Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

Le régime des terres

Bien qu’une évolution vers la grande propriété héréditaire (çiftlik) se soit manifestée aux xviie et xviiie s., périodes d’affaiblissement de l’autorité ottomane, à partir du régime antérieur des concessions viagères (timar), les conditions sociales sont, dans l’ensemble, satisfaisantes, et les paysans turcs sont aujourd’hui pour la plupart propriétaires de la terre qu’ils travaillent. La grande propriété reste relativement importante (20 p. 100 du sol et plus) essentiellement dans certaines plaines égéennes et méditerranéennes (plaines des Méandres, Cilicie, est de la plaine pamphylienne) tardivement recolonisées et surtout dans l’Est intérieur. Elle est réduite au minimum sur la façade pontique du pays. Nettement parasitaire dans les régions arriérées de l’Est, elle joue au contraire un rôle pilote dans l’Anatolie occidentale et centrale, où les ferments de progrès technique se développent essentiellement dans le cadre de ces grandes propriétés où s’est notamment amorcée la mécanisation.


Les cultures

La géographie agricole du pays s’organise essentiellement, néanmoins, en fonction des contrastes climatiques et, au premier chef, de l’opposition entre le plateau intérieur, voué aux cultures vivrières céréalières, et les marges, où dominent les cultures commerciales subtropicales.

L’agriculture du plateau reste, en effet, essentiellement céréalière, et la proportion des céréales dans l’ensemble des terres cultivées, de 75 p. 100 dans l’ensemble du pays, y monte à plus de 90 p. 100. Il s’agit d’une rotation biennale à jachère travaillée, où des cultures dérobées dans la jachère (légumineuses, pois chiches, etc.) ne peuvent guère s’intercaler que dans la zone des pluies de printemps abondantes du climat méditerranéen de transition, au nord-ouest. Blé et orge dominent largement, le seigle et le millet prenant de l’importance dans les hautes terres de l’Anatolie orientale.

L’essor de cette production céréalière a été remarquable. La production actuelle de blé (10 Mt) a triplé par rapport à la décennie 1930-1940, et celle de l’orge (3,5 Mt) a doublé. Mais ces progrès, qui résultent essentiellement de l’augmentation des surfaces cultivées, alors que les rendements restent stables ou même décroissent, se sont accomplis dans des conditions écologiques dangereuses. En effet, c’est surtout dans les régions climatiquement marginales de la steppe centrale ou de l’Anatolie sud-orientale, où la variabilité des pluies rend les récoltes très aléatoires, ou sur des pentes montagneuses menacées par une sévère érosion des sols que s’est réalisée cette expansion agricole. Elle a permis d’apporter, par le développement de la culture céréalière pluviale dans de vastes espaces encore inutilisés, une solution au problème posé par la pression démographique, mais l’économie du pays est devenue de plus en plus fragile, liée au caprice des précipitations. Il faudrait intensifier la culture du plateau et la diversifier. Aux cultures industrielles traditionnelles, très réduites (pavot à opium sur les terres fumées proches des villages de Phrygie et de Pisidie, rose à parfum dans quelques bassins pisidiens), s’est ajoutée une nouvelle venue intéressante, la betterave à sucre, d’ores et déjà importante en Thrace, en Phrygie du Nord-Ouest (région d’Eskişehir), dans les pays du moyen Kızıl ırmak et en haute Anatolie orientale, où elle amorce, en rotation avec le blé et à l’aide d’un important apport d’engrais chimiques, un système de culture beaucoup plus stable et plus évolué que la monoculture céréalière. Mais celle-ci devrait également se replier vers des zones moins exposées climatiquement, tandis qu’une partie importante des terres céréalières du plateau devrait être rendue à l’élevage, reconverti sur des bases fourragères irriguées.

L’agriculture subtropicale des marges est essentiellement fondée sur des plantations, bien que les céréales y couvrent encore cependant 60 p. 100 du sol en moyenne (maïs dans les régions pontiques et de la Marmara, blé et orge dans les régions méditerranéennes et égéennes, riz surtout dans le Sud-Est). L’influence du commerce européen a été décisive dans la répartition de ces cultures pour la vente. Sur la façade égéenne, la plus précocement ouverte sur l’extérieur par les ports et les voies ferrées, est concentré l’essentiel de la récolte du tabac (120 000 t au total), dont la région d’Izmir (Smyrne) fournit près de la moitié, suivie par les bassins de la Marmara (le quart) et la région de Samsun, sur le littoral de la mer Noire. Les arbustes méditerranéens traditionnels, olivier et figuier, y sont importants dans le paysage. Dans l’est du littoral pontique, du delta du Yeşil ırmak jusqu’à Rize, c’est le noisetier qui est la culture de plantation prédominante, développée depuis l’ouverture de la mer Noire au commerce russe, puis européen au xixe s., grâce à l’exportation en coque et au séchage relativement facile, qui assure un avantage commercial considérable sous ce climat humide en été, où le séchage des fruits frais est impossible. Avec une production de 100 000 t de noisettes en moyenne, la Turquie domine le commerce mondial. Le coton, plus répandu dans les plaines pamphylienne et cilicienne (depuis 1930-1940) que dans les plaines égéennes, où la place était déjà prise par d’autres cultures, exprime la dernière phase de recolonisation des plaines basses. Enfin, d’autres plantations ont des localisations très précises, qui manifestent une évolution vers la mise en valeur intégrale d’avantages climatiques particuliers, dans le cadre d’une économie autarcique. Typique est le cas du théier. Grands buveurs de café à l’époque où l’Arabie était possession ottomane, les Turcs se sont peu à peu convertis au thé à partir de 1930, pour raison d’économies de devises, qui a conduit à adopter une boisson qu’on pouvait obtenir sur le territoire du pays. Les plantations se sont considérablement développées dans l’extrême est du littoral pontique, autour de Rize, et la Turquie est même devenue depuis 1965 exportatrice de thé. Au même type appartiennent les agrumes, développés depuis un demi-siècle sur les côtes méditerranéennes, et le bananier, implanté depuis une quinzaine d’années à l’extrême sud de la courbe du littoral du Taurus central, autour d’Anamur et d’Alanya. Le pistachier, arbre naturel dans le Sud-Est subaride du pays, a connu récemment un grand développement en plantations commerciales autour de Gaziantep.