Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Venise (suite)

Venise baroque

La physionomie actuelle de Venise doit beaucoup à une architecture baroque dont l’esprit ne marque d’ailleurs aucune rupture avec le passé. Le xviie s. en est l’âge d’or, et Baldassare Longhena* le plus grand maître. Les palais bâtis selon ses dessins, avec ampleur et faste, dérivent des modèles de la Renaissance : Ca’ Rezzonico (auj. musée du Sttecento), Ca’ Pesaro, à la façade puissamment modelée (musée d’Art moderne)... Il y a plus de mouvement dans ses constructions religieuses : le sanctuaire de la Salute, merveilleuse illustration du thème de la coupole centrale ; le grand escalier du couvent de San Giorgio Maggiore ; la façade de Santa Maria dei Derelitti (ou Ospedaletto), pittoresque et chargée de sculptures comme celle de San Moise, œuvre d’Alessandro Tremignon, et celle de Santa Maria del Giglio (ou Zobenigo), due à Giuseppe Sardi (1680-1753) — auteur précédemment de la façade, plus majestueuse, de Santa Maria degli Scalzi, église bâtie sur des plans de Longhena. Les édifices de cette époque ont donné lieu à l’intervention de nombreux sculpteurs, d’origine souvent étrangère, dont le plus notable est Giusto Le Court (1627-1679), d’Ypres. Leur art est au service de l’architecture ; accord dont témoigne encore en 1708 le monument funéraire de la famille Valier, à San Zanipolo, théâtrale composition de l’architecte Andrea Tirali (v. 1660-1737). Les principaux constructeurs baroques du xviiie s. sont le Tessinois Domenico Rossi (1678-1742), auteur de la pittoresque façade de San Stae et de celle des Gesuiti ; Giovanni Scalfarotto (v. 1690-1764), à qui l’on doit San Simeon Piccolo, dominée par une élégante coupole ; Andrea Cominelli (1677-1750), qui s’est inspiré de Longhena en dessinant le vaste palais Labia.

La peinture vénitienne passe pour avoir connu une sorte de temps mort au cours du seicento, par épuisement de sa veine. Ce n’est pas, loin de là, par manque de peintres ; mais beaucoup d’entre eux se sont contentés d’exploiter les formules des grands maîtres de la Renaissance. Il en est ainsi d’Alessandro Varotari (1588-1648), dit le Padovanino, de Pietro Liberi (1614-1687), dont le registre mineur ne manque pas de grâce, tandis que Pietro Muttoni (1605-1678), dit Pietro Della Vecchia, se singularise par son goût du bizarre. Si la flamme reste alors entretenue, c’est plutôt par des étrangers qui, séjournant ou fixés à Venise, y apportent le sang frais de l’invention baroque : Domenico Fetti (v. 1589-1624), de Rome ; l’Allemand Johann Liss (v. 1597-1629) ; Bernardo Strozzi (1581-1644), de Gênes ; Francesco Maffei (v. 1600-1660), de Vicence, remarquable par sa verve et la nervosité de sa touche... Le réalisme violent et ténébreux du Génois Giovan Battista Langetti (1625-1676), d’ascendance caravagesque, trouve un écho dans la manière vigoureuse d’Antonio Zanchi (1631-1722), un autochtone comme Giovanni Antonio Fumiani (1643-1710) ; ce dernier, formé auprès des spécialistes bolonais de la perspective, peuplera de figures l’immense plafond de San Pantalon.

