Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tunisie (suite)

Le néo-libéralisme des dernières années, sous l’impulsion du Premier ministre Hādī Nuwayra (Hedi Nouira), a redonné au secteur privé la direction des rouages essentiels de l’économie. Presque toutes les coopératives ont disparu. Les entrepreneurs privés se partagent même une partie des terres domaniales issues des anciennes propriétés des colons. L’État ne conserve plus qu’une maîtrise partielle sur la banque, le commerce extérieur, les terres domaniales, certaines industries. Vantant les « salaires modérés » de la main-d’œuvre, le régime tente d’attirer les capitaux étrangers en leur offrant un « paradis fiscal pour vingt ans », tout en favorisant les investissements de la bourgeoisie nationale. Après plus de dix ans d’hésitations, la Tunisie a nettement choisi la voie glu capitalisme libéral. Elle se différencie ainsi de l’Algérie voisine, pays avec lequel elle entretient cependant de bons rapports.


Les activités

Elles se sont diversifiées et ont, dans l’ensemble, assez nettement progressé depuis l’indépendance. Mais leur croissance doit être comparée avec une augmentation de la population d’environ 40 p. 100 au cours de la même période.

L’agriculture a dû faire face à de très graves difficultés. La rupture de relations privilégiées avec la France a entraîné la fermeture des débouchés habituels de la production de vin. Des calamités naturelles, sécheresses ou inondations catastrophiques, ont compromis ou détruit les progrès de plusieurs années. Les incertitudes pesant sur les structures d’exploitation ont ralenti tout effort d’innovation au cours des années 1965-1968. Mais la liberté laissée depuis aux entrepreneurs privés a donné un incontestable « coup de fouet » à la production agricole. Les récoltes des dernières années sont excellentes. Elles manifestent notamment l’essor des productions de blé et d’huile d’olive, en agriculture sèche, celui des agrumes, des fruits, des produits maraîchers, dans le cadre d’une petite irrigation très efficace. Par contre, la viticulture régresse et l’élevage progresse à un rythme insuffisant.

L’industrialisation a maintenant dépassé le stade des premières réalisations. Si la production du minerai de fer a diminué, celle des phosphates est maintenant valorisée sur place par la fabrication de superphosphates. Dans les petites villes de l’intérieur, l’implantation de quelques établissements n’a donné que de piètres résultats (Béja, Le Kef, Kasserine). Mais des usines plus nombreuses se sont installées dans les villes du Sahel (textile), dans la banlieue de Tunis (industries diverses) et dans l’agglomération de Bizerte, où une raffinerie de pétrole, une petite aciérie et des établissements de construction mécanique et métallurgique remplacent les activités de l’ancien arsenal. Dans le Sud, Gabès pourrait constituer prochainement un nouveau pôle de développement industriel. Avec des moyens réduits, la Tunisie mène une très active politique pétrolière ; une partie du pétrole algérien est exportée par le port tunisien de La Skhirra ; la Tunisie exploite les champs d’El-Borma (al-Burma) et de Douleb (al-Dulāb) ; elle attend beaucoup des prospections réalisées par des sociétés françaises ou italiennes au large de Sfax et de Gabès.

L’essor du tourisme constitue enfin le phénomène le plus spectaculaire des dix dernières années. Les initiatives prises par l’État dans les années 60 sont maintenant relayées par des sociétés mixtes (telles que la Cofitour), par des investisseurs privés, tunisiens ou étrangers (français, belges, ouest-allemands, américains). Le tourisme exploite essentiellement les possibilités offertes par un littoral ensoleillé et riche en sites archéologiques ou en villes « pittoresques ». Il s’adresse à une clientèle européenne, principalement française, allemande, anglaise et scandinave, qui arrive par avions ou par « car-ferries » et qui trouve dans de grands hôtels récemment édifiés un confort standardisé auquel l’hospitalité tunisienne ajoute quelque accent d’exotisme. Le tourisme se répartit sur la côte en quatre zones principales : le littoral de Carthage et de Sidi-Bou-Saïd, à quelques kilomètres de Tunis ; le golfe d’Hammamet ; les stations du Sahel, particulièrement Sousse et Monastir ; le Sud, avec Djerba et les échappées sahariennes des Maṭmaṭa, de Tozeur et de Nefta. Le nombre des visiteurs est passé de 46 000 en 1960 à 410 000 en 1970 et à environ 900 000 en 1974. Les prévisions, qui escomptent un afflux de 1 500 000 touristes étrangers en 1985, seront probablement dépassées.


Les déséquilibres

Ils ne se trouvent pas résorbes pour autant. Ils peuvent se regrouper autour de trois thèmes principaux.

• Le déséquilibre du commerce extérieur existait avant l’indépendance. Il s’est à peine atténué. La Tunisie doit importer des produits manufacturés (voitures, tracteurs, outillage...) et des produits alimentaires (lait, blé, sucre, thé, etc.). Ses exportations de minerai de fer, de phosphates, de vin, d’huile d’olive sont difficiles ou aléatoires : le pétrole et le tourisme sont ainsi devenus les deux principales sources de devises. L’endettement de la Tunisie n’en reste pas moins considérable, ce qui entretient un état de dépendance étroite à l’égard de créanciers étrangers, particulièrement occidentaux.

• Le déséquilibre entre les régions s’est considérablement accentué. Ni le « socialisme destourien », ni le néolibéralisme n’ont pu atténuer les oppositions spatiales. Plus que jamais, tout concourt à l’accumulation des initiatives et des offres d’emplois autour des pôles les plus dynamiques de la Tunisie maritime : l’industrialisation à proximité des ports et des villes où se trouve la main-d’œuvre la plus abondante et la plus habile ; la prospection pétrolière, qui semble plus prometteuse sur le littoral que dans l’intérieur ; l’essor du tourisme, qui ignore totalement les possibilités de l’intérieur, à l’exception de quelques échappées au Sahara, pour exploiter jusqu’à saturation le littoral proche des agglomérations ; le développement agricole lui-même, qui s’opère plus aisément dans les villages du cap Bon, de la région de Tunis ou du Sahel. Sans avoir résorbé complètement le sous-développement, la Tunisie des villes maritimes doit déjà faire face aussi à des problèmes de pays nanti : fortes densités de la population, hypertrophie de la capitale, encombrement des agglomérations, dénaturation des sites, pollution du littoral... Tout au contraire, le sous-développement pèse de plus en plus lourdement sur le Sud et sur le « bled » de l’intérieur. Villages et campements isolés, infrastructures insuffisantes, agriculture et élevage extensifs, industries quasi inexistantes, villes dérisoires forment un cortège de plus en plus répulsif, qui alimente un exode continu et qui laissera bientôt des zones de plus en plus vides, où le fonctionnaire, le citadin se sentent déjà en exil.