Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verlaine (Paul) (suite)

Dans la plupart de ces pages, Verlaine se raconte inlassablement et verbeusement ; elles offrent un intérêt plus documentaire que littéraire. Dans les Mémoires d’un veuf, on le voit interroger ses rêves. D’autres nous informent sur la vie littéraire du temps. Il faut mettre à part les études, notes, préfaces concernant Rimbaud : à partir de 1886 (première édition d’Illuminations), Verlaine se fait l’artisan de la gloire de Rimbaud et l’exploite à son bénéfice.

La correspondance, en raison d’un parti pris de vulgarisme et de gaminerie, a, elle aussi, un intérêt surtout documentaire. (Les lettres écrites de Londres à Lepelletier en 1872 forment exception.)

L’homme Verlaine a d’abord été la victime de sa mère : il avait tous les caractères de l’enfant gâté, qu’il essaya toute sa vie de demeurer :
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau :
Silence, silence !

La « fée verte » pesa lourdement sur son destin puisque, à deux reprises (à l’égard de Rimbaud le 10 juillet 1874, de sa mère le 11 février 1885), il se livra, en état d’ivresse, à des actes de violence qui le conduisirent en prison. Et il a bien failli tuer Mathilde et le petit Georges en janvier 1872.

Longtemps soutenu par la présence et l’aide matérielle de sa mère, malgré ses efforts pour reprendre en main sa vie, il n’y parviendra pas et, finalement, il optera pour l’Assistance publique, puisque, durant les dix dernières années de sa vie, il n’a pas passé moins de quarante-sept mois (presque quatre ans) dans les hôpitaux parisiens !

Plus encore que « Parallèlement », sous-titre qu’on a proposé de donner à son œuvre entier, celui-ci pourrait s’intituler « Dans les limbes ». En effet, dans l’univers mental de Verlaine voisinent curieusement ses fantasmes, ses rêves, ses regrets, ses réminiscences, ses désirs charnels et aussi ses aspirations vers le mieux, ses bonnes pensées. Son paysage intérieur est tout de brume, de brouillard et de rêve ; c’est bien celui d’un moderne « bilio-mélancolique », poète saturnien, disciple de Baudelaire et contemporain des peintres impressionnistes. Il a toujours donné la préférence à l’automne et à l’hiver sur la saison ensoleillée. D’instinct, il est allé vers les pays de la brume et de la pluie, mieux en accord avec son univers intérieur. La seule fois où il se hasarde vers le sud, c’est sur l’ordre du docteur, pour prendre les eaux à Aix-les-Bains.

Poète chez qui prédomine une sensualité à la fois impérieuse et diffuse, valorisant le froid, l’obscurité, la pluie, la neige, poète de la terre et de l’eau, Verlaine était un féminin, il l’a dit lui-même. C’est pourquoi ses affinités avec Desbordes-Valmore vont au-delà de la simple influence littéraire.

Cette œuvre, qui frappe par l’absence ou la pauvreté des préoccupations intellectuelles, est une des plus mélodieuses de la littérature française. Un art très souple rivalise avec la peinture, la sculpture, la musique, et, parfois, jaillit l’image impérissable, de valeur universelle, formulée avec une absolue justesse de ton :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant...
(Mon rêve familier.)
Votre âme est un paysage choisi...
(Clair de lune.)
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville...

Par ailleurs, la place tenue par Verlaine dans l’évolution du vers français est capitale ; il a contribué à la libération du vers en variant constamment les rythmes et les mètres. Il a écrit des poèmes à rimes uniquement masculines ou féminines, des poèmes sur deux rimes ou à rimes triplées. Il varie les coupes, joue sur les rimes intérieures, les rimes équivoques, les assonances, les vers sans rimes avec une oreille toujours très sûre. Il sait faire passer des treize syllabes pour des alexandrins et des vers de sept ou neuf syllabes pour des octosyllabes. Il considérait, cependant, qu’il convenait de conserver la rime et qu’au-delà de treize syllabes le vers français se disloque.

Par la variété même de ses tentatives, il a puissamment agi sur tous les poètes venus après lui et il a écrit des dizaines de poèmes qui vivront aussi longtemps que notre langue.

J. R.

 F. Ruchon, Verlaine, documents iconographiques (Cailler, Genève, 1947). / A. Adam, Verlaine, l’homme et l’œuvre (Hatier - Boivin, 1953 ; nouv. éd., 1963). / J. Richer, Paul Verlaine (Seghers, 1953 ; nouv. éd., 1962). / V. P. Underwood, Verlaine et l’Angleterre (Nizet, 1956). / G. Zayed, la Formation littéraire de Verlaine (Droz, Genève, 1962 ; 2e éd., Nizet, 1970). / J. H. Bornecque, Verlaine (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1967). / E. M. Zimmermann, Magies de Verlaine (Corti, 1967). / J. Vial, Verlaine et les siens (Nizet, 1975).

Vermeer (Johannes)

dit Vermeer de Delft, peintre néerlandais (Delft 1632 - id. 1675).


Les éléments biographiques sont rares ; ils permettent tout au plus de le situer dans le contexte social de sa ville natale, Delft*, qu’il ne quittera pratiquement jamais. Son père exerce plusieurs métiers : tisserand d’étoffes de soie, aubergiste sur la place du Marché et, à partir de 1631, commerçant en œuvres d’art. Johannes (ou Jan) se marie en 1653 avec la fille d’une riche famille catholique de Gouda. Son père meurt en 1655 ; Johannes Vermeer et sa femme reprennent, semble-t-il, le cabaret et le négoce d’art. Au cours des années suivantes, le nom de Vermeer est mentionné dans les archives à propos d’opérations financières, emprunts d’argent, cautionnement. Vermeer meurt à quarante-trois ans, laissant onze enfants, dont huit encore mineurs, et une veuve dans la gêne.

À travers ces quelques jalons se dégage la biographie typique d’une famille de la bourgeoisie commerçante de l’époque. Les activités artistiques de Vermeer ne sont pas mieux connues. Aucune mention concernant sa formation ; en 1653, Vermeer est admis comme peintre à la gilde de Saint-Luc, dont il sera à trois reprises, pour une année, vice-doyen ou doyen. Il se rend à La Haye en 1672, avec le paysagiste Karel Dujardin (v. 1622-1678), pour une expertise de tableaux. Après sa mort, sa veuve donne certaines peintures en gage en attendant de pouvoir s’acquitter de dettes importantes. En 1696, une vente aux enchères, à Amsterdam, comprend vingt et une peintures de Vermeer, qui réalisent de bons prix.