C’est en s’inspirant de l’exemple laissé à la Salute par Luca Giordano, de Naples, avec trois grands tableaux de la vie de la Vierge, et en se réclamant de la tradition du Véronèse, vivifiée par une sensibilité nouvelle, que Sebastiano Ricci*, à l’aube du xviiie s., rendra sa place prédominante à la couleur et ouvrira la voie à ce renouveau qui fait de Venise le principal foyer de la peinture italienne du settencento. Il y a cependant plus de brio encore dans la manière apparemment facile et le coloris frais de Giovanni Antonio Pellegrini (1675-1741). Comme beaucoup de ses compatriotes, ce décorateur fécond contribuera par ses voyages en Europe (Angleterre, Pays-Bas, Paris, Vienne) au renom de l’école vénitienne. Plus court de souffle, mais d’une grâce élégiaque, Iacopo Amigoni (1682-1752) fera de même à Londres, puis comme peintre de cour en Bavière et en Espagne. Le rococo trouve son représentant le plus typique en Giovan Battista Pittoni (1687-1767), dont les compositions mouvementées allient un dessin capricieux à la fraîcheur du coloris.

À cette tendance hédoniste, Giovan Battista Piazzetta (1682-1754) oppose la force et la gravité de son tempérament, l’efficacité dramatique d’un clair-obscur issu du Caravage* et cependant plus moelleux (grâce à l’enseignement reçu de Giuseppe Maria Crespi à Bologne), l’austérité d’une gamme savante où dominent blancs, noirs et bruns. La sincérité de son inspiration religieuse apparaît dans des compositions telles que le Saint Jacques conduit au supplice de San Stae, la Vierge avec saint Philippe Neri de Santa Maria della Fava, la Gloire de saint Dominique, peinte à fresque au plafond d’une chapelle de San Zanipolo ; mais il a traité aussi, sans mièvrerie, des sujets de genre (la Devineresse, 1740, Académie).

On reconnaît l’influence de Piazzetta dans la première période de Giambattista Tiepolo*. Mais ce n’est qu’un moment dans la carrière de ce maître, dont l’art relève du rococo tout en le transcendant par la virtuosité, par la splendeur du coloris, par la luminosité de l’espace. Si son œuvre immense déborde largement le cadre de Venise, des villas vénitiennes et même de l’Italie, sa ville natale montre cependant quelques-uns de ses plus beaux ouvrages : religieux, à San Stae, Santa Maria della Fava, Sant’Alvise, la Scuola del Carmine, Santa Maria della Pietà et aux Gesuati ; profanes, à la Ca’ Rezzonico et surtout au palais Labia. Le grand Tiepolo a trouvé un collaborateur et un continuateur en son fils Giandomenico, plus doué cependant pour les sujets de genre. Il a inspiré des décorateurs habiles comme Francesco Fontebasso (1709-1769) ou Giambattista Crosato (1685-1758), auteur de fresques au palais Pesaro et de l’allégorie des Parties du monde, œuvre peinte à la voûte du grand salon de la Ca’ Rezzonico.

À côté de la peinture d’histoire, l’école vénitienne du settecento a fait une place importante aux autres genres, souvent pratiqués par des spécialistes. Parmi les maîtres du portrait, Sebastiano Bombelli (1635-1716) et Alessandro Longhi (1733-1813) ont su donner du brio à la représentation officielle des personnages en pied, alors que Rosalba Carriera (1675-1757) a dû son immense succès international au charme de ses pastels. Le « genre » a trouvé son spécialiste en Pietro Longhi (1702-1785), célèbre par ses petits tableaux gauchement inspirés des maîtres hollandais, mais charmants par leurs couleurs et précieux pour l’image qu’ils donnent de la vie vénitienne. Les paysagistes ont suivi deux voies distinctes. Il y a celle du paysage composé : romantique chez Marco Ricci*, décoratif et bucolique chez Francesco Zuccarelli (1702-1788), qui a beaucoup travaillé en Angleterre, et chez Giuseppe Zais (1709-1784). Genre plus humble, mais d’intérêt « touristique » et comme tel apprécié particulièrement des Anglais du temps, la veduta, ou représentation des sites réels, a été pratiquée par Luca Carlevaris (1665-1731), encore sec, et Michele Marieschi (1710-1744), plus vivant, mais ses maîtres sont Canaletto*, exact et limpide, Francesco Guardi*, plus frémissant.