Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

 E. J. W. Gibb, A History of Ottoman Poetry (Londres, 1900-1905 ; 6 vol.). / L. Bazin, « Littérature turque » in Histoire des littératures sous la dir. de R. Queneau, t. I (Gallimard, « Encycl. de la Pléiade », 1956). / A. Bombaci, Storia della letteratura turca (Milan, 1956 ; 2e éd., 1963 ; trad. fr. Histoire de la littérature turque, Klincksieck, 1968). / A. Kabaklı, la Littérature turque (en turc, Istanbul, 1965-66 ; 3 vol.). / N. Arzik, Anthologie de la poésie turque, xiiie-xxe s. (Gallimard, 1968).


L’art turc

De plus en plus, les spécialistes tendent à considérer l’art turc comme une entité et à le détacher des arts de l’islām*. Sans tomber dans ces excès, il convient en effet de reconnaître sa personnalité au sein d’un ensemble culturel auquel il appartient malgré tout. Bien que l’aire d’expansion des Turcs Seldjoukides et Ottomans ait dépassé très largement les limites de ce qui constitue aujourd’hui la Turquie (par exemple : art seldjoukide d’Iran*, expressions de l’art ottoman à Damas*, au Caire [v. Égypte], en Yougoslavie), il est possible et raisonnable d’étudier l’art turc à travers les œuvres qui ont été créées et sont conservées en Anatolie et, en Thrace, à Edirne et à Istanbul*.


L’art seldjoukide

À l’exception de la haute Mésopotamie, conquise au viie s. par les Arabes et ayant connu de vieux établissements musulmans, les territoires de la Turquie sont entrés relativement tard dans le monde de l’islām. Les régions sud-orientales du pays n’ont conservé d’ailleurs que peu de vestiges de la civilisation ‘abbāsside* : on en trouve un avec la Grande Mosquée de Diyarbakır, construite sur le plan à trois nefs parallèles de la mosquée des Omeyyades de Damas — comme le seront, plus tard, les Grandes Mosquées de Bitlis et de Dunaysır (1204) —, mais remaniée ultérieurement, à l’époque artuqide (ou ortokide), en particulier pour recevoir son porche à arc surbaissé orné des célèbres reliefs du lion terrassant le taureau. De même, les murailles en basalte de la ville, très anciennes et parfaitement conservées, ont été enrichies de tours (bastions de Yedikardeş et d’Ulubeden, 1208) et de nouveau décorées.

C’est à partir du xiie s. que les Seldjoukides commencent à manifester avec succès et dans diverses voies leur activité artistique. Leurs tapis, qui ne sont pas antérieurs au xiiie s., sont déjà réputés (peu nous sont parvenus) ; leurs céramiques, dont les collections viennent de s’enrichir des merveilleuses trouvailles de Kubadâbâd, capitale secondaire des sultans, égalent celles de l’Iran contemporain et en subissent profondément l’influence : technique raffinée, coloris éblouissants, décor de délicieuses figures ; leur travail du métal se révèle puissant et souvent original, ainsi dans les heurtoirs (musée de Berlin) ou dans les miroirs (musée de Topkapı à Istanbul) ; leurs menuisiers atteignent à une maîtrise qui ne sera jamais surpassée dans les vantaux de portes et de fenêtres, les sarcophages, les pupitres à Coran, les chaires à prêcher (minbar de la mosquée ‘Ālā al-Dīn de Konya, 1155)...

Plus que les arts mineurs cependant, l’architecture rend compte de leur génie créateur. Si leurs palais, en brique, presque tous disparus totalement, étaient décorés avec une délicatesse tout orientale, leurs autres monuments, en bonne pierre, semblent bien plus relever d’un art « barbare » que de la civilisation raffinée de l’islām. Parmi eux, les plus remarquables sont certainement les caravansérails (han), véritables basiliques du commerce, qu’on rencontre le long des pistes caravanières (seconde moitié du xiie-xiiie s.). Il en demeure plus de cent, mal ou bien conservés, mais éveillant tous la plus vive admiration. Les plus impressionnants et les plus accomplis sont les han impériaux, composés d’une série de bâtiments ordonnés autour d’une vaste cour (han d’été) et d’une salle à haute nef en berceau brisé flanquée de bas-côtés (han d’hiver). Les porches en saillie reçoivent un décor varié et magistral ; les nefs, bien équilibrées, contrastent avec eux par leur sévérité : leur dépouillement et leur grandeur font penser à l’art cistercien (Sultan hanı d’Aksaray et de Kayseri, Akhan, Ağzıkara han, Alayhan, Zazadînhan, Evdirhan, Incir han, Alarahan, Susuzhan et Karatayhan).

Les mosquées* sont en comparaison d’une assez grande indigence. Quelques-unes s’ouvrent par des portes majestueuses, réalisent un heureux équilibre des volumes, érigent leurs coupoles dans le ciel, disposent harmonieusement les spolia (éléments pris à des monuments antérieurs), ou encore laissent place à une sculpture débordante (mosquées Alâeddin de Konya et de Niğde, xiiie s. ; mosquée de Divriği, 1228-29). De plus nombreuses offrent seulement des murs nus, des nefs étroites délimitées par de lourds supports, des entrées exiguës et semblent avoir été faites sans souci artistique (grandes mosquées d’Erzurum, 1179 ; de Sıvas, 1197 ; de Kayseri, 1205). Presque toutes suivent ce qu’on nomme le plan arabe à nefs multiples s’entrecroisant, mais renoncent à la cour, peu utile dans un pays aux hivers froids. Un petit groupe très original est constitué par les sanctuaires à charpentes et colonnes de bois (mosquées d’Afyon, 1272 ; de Sivrihisar, 1275 ; de Beyşehir, 1297).

Les établissements d’enseignement et de science, hôpitaux, observatoires, qu’on désigne uniformément sous le nom de medrese (arabe : madrasa), sont, quant à eux, redevables à l’Iran de leurs plans et de leurs principaux organes. C’est le cas quand les quatre iwān sont disposés en croix autour d’une cour. De plus petits édifices, dont la cour a reçu une couverture en coupole, sont moins symétriquement structurés. Dans les uns et les autres, le décor trouve une place de choix, sur les porches, qui peuvent être flanqués de hauts minarets jumeaux, par exception en brique (Çifteminareli medrese d’Erzurum et de Sivas, fin du xiiie s.), voire sur les fenêtres, les niches de façades, les tourelles d’angles. La sculpture y est géométrique, épigraphique, florale, animale ou même humaine. Des stalactites (muqarnas), des macarons, des disques et des rosés, des bandeaux à forte saillie accrochent les ombres. La logique n’est pas toujours respectée (colonnes ne supportant rien) et l’exubérance peut conduire à la limite exacte du mauvais goût. Du moins la fantaisie s’y donne-t-elle libre cours (hôpital de Divriği, 1228-29 ; Ince minareli medrese de Konya, v. 1258 ; Gökmedrese de Sıvas, 1271). L’intérieur peut être entièrement tapissé de faïences (Sırçalımedrese, 1242, et medrese de Karatay, 1251, Konya).