Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
U

ukiyo-e (suite)

Les membres de la classe guerrière s’intéressent les premiers à ce genre nouveau, qui se répand ensuite dans la classe marchande accédant à la vie culturelle au cours de la période d’Edo (1616-1868). Sous sa forme de xylographie, il s’adresse enfin à une clientèle plus populaire, et tout particulièrement aux habitants d’Edo (auj. Tōkyō*), la capitale créée par les shogūn Tokugawa.


Les thèmes de l’ukiyo-e

L’école ukiyo-e s’est particulièrement intéressée aux faits divers et aux phénomènes sociaux. Elle se spécialise très vite dans la représentation de scènes de quartiers de plaisirs, où il n’y a plus de distinction de classes entre les nobles et les bourgeois. Le quartier de Yoshiwara à Edo est un exemple de ces lieux de divertissement où évoluent de jolies courtisanes, parfaitement éduquées. Elles en font de véritables centres de la vie sociale masculine, fréquentés par les écrivains, les musiciens et les artistes, qui y puisent leur inspiration. Les courtisanes deviennent leurs modèles préférés. Parées de somptueux kimonos, elles apparaissent avec Moronobu* Hishikawa (1618?-1694) opulentes et épanouies. Sukenobu Nishikawa (1671-1751) crée de son côté la représentation de la femme idéale japonaise, petite et gracile, quasi immatérielle, que Harunobu Suzuki (1725-1770) immortalisera plus tard. Utamaro* Kitagawa (1753-1806) et Eishi Hosoda (1756-1829) lui apporteront une nouvelle majesté, avec un maintien réservé, empreint d’un érotisme subtil.

De son côté, le théâtre de kabuki exerce sur les amateurs de plaisirs le même attrait que le quartier des « maisons vertes ». Au cours des xviiie et xixe s., la popularité des acteurs de théâtre de kabuki devient très grande et la diffusion de leurs portraits explique le nombre considérable de gravures figurant tel ou tel acteur, représenté souvent dans son rôle le plus populaire et dans une attitude caractéristique de son jeu de scène. La lignée des Torii, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, est la première à s’en faire une spécialité et obtient, dès le début, le monopole des affiches ornant l’entrée des théâtres. La stylisation de leur dessin plein de mouvement et l’exagération des attitudes donnent aux gravures de ces artistes une puissance qui aboutit bientôt à une représentation stéréotypée. Mais l’apparition du portrait psychologique et les progrès du réalisme donnent un élan nouveau au portrait d’acteur. Les œuvres pleines de force et de sobriété de Shunshō Katsukawa (1726-1792) et de Bunchō Ippitsusai (1725-1794), dont le réalisme reste cependant superficiel, constituent deux sommets de cet art. L’influence de Shunshō semble s’exercer sur Sharaku*, dont la période d’activité est éphémère (1794-95). On constate chez lui un parti pris d’appuyer les effets avec un réalisme extrême, que désapprouvent les acteurs eux-mêmes, habitués à être plus idéalisés.

Un autre thème majeur traité par les artistes de l’ukiyo-e est le paysage, qui n’atteindra sa perfection qu’au xixe s. Hokusai* Katsushika (1760-1849) rénove l’ukiyo-e en y introduisant le paysage comme genre indépendant, délaissant ainsi le monde du théâtre et des quartiers réservés. Les Cent Vues du mont Fuji, chefs-d’œuvre de la conception de l’espace, où Hokusai restitue avec intensité le dynamisme des éléments naturels, paraissent en 1834-35, au moment où l’artiste paysagiste par excellence, Hiroshige* (1797-1858), évoque dans une vision plus calme, à la fois réaliste et pleine de lyrisme, les Cinquante-Trois Étapes de la route du Tokaido.

Au-delà de ces thèmes essentiels, l’école de l’ukiyo-e s’attache à la représentation de la nature (fleurs, oiseaux, poissons) et à celle de scènes populaires dont les lutteurs sumō et les héros guerriers sont les principaux sujets.


L’estampe ukiyo-e

Pour répondre à une demande de plus en plus grande de la part d’une clientèle bourgeoise en pleine expansion, les peintres de l’ukiyo-e ont recours à la technique de la xylographie. La peinture, plus intellectuelle, reste attachée à la tradition classique et jouit à l’époque d’Édo d’une considération plus grande que l’estampe. Les mérites esthétiques de l’une et de l’autre se situent dans des domaines différents. Une peinture est une œuvre unique réalisée par l’artiste seul, alors que l’estampe résulte d’une collaboration entre l’artiste, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur.

Le développement de l’estampe ukiyo-e a connu trois périodes successives. C’est vers 1670 que Moronobu utilise la xylographie pour la diffusion de ses œuvres. Ce sont d’abord des impressions monochromes à l’encre de Chine (sumi-e), aux contours vigoureux, qu’éclipse encore, pourtant, la richesse de coloris des œuvres peintes.

Mais, dès le début du xviiie s., une nouvelle technique intervient, consistant à rehausser les estampes de couleurs appliquées au pinceau. Peu après, ces estampes, nommées tan-e, donnent naissance aux urushi-e, estampes laquées où le tan (vermillon) est remplacé par le rose clair, beni, utilisé avec du jaune, du vert, du marron, du violet et additionné parfois de limaille de cuivre. Vers 1740, la technique de la xylographie connaît de nouveaux raffinements avec les premières estampes benizuri-e, tirées en deux couleurs, rose-pourpre et vert bleuté.

À partir de 1765, la découverte de la technique du repérage, qui permet d’imprimer successivement et avec une grande netteté plusieurs couleurs sur une même gravure, ouvre l’âge d’or de l’estampe ukiyo-e. On obtient des œuvres d’une telle richesse qu’elles sont appelées nishiki-e, « estampes de brocart ». La collaboration entre l’artiste, l’imprimeur et l’éditeur atteint alors une perfection dont on trouve un parfait exemple dans les Huit Scènes de salon d’Harunobu. Au début du xixe s., la technique de l’estampe n’évolue plus en dehors de perfectionnements secondaires, tel le gaufrage.

La révélation de l’art japonais en France, dans la seconde moitié du xixe s., et l’influence de l’estampe ukiyo-e sur l’art pictural occidental, notamment sur l’école impressionniste*, sont l’un des phénomènes les plus caractéristiques des échanges artistiques entre l’Orient et l’Occident.

L. P.