Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verhaeren (Émile) (suite)

Cette dernière période de la production verhaerénienne donne l’impression d’un fleuve qui s’étale dans ses plaines. Toute expérience accomplie, le poète se complaît dans l’euphorie atteinte et y puise le sentiment d’une mission, celle de déployer pour l’exaltation du lecteur la magnificence des choses comme celle de l’effort humain. Il ne le fera pas sans quelque redondance. Ses tics de style et de ton, dans cette rhétorique grandiose, ne sont plus rachetés au même point qu’ils le furent jadis par la spontanéité du combat intime et de la découverte. Verhaeren n’avait, d’ailleurs, jamais été de ces artistes qui visent à faire de leur discours un diamant... Peut-être était-il trop immédiatement vivant pour vouloir du poème autre chose que l’épanchement ou l’explosion d’un moment d’existence ? Cependant, une œuvre qui contient comme la sienne un trésor de sensations, d’élans et de pensées, et qui aboutit à l’accueil de « l’âpre et terrible loi qui régit l’univers », peut offrir des passages à vide et des boursouflures : il y a en elle assez de juste vie pour qu’elle soit assurée contre l’oubli.

R. V.

 S. Zweig, Emilie Verhaeren (Leipzig, 1907 ; trad. fr. Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre, Mercure de France, 1910). / E. Estève, Un grand poète de la vie moderne : Émile Verhaeren (Boivin, 1929). / A. Fontaine, Verhaeren et son œuvre (Mercure de France, 1929). / C. Brutsch, Essai sur la poésie de Verhaeren. La campagne. Les villes. Le jardin (Heitz et Cie, Strasbourg, 1930). / J. M. Culot, Bibliographie de Émile Verhaeren (Palais des Académies, Bruxelles, 1954). / L. Christophe, Émile Verhaeren (Éd. universitaires, 1955).

vérisme musical

Esthétique musicale qui, dans le théâtre lyrique de la fin du xixe s., accorde la prédominance aux sujets réalistes et à des éléments de style violents et colorés, au détriment même du bel canto, pour atteindre à une vérité dramatique plus intense.


En dépit de son origine littéraire, le vérisme musical est né, en Italie, du désir de réaction contre l’esprit wagnérien et de l’évolution des conditions de vie attirant au théâtre un public de plus en plus étendu, sinon plus éclairé, qui pouvait voir d’un mauvais œil l’importance croissante accordée au commentaire symphonique au détriment du chant.

Comme Giovanni Verga* l’avait tenté dans ses Nouvelles paysannes (1883) et dans Cavalleria rusticana (1884), les compositeurs se sont alors donné pour objectif d’évoquer les drames de la vie courante. Plus de sujets historiques ou légendaires, mais des « tranches de vie » dans lesquelles les personnages, chevaliers sans couronne et sans armures, ont des passions aussi ardentes que celles des « grands ». La musique y est mise au service de la violence dramatique sans qu’aucune préoccupation de style nuance le retour du bel canto, qu’elle se propose non plus comme un divertissement de prince, mais comme un moyen d’atteindre des auditeurs plus ou moins insensibles aux transpositions de l’art.

Le triomphe de la Cavalleria rusticana (1890) de Pietro Mascagni (1863-1945) consacra d’emblée cette esthétique, qui pouvait, dans une certaine mesure, se réclamer de Carmen et de La Traviata, et ouvrit les portes au Paillasse (1892) de Ruggero Leoncavallo (1858-1919), exemple de jeu tragique italien et qui fait du vérisme le sujet même du drame.

Après La Wally (1892) d’Alfredo Catalani (1854-1893) et Mala vita (1892) d’Umberto Giordano (1867-1948), qui tentaient, la même année, un compromis entre le romantisme de Verdi* et les formules nouvelles, Manon Lescaut (1893) de Puccini* désignait cependant une tendance à exploiter l’émotion plus que la violence et révélait l’artiste de classe, dont la Bohème (1896), Tosca (1900) et Madame Butterfly (1904) allaient faire le plus grand musicien dramatique de sa génération. Encore faut-il remarquer que Puccini, parti du légendaire Villi (1884) pour aboutir à la légendaire Turandot (1926), s’est borné à traverser le vérisme en le chargeant, instinctivement, de tout le wagnérisme possible (notamment dans Tosca) et que, très souvent, dans ses opéras, la fantaisie, l’esprit et le sens du pittoresque (servis par une grande richesse harmonique et une brillante orchestration) rachètent certaines effusions mélodiques un peu trop capiteuses. À partir de La Fanciulla del West (1910), son écriture vocale évoluera, du reste, vers le parlando et réservera de moins en moins d’importance aux manifestations militantes du bel canto.

Le vérisme n’a pas survécu à la Première Guerre mondiale, et les opéras de U. Giordano (André Chénier, 1896 ; Fedora, 1898), de Francesco Cilea (1866-1950) [l’Arlésienne, 1897 ; Advienne Lecouvreur, 1902], et de Ricardo Zandonai (1883-1944) [Conchita, 1911 ; Roméo et Juliette, 1922], ont été rarement appréciés en dehors de leur pays d’origine. Seul un Gian Carlo Menotti (né en 1911), vériste attardé intégré à l’école américaine et dont The Medium (1946), The Telephone (1947) et The Consul (1950) connaissent une audience mondiale, a pu retrouver, au milieu du xxe s., certains principes des successeurs de Verdi et leur conférer une valeur universelle d’expression.

A. G.

Verlaine (Paul)

Poète français (Metz 1844 - Paris 1896).



La vie

Être complexe et déroutant, habité par un étonnant génie, Verlaine a subi son destin plus qu’il n’a dirigé sa vie. Celle-ci est jalonnée par des événements, souvent extérieurs, déterminants.

Paul-Marie Verlaine naquit à Metz le 30 mars 1844, son père, capitaine-adjudant major au 2e régiment du génie, étant alors en garnison dans cette ville. Sa famille paternelle était originaire du Luxembourg belge ; sa mère, Élisa Dehée (1809-1886), était née à Fampoux, près d’Arras. Après des séjours à Montpellier, à Sète et à Nîmes, les Verlaine revinrent à Metz au début de 1849. En 1851, le capitaine Verlaine démissionna, et les Verlaine vinrent habiter aux Batignolles. Paul, d’abord élève dans un petit externat, est ensuite interne à l’institution Landry, dont les élèves suivent les cours du lycée Bonaparte (actuel lycée Condorcet). Il est reçu au baccalauréat en 1862. Très tôt, il prend l’habitude de boire. En 1864, il travaille quelques mois à la compagnie d’assurances « l’Aigle et le Soleil réunis », puis est nommé expéditionnaire dans les bureaux de la Ville de Paris. À l’Hôtel de Ville, il aura pour collègues Léon Valade (1841-1884) et Albert Mérat (1840-1909). Ses fonctions peu absorbantes lui permettent de fréquenter les cafés littéraires. L’année suivante, il commence à collaborer au Hanneton, puis à l’Art. Son père meurt le 30 décembre 1865.