Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Turcs (suite)

Les monarchies turkmènes

Après la disparition de l’Empire gengiskhānide, deux confédérations de Turcs nomades, de Turkmènes, s’étaient formées comme États souverains en Turquie orientale et en Iran occidental. Les Karakoyunlu (Gens du « Mouton Noir », v. 1365) s’étaient installés dans le district arménien de Muş vers 1365, puis avaient pris Mossoul, Sindjār et enfin, en 1388, Tabriz. Entraînés dans la tourmente tīmūride, ils y avaient survécu. Celle-ci calmée, ils rentrent en possession de Tabriz (1406) et s’emparent de la Perse occidentale et de Bagdad (1410). Quant aux Akkoyunlu (Gens du « Mouton Blanc »), dont le champ d’action était l’Anatolie orientale à la fin du xive s., ils vainquent les Karakoyunlu en 1468 et leur succèdent sur le trône d’Iran. Uzun Hasan, le prince le plus remarquable, lui donne des structures suffisamment solides pour lui permettre de se maintenir à Tabriz, à Bagdad, à Chirāz, à Soltāniyè, à Ispahan, à Rey (Rayy), dans le Kermān jusqu’en 1502, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement des Séfévides*.

Ainsi, malgré des solutions de continuité, l’Iran est à peu près constamment dirigé par des dynasties turques du milieu du xie s. au début du xvie. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper : il n’est jamais une sorte de deuxième Turquie. Certes, des éléments ethniques turcs non négligeables se superposent à l’élément iranien. Mais cet élément étranger est à la fois marginal et minoritaire. Quant aux souverains, ils se mettent résolument au service de l’iranisme : chā Ismā‘īl, le fondateur de la dynastie séfévide (1502), en apporte une preuve éclatante. Lui-même turc (ou kurde), il s’appuye sur les Turkmènes Kızıl Bach chī‘ites pour conquérir le pouvoir et édifier un Iran uni, national et chī‘ite, libéré des Arabes, des Turcs et des Mongols. Plus tard encore, Nādir Chāh (1736-1747), le dernier grand conquérant de l’Asie, appelé à exercer sa dictature sur l’Iran et à porter le fer jusqu’à Dehli, est un aventurier de la tribu des Afchārs, Turcs nomadisant entre le Khorāsān et le Fārs. Et c’est encore une tribu turkmène, celle des Qādjārs, qui fonde l’avant-dernière dynastie de l’Iran (1796-1925).


Bābur (Bāber)

Peu de personnalités au monde font preuve de telles qualités et s’imposent plus vivement par leurs talents que Bābur (1483-1530), le plus grand écrivain de langue turque djaghataï, le fondateur de l’empire des Grands Moghols* en Inde. Exceptionnellement doué pour tout, cet homme est né en 1483 d’une famille doublement noble, puisque issue en droite ligne de Tīmūr Lang et comptant Gengis khān dans ses ancêtres par les femmes. Orphelin à onze ans, il a une jeunesse difficile et épuise une partie de ses premières années à essayer en vain de s’installer à Samarkand, qu’il considère comme son patrimoine et que les Ouzbeks lui disputent. En 1504, il se résout à aller chercher fortune ailleurs et s’installe à Kaboul. En 1522, il réussit à s’emparer de Kandahar. En 1525, il s’avance profondément dans l’Inde. En 1526, il fait son entrée dans Delhi. Ainsi se trouve constitué l’empire des Indes, empire dit « des Grands Moghols », car Bābur, comme son ancêtre Tīmūr Lang, rêve de reconstituer l’œuvre gengiskhānide, mais Empire turc, instauré par des Turcs et dans lequel l’élément mongol est rigoureusement absent. Empire aussi que les successeurs de Bābur agrandiront jusqu’aux limites de l’Inde et que la reine Victoria recueillera.


Le Turkestan après Tamerlan

Un petit-fils de Gengis khān, Chaybān (Cheïban), avait reçu en apanage les territoires situés à l’ouest et au sud-ouest de l’Oural. Quand, vers 1380, Tugtamich, khān de la Horde Blanche, restaure l’autorité du khān de Qiptchaq sur la Russie méridionale, les Chaybānides occupent les territoires situés entre le lac Balkhach et la Caspienne. Ces hordes prennent alors le nom d’Ouzbeks (Özbeks). Au début du xvie s., Muḥammad Chaybānī († 1510), roi d’Ouzbékistan, par la conquête de la Transoxiane, du Khārezm, du Khorāsān, du Fergana, reconstitue un véritable empire, dont les limites sont, d’un côté, l’Iran et, de l’autre, le pays des Kirghiz. L’éternelle histoire de la ruée des peuples d’Asie centrale sur le plateau iranien va-t-elle recommencer ? Près de Merv, le 2 décembre 1510, le Chaybānide se heurte au Séfévide et se fait battre par lui. L’affaire a un retentissement énorme : l’Iranien vainc le Turc ! le sédentaire a raison du nomade ! Les temps ont définitivement changé.

L’Empire ouzbek commence à décliner. Sa ruine est consommée en 1599. Le Turkestan est partagé en plusieurs khānats, comme l’a été auparavant la Horde d’Or, et le destin de chacun d’eux va être le même. Le khānat de Khiva dure de 1512 à 1920, mais doit reconnaître en 1873 la domination russe. Celui de Kokand est annexé par les tsars en 1876. Celui de Boukhara l’est en 1868. Il survit comme un protectorat jusqu’à l’avènement du régime soviétique en 1920.

Bien avant ces dates, les Turco-Mongols de Sibérie avaient eu, eux aussi, affaire aux Russes. Dès 1556, Ivan le Terrible intervient contre le khānat de Sibérie, qui survivra jusqu’en 1598. Les Russes fondent en 1586 et en 1587 respectivement Tioumen et Tobolsk, en 1604 Tomsk, en 1628 Krasnoïarsk et en 1652 Irkoutsk. Les lignes de fortification édifiées contre les nomades (« les Tartars ») se déplacent au fur et à mesure de leur avance. Depuis la fin du xvie s., les Kazakhs sont organisés en trois hordes qui se reconnaissent vassales de la Russie en 1731, en 1740 et en 1846.

Dans le Turkestan oriental, la maison de Djaghataï se maintint plus longtemps qu’ailleurs, mais le pays se divisa en une multitude de petites principautés en butte aux incursions des Kirghiz de Sibérie. Les khodjas, prétendant descendre du Prophète, avaient acquis la prépondérance et avaient institué une sorte de théocratie musulmane. Après une courte domination des Dzoungars, le Turkestan oriental fut finalement annexé par les Chinois à la fin du xviiie s. et devint en 1884 la province chinoise du Xinjiang (Sin-kiang*, Nouvelle Marche).