Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verlaine (Paul) (suite)

À partir d’octobre, il est professeur à l’institution Notre-Dame, à Rethel, où il enseigne le français, l’anglais et l’histoire, à raison de trente heures de cours par semaine ; là, il se prend d’une amitié passionnée pour son élève Lucien Létinois (1860-1883). Il reprend l’habitude d’aller au café, et le principal devra ne lui donner de cours que le matin... En 1878, Verlaine visite l’Exposition universelle. Il correspond avec Charles de Sivry au sujet de leur projet commun d’opérette, la Tentation de saint Antoine. En octobre se situe peut-être la dernière rencontre de Verlaine et de Rimbaud : celui-ci est alors à Roche, à moins de vingt kilomètres de Rethel.

Verlaine quitte Rethel, où on lui a fait comprendre que ses cours ne pouvaient être continués. Ernest Delahaye s’entremet vainement pour amener une réconciliation du poète avec les Mauté. À la fin d’août, Verlaine arrive en Angleterre avec Létinois. Il installe ce dernier dans son ancien poste de Stickney. Lui-même se rend à Lymington, petit port en face de l’île de Wight, où il enseigne le français à la Solent collegiale school. À Noël, il séjourne à Londres avec Lucien Létinois. Au début de 1880, il ramène Létinois à son village natal de Coulommes et achète pour lui, au nom de Létinois père, une ferme à Juniville.

À l’automne, Verlaine est surveillant général dans un collège de Reims, ville où, durant un an, Létinois fait son service militaire comme artilleur.

Au début de décembre, Sagesse (daté de 1881) paraît à compte d’auteur à la Société générale de librairie catholique.

L’année 1882 commence par la liquidation de la ferme de Juniville ; les Létinois se réfugient en Belgique.

Verlaine collabore à Lutèce, à Paris moderne (fondée par Léon Vanier). En septembre, il vient loger à Boulogne-sur-Seine, où travaille un temps Lucien Létinois (les parents de celui-ci habitant Ivry). Le 7 avril 1883, Lucien meurt à l’hôpital de la Pitié, d’une fièvre typhoïde. Le 30 juillet, Mme Verlaine achète aux Létinois leur petite propriété inhabitée de Malval, à Coulommes. En septembre, Verlaine s’y installe avec sa mère et y mène une existence scandaleuse, souvent vagabonde.

Au début de 1885 intervient le jugement en divorce. Pour avoir tenté, le 11 février, d’étrangler sa mère, Verlaine passe un mois en prison. En mars, Malval est revendu à perte.

Revenu à Paris, Verlaine s’installe dans un hôtel malfamé, l’hôtel du Midi, 6, cour Saint-François, 5, rue Moreau, sous le chemin de fer de Vincennes. D’un avoir primitif de 400 000 francs-or, il reste aux Verlaine un paquet de titres de 20 000 francs.

La mère du poète meurt le 21 janvier 1886 : Verlaine, cloué au lit par son hydarthrose, ne peut se lever. On doit descendre le cercueil par la fenêtre, et c’est Mathilde qui conduit le deuil... Louis Le Cardonnel veille la morte et représente le poète au cimetière.


Le « rôdeur vanné » (1886-1896)

Durant les dix dernières années de son existence, Verlaine va du garni à l’hôpital et de l’hôtel au café. Par une curieuse compensation du destin, c’est au moment où il est sans ressources, alors que l’essentiel de son œuvre est fait et que sa veine proprement poétique est tarie, que la gloire vient. Il subsistera en lui assez d’astuce paysanne pour la gérer.

En 1886, il a une liaison avec une prostituée, Marie Gambier (la « Princesse Roukhine »), puis il se prend d’une vive amitié pour le jeune dessinateur F.-A. Cazals (1865-1941). En septembre 1887, il est sur le point de mourir de faim et n’est sauvé que par les secours de quelques amis, dont F. Coppée.

En 1888, un article de Jules Lemaitre consacre sa gloire. C’est alors que Verlaine joue au chef d’école et organise les « mercredis » de la rue Royer-Collard, où se côtoient ses admirateurs et amis : Villiers de L’Isle-Adam, Barrés, Gabriel Vicaire, Mme Rachilde, Jean Moréas, Cazals, Jules Tellier, etc. Du 21 août au 14 septembre 1889, il fait une cure à Aix-les-Bains.

À partir surtout de 1890, il sera la proie d’amours homosexuelles crapuleuses ou/et des « chères amies » Philomène Boudin et Eugénie Krantz. Ses amis organisent des tournées de conférences (au cours desquelles il est bon de surveiller ses pas). Du 2 au 14 novembre 1892, il est en Hollande (La Haye, Leyde, Amsterdam) ; l’année suivante, du 25 février au 27 mars, il est en Belgique (Charleroi, Liège, Bruxelles, Anvers, Liège, Gand).

En 1893, il fait acte de candidature à l’Académie française et se fait photographier coiffé d’un haut-de-forme. En octobre, au cours d’un séjour à l’hôpital Broussais, il frôle de près la mort. Il fait des conférences à Nancy et à Lunéville, les 8 et 9 novembre, puis en Angleterre, à Londres, à Oxford et à Manchester, du 21 novembre au 5 décembre.

Dans les derniers mois de son existence, le ministère de l’Instruction publique lui accorde des secours ; des amis, en particulier Robert de Montesquiou-Fezensac et Maurice Barrès, lui envoient ou s’efforcent de réunir des subsides. En août 1894, Verlaine est élu prince des poètes. Il meurt à Paris, 39, rue Descartes, le 8 janvier 1896.


L’œuvre

Verlaine affirmait avoir écrit dès le collège une partie des Poèmes saturniens (1866), recueil composite qu’il caractérisera parfaitement en 1890 en préfaçant une réimpression du volume, soulignant alors « l’un peu déjà libre versification... En même temps, la pensée triste et voulue telle ou crue voulue telle ». Il y apparaissait comme un éminent représentant de l’« école Baudelaire ».

Les Fêtes galantes parurent en 1869. Verlaine y mariait la tradition de libertinage du xviiie s. (connue à travers les Concourt) à la poésie et aux grâces de Watteau et de Lancret, qui avaient inspiré déjà Gautier et le Hugo de la Fête chez Thérèse. Il suivait donc une tradition plus littéraire que picturale. Il baigne les personnages de la comédie italienne et les belles écouteuses dans cette clarté lunaire qui est l’atmosphère propre de sa poésie. Un pessimisme latent écrase et domine le rêve, extériorisant une inquiétude profonde. Le recueil se termine par la confrontation désolée des deux fantômes de Colloque sentimental :
Tels ils marchaient dans les avoines folles
Et la nuit seule entendit leurs paroles.