’américains, hongrois que russes, anglais qu’allemands. Tous sont décrits avec sympathie et compréhension. Aussi Jules Verne est-il devenu prodigieusement populaire, et à l’étranger plus qu’en France. Le philosophe allemand Hermann Keyserling déclarait en 1930 que Jules Verne était un des trois écrivains français ayant le plus influencé la pensée allemande. En Union soviétique, Jules Verne est un écrivain national. Aux États-Unis, son œuvre est abondamment rééditée, et nombre de films et d’émissions de télévision adaptent ses récits.

Cette œuvre, qui se compose de soixante-cinq romans et de dix-huit nouvelles, ne fut publiée intégralement qu’en 1971, et encore ce fut en Suisse et non pas en France : cette édition comprend une étude inédite sur Edgar Poe*, une nouvelle, le Comte de Chanteleine, devenue introuvable, et reprend, bien entendu, tous les sommets que sont Voyage au centre de la Terre (1864), De la Terre à la Lune (1865), Autour de la Lune (1870), Vingt Mille Lieues sous les mers (1870), le Tour du monde en quatre-vingts jours (1873) ; l’Île mystérieuse (1874), Michel Strogoff (1876), les Cinq Cents Millions de la bégum (1879), Mathias Sandorf (1885), Robur le Conquérant (1886), l’Île à hélice (1895), Face au drapeau (1896), Maître du monde (1904), la Chasse au météore (1908), le Secret de Wilhelm Storitz (1910), l’Étonnante Aventure de la mission Barsac (1919).

On notera qu’une partie de cette œuvre aura été publiée à titre posthume. Mais il n’y a cependant aucune raison de croire, comme certains l’ont laissé entendre, qu’elle ait été améliorée ou écrite par d’autres.