Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

travail (sociologie du) (suite)

L’Évolution du travail ouvrier aux usines Renault (1955), d’Alain Touraine, entre dans la première catégorie. Mais elle a aussi servi de modèle et de stimulant pour les études de la seconde. L’auteur analyse l’évolution du travail comme le passage d’un système professionnel (phase A) à un système technique (phase C) de travail. Dans le premier, correspondant à la machine universelle, l’organisation du travail est fondée sur l’autonomie ouvrière : le compagnon, assisté de ses aides, décide lui-même du choix de ses outils et de ses méthodes. Dans le système technique, correspondant aux machines spéciales — et plus précisément à ce qu’on a appelé depuis l’automation (ou automatisation*) —, les travailleurs ne sont plus engagés dans la fabrication. La phase intermédiaire (B), correspondant à la machine spécialisée, à la grande série, au travail à la chaîne, bien qu’ayant ses caractéristiques propres, n’est analysable qu’en termes de rencontre des deux systèmes : l’organisation centralisée du travail met fin à l’autonomie ouvrière, mais il y a encore engagement dans la production.

Conçu essentiellement pour étudier l’évolution de la qualification ouvrière, ce cadre sera utilisé par la suite pour aborder d’autres problèmes, notamment les systèmes de rémunération et, par A. Touraine lui-même, la conscience ouvrière. L’entrée dans le système technique semble la condition d’apparition de la conscience de classe, moment privilégié où se trouvent réunis les trois éléments de la conscience ouvrière : l’affirmation de soi comme principe de revendication, l’opposition à celui qui détient le pouvoir sur le travail et la contestation d’une société fondée sur les rapports de classe.

C’est à ce courant qu’il faut rattacher des analyses du mouvement ouvrier comme celles de Serge Mallet.

En dépit de leur commune référence critique aux organisateurs classiques, les relations humaines et ce courant se sont plutôt ignorés. Certes, W. F. White et surtout L. Sayles (1958) mirent en relief le rôle de la technologie sur le comportement des groupes. Mais ce sont peut-être les recherches de J. Woodward en Angleterre (1965) — recherches s’inscrivant dans la sociologie des organisations — qui réalisèrent l’union la plus originale entre ces nombreux courants.

Nous nous sommes attachés à décrire des courants plutôt qu’à dresser une sorte d’inventaire des thèmes abordés par la sociologie du travail. Cette façon de faire risque à coup sûr de laisser de côté certains travaux auxquels d’autres regroupements futurs accorderont rétrospectivement une place plus grande, voire centrale.

Elle ne permet pas non plus de prédire exactement dans quelle direction se développera une discipline qui ne procède pas seulement en fonction d’une problématique unique et a priori, mais en fonction des problèmes nouveaux sur lesquels on attend qu’elle apporte quelque lumière. Les conséquences sociales incalculables de décisions prises par quelques-uns au sein de quelques firmes multinationales disposant d’un pouvoir considérable, la transformation des méthodes de gestion avec les ordinateurs, ce qu’on a appelé la crise des cadres, l’importance croissante de l’immigration dans la main-d’œuvre ouvrière des pays industrialisés, ses conséquences pour le développement (ou le sous-développement) des pays exportateurs de main-d’œuvre, voilà autant de problèmes actuels faisant appel à l’imagination des sociologues et pour lesquels il leur faut forger de nouveaux outils conceptuels.

Enfin, la place accordée ci-dessus à la sociologie américaine ne fait que traduire le rôle des États-Unis, où cette sociologie s’est d’abord et davantage développée. Mais ce serait nier les enseignements de la sociologie de la connaissance que d’imaginer que le développement de la sociologie du travail dans d’autres contextes ne conduira pas à des démarches sensiblement différentes. On le voit déjà dans les pays en voie de développement, notamment l’Amérique latine, où les sociologues ont commencé à poser leurs problèmes de façon originale. Dans les pays de l’Est, la sociologie du travail en est, sauf en Pologne, à ses premiers pas. Alors que, en Occident, un point de vue critique semble prévaloir de plus en plus, les sociologues des pays socialistes paraissent pour l’instant essentiellement animés de préoccupations utilitaires de bonne gestion.

B. M.

➙ Automatisation / Entreprise / Ergonomie.

 K. Marx, Das Kapital (Hambourg, 1867-1894, 3 vol. ; trad. fr. le Capital, Éd. sociales, 1948-1960, 7 vol.) ; Lohnarbeit und Kapital (Breslau, 1880, nouv. éd., Berlin, 1891 ; trad. fr. Travail salarié et capital, Éd. sociales, 1972). / E. Durkheim, De la division sociale du travail (Alcan, 1893 ; nouv. éd., P. U. F., 1973). / E. Mayo, The Human Problems of an Industrial Civilization (New York, 1933). / C. W. Hartmann et T. Newcomb (sous la dir. de), Industrial Conflict. A Psychological Interpretation (New York, 1939). / F. J. Roethlisberger et W. J. Dickson, Management and the Worker (Cambridge, Mass., 1939). / P. Naville, Théorie de l’orientation professionnelle (Gallimard, 1945 ; nouv. éd., 1972) ; Vers l’automatisme social (Gallimard, 1963). / G. Friedmann, Machinisme et humanisme. Problèmes humains du machinisme industriel (Gallimard, 1947 ; nouv. éd., 1955) ; le Travail en miettes. Spécialisation et loisirs (Gallimard, 1956 ; nouv. éd., 1964). / A. Ombredane et J.-M. Faverge, l’Analyse du travail, facteur d’économie humaine et de productivité (P. U. F., 1955). / A. Touraine, l’Évolution du travail ouvrier aux usines Renault (C. N. R. S., 1955) ; la Conscience ouvrière (Éd. du Seuil, 1966). / P. Chombard de Lauwe, la Vie quotidienne des familles ouvrières (C. N. R. S., 1956). / G. Friedmann et P. Naville, Traité de sociologie du travail (A. Colin, 1962 ; 2 vol.). / L.-H. Parias (sous la dir. de), Histoire générale du travail, t. IV : la Civilisation industrielle de 1914 à nos jours (Nouv. Librairie de France, 1962). / S. Mallet, la Nouvelle Classe ouvrière (Éd. du Seuil, 1963). / M. Crozier, le Phénomène bureaucratique (Éd. du Seuil, 1964) ; le Monde des employés de bureau (Éd. du Seuil, 1965). / M. Rivière, Économie bourgeoise et pensée technocratique (Éd. sociales, 1965). / A. Willener, Interprétation de l’organisation dans l’industrie. Essai de sociologie du changement (Mouton, 1967). / B. Mottez, la Sociologie industrielle (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971). / P. Rolle, Introduction à la sociologie du travail (Larousse, 1971). / C. et M. Durand, De l’O. S. à l’ingénieur. Carrière ou classe sociale ? (Éd. ouvrières, 1972). / A. Gorz, Critique de la division du travail (Éd. du Seuil, 1973).