Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turquie (suite)

Les eaux

Ces conditions climatiques expliquent que les seuls cours d’eau réellement abondants soient ceux de l’escarpe montagneuse de l’est de la mer Noire, mais ceux-ci sont très courts. Les cours d’eau méditerranéens dévalant du Taurus (Ceyhan, Seyhan, Ak su, Köprü su) ont des maigres d’été-automne très marqués, sauf lorsque leur alimentation est régularisée par des résurgences karstiques (Manavgat çayı). Les cours d’eau de l’Anatolie intérieure (Sakarya, Kızıl ırmak) ont une alimentation plus complexe, où se combinent notamment fonte des neiges et pluies de printemps, mais qui reste médiocre et irrégulière, particulièrement pour ceux qui débouchent vers la mer Égée (Gediz, Grand et Petit Méandre). L’essentiel du potentiel hydro-électrique disponible est fourni par les grands fleuves mésopotamiens descendant de la haute Anatolie orientale, le Tigre et l’Euphrate, dont la Turquie possède le cours supérieur.

En fait, l’hydrologie de l’Anatolie est dominée par l’endoréisme. Les bassins fermés du haut plateau sont occupés par de vastes nappes lacustres. On peut les ranger en deux catégories. La première est constituée par des lacs d’eau douce, à faune abondante et à rives très humanisées. Il s’agit de lacs karstiques, fonds de poljés inondés en permanence, mais présentant des exutoires souterrains. La pellicule d’eau est peu épaisse (lac d’Eğridir : 18 m de profondeur ; lac de Beyşehir : 10 m), et les lignes de rivage n’ont pas varié au Quaternaire. La seconde catégorie est constituée par les lacs tectoniques, sans exutoire souterrain, qui ont été beaucoup plus étendus lors des périodes froides du Quaternaire et comportent fréquemment d’anciennes lignes de rivage observables à des niveaux beaucoup plus élevés que l’actuel. Les nappes d’eau d’aujourd’hui n’en sont plus que des restes, parfois encore profonds (tel le lac de Van ou le lac de Burdur, de profondeur supérieure à 100 m), parfois d’épaisseur très faible (Acı göl [lac Amer], Tuz gölü [lac Salé], dont la profondeur ne dépasse pas quelques mètres), mais toujours lacs d’eau salée. La salure y est d’autant plus forte que la nappe est moins profonde et présente davantage un caractère résiduel. Atteignant 32,9 p. 1 000 pour le lac Salé et 10,1 p. 1 000 pour le lac Amer, elle est relativement faible dans les lacs plus profonds (lac de Van : 2,2 p. 1 000 ; lac de Burdur : 2,4 p. 1 000). Ces derniers conservent encore une faune, tandis que les lacs salés peu profonds sont à peu près totalement azoïques et répulsifs à l’activité humaine, qui s’y limite à l’exploitation du sel.


Le tapis végétal et son évolution

Dans ce pays sec à façades humides s’opposent deux grands types de formations végétales : forêt sur les franges côtières et les bordures montagneuses ; steppe dans l’intérieur. Mais leur répartition n’est pas liée seulement à la pluviométrie. Suivant la loi générale de la continentalité, un relèvement général des limites des étages de végétation se marque vers l’intérieur du haut plateau. La limite supérieure de la forêt, qui se situe vers 2 000-2 200 m sur les chaînes bordières, s’élève en altitude sur le plateau, atteignant 2 500 m sur les flancs de l’Argée et 2 800 m sur ceux de l’Ararat, en Anatolie orientale, tandis qu’apparaît une limite inférieure d’aridité, qui, de 1 100-1 300 m en Anatolie centrale, s’élève jusque vers 2 100 m en haute Anatolie orientale. Entre la steppe inférieure et la végétation alpine des sommets, l’étage forestier se réduit ainsi sur le plateau à une bande étroite, large de 700 à 1 000 m, qui y ourle les flancs des massifs.

