Valmy (bataille de) (suite)
Avant de partir à l’assaut de la butte de Valmy, Brunswick ordonne de faire une préparation d’artillerie : cinquante-quatre canons crachent boulets et mitraille ; le sol détrempé évite les ricochets et les pertes du côté français ne sont pas considérables, mais jusqu’à 2 heures la canonnade qui fait rage finit par impressionner les troupes de Kellermann. Ce dernier, pour interdire tout flottement et toute panique, se précipite en tête des lignes, les fait mettre en colonnes comme s’il allait ordonner l’attaque, puis, brandissant au bout de son sabre le chapeau surmonté du plumet tricolore, il crie : « Vive la Nation » et les soldats lui font mille fois écho : « Vive la Nation, vive la France ! » Certains entonnent l’air des sans-culottes, bientôt suivi du chant des Marseillais. Cette attitude déconcerte les forces ennemies, qui ont d’autre part à souffrir des coups bien ajustés de l’artillerie française. Par deux fois, Brunswick devra arrêter et replier ses colonnes d’attaque. L’armée de Dumouriez, qu’il sait derrière la colline, l’inquiète et, à la fin de la journée, il recommande à son roi de suspendre l’opération.
Les Prussiens sortent démoralisés de l’« affaire ». Certes, leurs pertes, pas plus que celles des Français, ne sont excessives (184 Prussiens, 300 Français hors de combat), mais leurs chefs leur avaient affirmé qu’une fois de plus la « porcelaine bleue », pour faire allusion à l’uniforme français, ne saurait pas aller au feu. L’armée de savetiers, dont hier encore on se gaussait, a tenu et peut à tout moment fondre sur une armée sans pain et sans munition, en proie à la dysenterie produite par l’excès de consommation des raisins verts. Les jours suivants, les coalisés battront en retraite et quitteront bientôt le sol français.
Mais cette victoire est-elle une vraie victoire ? Ne masque-t-elle pas une entente qui, réalisée entre des francs-maçons (Brunswick et Dumouriez), devait permettre au général français de se retourner vers Paris et d’y exiger la libération du roi ? N’a-t-elle pas été achetée par Danton avec les bijoux de la Couronne volés au garde-meuble ? Ces thèses et bien d’autres encore, qui aboutissent toutes à minimiser le rôle du peuple en révolution, ont été imaginées dès l’époque révolutionnaire et reprises en 1943 par des hommes plus soucieux de politique que de recherche historique. À leur appui, il n’y a aucune preuve.
Par contre, ce que sait l’historien, c’est qu’il y a à Valmy et autour de ce village tout un peuple levé pour la défense de ce qui est indissociable à ses yeux : la patrie et la Révolution. Sur la butte, il y a certes plus de régiments du ci-devant roi que de bataillons de volontaires, mais, quand on analyse la composition de ces régiments « blancs », on s’aperçoit qu’il y a là de jeunes recrues que la misère des arrière-saisons a conduites vers les camps et qui, paysans et sans-culottes mêlés, savent pourquoi elles se battent. Les motifs de leur combat — la liberté, l’égalité avec la ruine de la féodalité — sont encore inscrits dans l’hymne national de la France. Ces soldats ont été puissamment soutenus par les habitants des villes et des campagnes ; certains d’entre eux ont mené contre les Prussiens une guerre de « partisans », fusillant dans les chemins de l’Argonne les escouades ennemies isolées ; d’autres ont refusé d’aider l’ennemi et leurs alliés, les aristocrates français, et pour cela on a brûlé leur maison et leur récolte.
À Valmy, il y a debout et pour la première fois victorieuse la démocratie en armes. Goethe ne s’y est pas trompé, lui qui, témoin de la bataille, dira : « De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque de l’histoire du monde. » La Révolution niveleuse et demain conquérante faisait basculer l’Europe des rois et de la « féodalité » dans les temps contemporains.
J.-P. B.
J.-P. Bertaud, Valmy, la démocratie en armes (Julliard, coll. « Archives », 1970).