Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aviation (suite)

• Organisation, emploi. De part et d’autre, en 1914 et 1915, on a surtout tenté pragmatiquement de mettre au point et d’exploiter des matériels nouveaux pour la guerre. Dès 1916, Falkenhayn crée, aux ordres directs du G. Q. G., une aviation de réserve générale, ce qui annonce le rassemblement de tous les moyens aériens et antiaériens en un Commandement des forces aériennes (oct. 1916), ancêtre direct de la Luftwaffe (il peut ainsi jeter à Verdun 180 avions chargés de conquérir le ciel). Pour faire face, les Français constituent en hâte, par prélèvement sur les escadrilles de chasse éparpillées dans les armées, un groupement qui, aux ordres du commandant de Rose (1876-1916), en quatre mois balaie le ciel et reprend la maîtrise de l’air sur le secteur.

Les Français poursuivent leur avantage en envoyant sur la Somme le groupement constitué à Verdun. Les Allemands ne se découragent pas devant l’échec apparent de leur doctrine d’emploi de l’avion par masse, et, dominés sur la Somme, ils inaugurent, grâce à Oswald Boelcke (1891-1916) et à Richthofen (1892-1918), des tactiques de combat en groupe : les avions d’une même patrouille se couvrant mutuellement. Les pertes françaises sont sérieuses.

Peu à peu, deux théories s’affrontent : d’un côté, la répartition totale de l’aviation dans les armées et corps d’armée ; de l’autre, le regroupement des forces aériennes en une masse de manœuvre relevant du G. Q. G. et en unités moins nombreuses affectées aux grands commandements terrestres. La seconde, après avoir triomphé en Allemagne grâce à Falkenhayn, Siegert et Thomsen dès la fin de 1916, s’impose en Angleterre avec la création de la Royal Air Force en novembre 1917 sous l’égide de Smuts (1870-1950) et de Trenchard (1873-1956), et finit par être adoptée en France.

Mais les esprits avaient longtemps été divisés, souvent plus par les circonstances et des facteurs personnels que pour des questions de doctrine. Finalement, la ténacité d’un Barès, l’autorité et la compétence des ministres Daniel Vincent (1874-1946) et Jacques-Louis Dumesnil (1882-1956), l’intervention décisive de Pétain en mars 1918 aboutissent à la formation de la 1re division aérienne (env. 600 avions), aux ordres de Duval (1869-1941), qui, depuis août 1917, est aide-major général chef du service aéronautique du G. Q. G. L’action directe de cette division, comme arme de combat, freine l’offensive allemande du Chemin des Dames à la Marne (mai-juin 1918) ; à Saint-Mihiel, 1 500 avions, regroupés sous Mitchell (1879-1936), contribuent de façon déterminante à la victoire américaine. Entre le 16 mai et le 11 novembre, la 1re division aérienne abattra 637 avions et 125 drachens ; elle larguera 1 360 t de bombes.

Si la guerre de 1914-1918 est à l’origine de l’aviation militaire, l’évolution des facteurs techniques propres aux avions interdira les conclusions hâtives dans le domaine de l’organisation et des doctrines.

Les appareils de 1918 sont fragiles et se cassent plus qu’ils ne sont détruits ; en revanche, leur fabrication est de courte durée, et les prototypes sont vite réalisés ; la nécessité de remplacer les modèles dépassés impose la création d’une industrie aéronautique. Aucune aviation n’a dominé l’autre plus de cinq à six mois par son matériel. La supériorité aérienne a été acquise par le nombre, la tactique, l’emploi, pour ne rien dire de la qualité des équipages, comparable dans les deux camps. C’est l’effort de fabrication des Français qui a valu à leur aviation, avec l’appoint des équipages alliés, de dominer largement l’aviation allemande en 1918. On peut s’étonner que les Français — à l’inverse des Anglais, des Italiens et des Allemands — n’aient pas cherché à utiliser davantage l’aviation vers un emploi stratégique. En effet, n’ayant pas préparé ce conflit, la France a dû laisser l’initiative des attaques à l’adversaire jusqu’au moment (1918) où, ayant accéléré ses fabrications et étant parvenue avec ses Alliés à produire plus que l’Allemagne, elle a pu, à son tour, imposer sa volonté : c’est en 1918 que l’on voit apparaître au G. Q. G. français le souci de l’action aérienne lointaine.

Giulio Douhet

Général italien (Caserte 1869 - Rome 1930). Commandant de 1912 à 1915 la première unité d’aviation créée en Italie, il s’illustre surtout au lendemain de la Première Guerre mondiale par une série d’ouvrages (notamment Il Dominio dell’aria, 1921), revendiquant pour l’aviation un rôle déterminant dans la conduite de la guerre. L’expérience du conflit ayant — à son avis — démontré qu’à l’inverse des forces terrestres et navales le rendement des forces aériennes était fonction de leur attitude offensive, la logique commandait de leur confier la mission d’obtenir la décision en détruisant par bombardement le potentiel de guerre adverse sur son propre territoire. Cette doctrine stratégique, vivement combattue par les états-majors traditionnels, a exercé une influence considérable sur les aviations militaires. Si elle n’a entraîné en France que quelques choix très discutables (comme le programme BCR de 1930), elle a inspiré les politiques militaires de l’Italie (à partir de 1927) et surtout celles de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Quant au Japon, il tirera les leçons des expériences d’attaque par avions de navires de guerre faites en 1921 par le général américain William Mitchell (1879-1936), fougueux commandant d’une force de 1 500 appareils de combat sur le front de Saint-Mihiel en septembre 1918 et dont la pensée se situe dans la ligne de celle de Douhet. Mitchell comme Douhet, emportés l’un comme l’autre par la passion à des outrances dans l’expression de leur pensée et dans leur comportement, connurent dans leurs pays les rigueurs de la justice militaire. Tous deux seront plus tard réhabilités avec éclat : Douhet en 1928 et Mitchell en 1942.


L’entre-deux-guerres

Du stade sportif de l’exploit individuel, l’avion est passé, en moins de dix ans, au stade de la production en série à des fins militaires. L’armistice voit les belligérants, et singulièrement la France, à la tête d’un important matériel aérien, servi par un personnel qualifié. L’un et l’autre représentent un potentiel à caractéristiques initiales militaires, qui, peu à peu, va se reconvertir vers d’autres types d’emploi dans les domaines commercial et scientifique ou dans la recherche de nouvelles performances, rendues possibles par le développement technique. D’une façon très pragmatique, les militaires vont ainsi apporter une aide considérable à l’expansion générale de l’aviation (Dieudonné Costes, Charles Nungesser, etc.).

Du point de vue militaire, les lendemains de guerre représentent dans tous les pays une période de stagnation technique, qui s’étend sur près d’une décennie.