Les forêts qui occupent l’espace ainsi délimité sont de deux types. Des « forêts humides », adaptées à des pluies en toute saison (sapin de Nordmann, pin sylvestre, épicéa, hêtre), caractérisent les chaînes Pontiques de l’Est, avec un sous-bois très luxuriant (houx, buis, rhododendrons, vigne sauvage). Quelques îlots de hêtres s’observent également dans l’Istranca, en Thrace, et même dans le Taurus et l’Amanus, mais les montagnes de l’Ouest et du Sud sont essentiellement le domaine de « forêts sèches », adaptées au long été sec méditerranéen. Elles comportent sur les côtes égéennes et méditerranéennes un étage inférieur — jusque vers 1 000 m d’altitude — à Pinus brutia, correspondant à peu près à celui de l’olivier. Vers l’intérieur, la zone du climat de transition subméditerranéen ou de l’étage méditerranéen montagnard est surtout caractérisée par des chênes verts ou des chênes à feuilles caduques ; l’un de ceux-ci, le chêne à vallonnée (Quercus ægylops), naturel entre 600 et 1 000 m d’altitude, a été largement dispersé par l’homme, en peuplements protégés au milieu des champs cultivés (en raison de la richesse du gland en tanin), dans toute l’aire de rayonnement des ports de la façade égéenne. En altitude, les forêts sèches s’adaptent aux hivers froids. Le pin noir et le pin sylvestre dominent, associés à des sapins (sapin de Cilicie, en expositions humides de 1 200 à 2 000 m dans le Taurus), à des cèdres (de 1 500 à 2 300 m dans le Taurus) et à des genévriers.

En Anatolie intérieure, ce sont des steppes qui dominent le paysage, à peine entrecoupées de rubans de saules ou de peupliers le long des cours d’eau temporaires. Elles recouvrent même la plus grande partie de la haute Anatolie orientale ou le cœur de la péninsule lycienne, naturellement boisés. C’est le résultat d’une action humaine intense et prolongée. On a prouvé que la formation végétale naturelle de l’Anatolie centrale, à peu près totalement déboisée aujourd’hui dans le triangle Ankara-Konya-Kayseri, était une forêt-steppe boisée à près de 50 p. 100 et qu’il en était de même de la steppe de la Thrace centrale, dans le bassin de l’Ergene, dont des traces de boqueteaux de chênes montrent le caractère anthropogène. Le processus de déboisement a été particulièrement actif et précoce — dès le Néolithique et le Bronze — sur ces hauts plateaux subarides, où la forêt, peu résistante, disparut de bonne heure. Rapide ensuite dans les bassins intramontagnards et les plaines périphériques lors des époques de pression démographique et de prospérité rurale des temps hellénistiques et de la paix romaine, le mouvement se ralentit ou même se renversa lors des invasions nomades turques du Moyen Âge, qui entraînèrent, avec la baisse de densité de la population, de nombreuses reprises forestières, manifestes dans l’ensevelissement, sous la végétation arborescente, de nombreuses ruines antiques. Mais le déboisement a repris activement sous l’effet de la pression démographique contemporaine, qui, depuis un siècle et demi environ, accélère de nouveau les dévastations et provoque la destruction des forêts de montagne, jusqu’ici à peu près intactes. Le taux de boisement officiel de 13 p. 100 ne correspond guère à la réalité en raison des très nombreuses surfaces buissonnantes ou dégradées. Dans toute l’Anatolie intérieure, le combustible paysan par excellence reste le tezek, les déjections séchées du bétail, qu’on peut voir partout sécher en galettes plaquées aux murs des maisons ou en boules amoncelées devant les demeures. La situation du tapis végétal reste, néanmoins, relativement favorable par rapport à celle d’autres pays du Moyen-Orient (Iran, montagnes du Levant), exprimant une évolution historique dominée pendant des siècles par un nomadisme « conservateur de la nature ».