Tvardovski (Aleksandr Trifonovitch) (suite)
Appelé dans l’armée rouge en 1939, Tvardovski participe en qualité de correspondant de guerre à l’occupation de la Pologne orientale, puis à la guerre russo-finlandaise, et enfin à la Seconde Guerre mondiale. Il crée alors, dans un feuilleton en vers publié dans la presse de 1942 à 1945 (Vassili Terkine. Kniga pro boïtsa [Vassili Terkine. Le livre du combattant]), le personnage de Vassili Terkine, type du simple soldat, c’est-à-dire de l’homme du peuple incarnant les qualités nationales d’astuce, de bonne humeur, d’endurance et de courage tranquille, poussé s’il le faut jusqu’à l’héroïsme : c’est l’œuvre la plus populaire de la littérature de guerre, et peut-être même de toute la littérature soviétique.
Au lendemain de la guerre, le poème Dom ou dorogui (la Maison au bord de la route, 1946) décrit celle-ci sous son aspect de tragédie nationale. Il témoigne d’un approfondissement lyrique et philosophique de l’inspiration de Tvardovski et de son métier poétique. Cette évolution se confirme dans le poème Za daliou-dal (Lointains sans limites), commencé en 1953, achevé et publié en 1960, à la faveur du dégel : le thème du voyage dans l’espace et dans le temps y sert de fil conducteur à une méditation sur les destinées de la nation à la lumière de la grande crise morale de la déstalinisation : Staline y est décrit comme un sinistre despote oriental. La critique du stalinisme lui inspire dès 1954 une suite satirique à Vassili Terkine, Vassili Terkine na tom svete (Vassili Terkine dans l’autre monde), publiée en 1963, qui donne à l’enfer où échoue le héros les apparences d’un fantastique labyrinthe bureaucratique évoquant l’univers stalinien. La veine lyrique et réflexive reprend ses droits dans les deux derniers recueils, Stikhi iz zapisnoï knijki (Vers tirés d’un carnet, 1961) et Iz liriki etykh let (Choix de poésies de ces dernières années, 1967).
Rédacteur en chef de la revue Novyï Mir de 1950 à 1954, Tvardovski y publie dès avant la mort de Staline des œuvres (telles que les chroniques rurales de V. V. Ovetchkine) qui anticipent sur la littérature du dégel. Revenu à sa tête en 1958, il utilise sa popularité et la confiance dont il jouit auprès de certains dirigeants du parti (il est désigné en 1961 comme candidat au Comité central) pour soutenir des critiques tels que V. I. Lakchine, Siniavski, Igor Vinogradov et des écrivains tels que V. P. Nekrassov, B. A. Mojaïev, V. V. Bykov et surtout Soljenitsyne*, qui défendent ou incarnent l’idéal d’une littérature lucide et libre, profondément engagée dans une critique impitoyable du stalinisme et de ses séquelles et jouant par là le rôle d’une conscience sociale. Privé en 1964 de son principal appui politique par la chute de Khrouchtchev, et affaibli par la maladie, il continue néanmoins, au milieu de critiques et de pressions de plus en plus insistantes, à faire de Novyï Mir le bastion des idées libérales, mais il sera contraint de démissionner peu avant sa mort, en 1970.
M. A.
A. M. Tourkov, Aleksandr Tvardovski (en russe, Moscou, 1960 ; nouv. éd., 1970). / P. F. Rochtchin, Aleksandr Tvardovski (en russe, Moscou, 1966).