Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tibet (suite)

La réponse demeure dans le fait que ce pays est demeuré très longtemps marginal par rapport aux grands courants historiques qui ont secoué le monde. Situé comme une enclave aux confins de deux civilisations, celle de l’Inde et celle de la Chine, le Tibet, tout en maintenant sa propre identité, a bénéficié de l’apport de ces deux grandes cultures, restant cependant fidèle à sa tradition autochtone pré-chinoise et pré-indienne.

Sur le plan de la culture matérielle, le Tibet est en grande partie débiteur de la Chine ; l’Inde lui a fourni ses textes sacrés, son bouddhisme et une éthique en tout point opposée à la tradition populaire tibétaine, essentiellement guerrière et fondée sur le brigandage.

Le Tibet a pu être considéré à juste titre comme un État dont les structures sociales étaient empreintes à tous les niveaux par le phénomène religieux. Mis à part les moines, les nonnes, les prêtres séculiers et les néophytes, la vie laïque était dominée et contrôlée par la religion. Cependant, il est d’une importance primordiale de bien définir la conception du mysticisme au Tibet. Alexandra David-Neel (1868-1969) la détermine dans son livre Initiations lamaïques : « Un mystique en Occident est un dévot, dévot d’ordre très supérieur si l’on veut, mais toujours essentiellement un croyant, l’adorateur d’une divinité [...]. Tout au contraire, le mystique tibétain apparaîtra à beaucoup d’Occidentaux comme un athée. Ainsi, parmi les nombreuses déités du panthéon lamaïque il n’en est pas une seule qui remplisse le rôle d’être éternel, tout puissant, créateur du monde. »


Préhistoire et protohistoire

La préhistoire et la protohistoire du Tibet sont très peu connues. En effet, dans le Tibet traditionnel, il était quasiment impossible de mener un quelconque sondage de terrains ou une fouille quelconque ; ces activités sont considérées comme sacrilèges aux yeux du lamaïsme, la terre étant peuplée de naja-rājās, ou rois-serpents.

Depuis le rattachement du Tibet à la Chine populaire, les campagnes de fouilles se sont développées et ont établi la similarité entre les bronzes de fouilles tibétaines et certaines pièces crâniennes du Luristān. La virtuosité des Tibétains dans le travail des métaux était déjà renommée dans les annales chinoises, qui parlaient de la grande perfection de leur armement.

D’autre part, de nombreuses grottes ont été découvertes dans la zone de Naba et de Kua-Inn : leurs décorations remontent, d’après les archéologues, au IIe millénaire av. J.-C. Dans le Tibet occidental, il faut signaler les grottes de Tsaparang, de Chang, de Kyanglung. On a remarqué un grand nombre d’installations de troglodytes où les anachorètes tibétains pratiquaient la méditation, à l’exemple du célèbre mystique tibétain Milarepa (v. 1040 - v. 1123).

A. W. MacDonald et Jacques Bacot ont noté à Pu Dopta-Kolsong et à Garbyang des sites mégalithiques alignés d’est en ouest. Des tombes funéraires datées de 500 av. J.-C. ont été mises au jour dans le district de Balukhar ; elles contiendraient des pâtes de verre et une assez grande variété d’objets de bronze — parties de miroirs, vaisselle et objets de fer.


Des origines aux premiers rois

Comme tout mythe des origines d’un peuple, celui du Tibet laisse une très grande part à la fable et à la fantasmagorie. Néanmoins, les textes manuscrits recueillis sur des rouleaux de papier par Rolph Alfred Stein et Paul Pelliot permettent de recréer approximativement ce que fut l’organisation sociale tibétaine avant la venue du bouddhisme, organisation clanique marquée d’une forte influence chamanistique.

La naissance mythique du peuple tibétain serait le résultat de l’accouplement d’un singe avec une démone des rochers, le héros culturel détenteur du savoir et le bienfaiteur du peuple tibétain étant un être d’extraction semi-divine, Nya-khri-btsanpo, être fabuleux issu du ciel par le moyen d’une corde magique. Selon la tradition succédèrent à ce fondateur vingt-sept rois mythiques jusqu’au commencement du viie s. La tradition bouddhiste tibétaine, après avoir refoulé l’antique tradition religieuse bon, s’accapara et remodela les origines selon leur canon religieux ; ainsi, le premier roi Nya-khri était non pas tibétain, mais indien et de la caste des Śākya (dynastie de Bouddha) ; son origine évidemment princière plongeait ses racines dans la province de Kosāla. Il avait des yeux qui se fermaient de bas en haut ; il fut exposé par son père sur le Gange ; sauvé des eaux, il résolut d’accéder à la royauté ; s’enfuyant dans les montagnes, il franchit les chaînes de l’Himālaya. En ces lieux, des nomades l’accueillirent et en firent le monarque du Yarlung (vallée haute).


Les premiers rois

La première dynastie fut composée de sept rois mythiques (les sept Nam-la-khri), dont la vie s’achevait par une remontée au ciel, lieu de leurs origines.

La véritable histoire du Tibet débute par l’avènement de Srong-btsan-sgam-po (v. 610-649), fils de Gnam-ri-slon-btsan. Ce dynaste établit des relations de bon voisinage avec la Chine et, l’influence chinoise aidant, donne à son royaume une organisation centralisée. La centralisation du pouvoir est une des nécessités du Tibet, eu égard aux interminables guerres et pillages auxquels se livrent les féodaux.

L’histoire lie à ce règne la création de la langue tibétaine : après avoir été délégué au Cachemire, le ministre Thon-mi Sambhota établit une adaptation normalisée de l’alphabet tibétain. Le règne de Srong-btsan-sgam-po est marqué par l’extension de son royaume en direction du Népal et de l’Inde, extension territoriale qui se prolongera jusqu’aux régions du lac Koukou Nor et de la Chine occidentale.

La tradition tibétaine dans le Maṇi bka’-’bum dit que, outre ses mariages tibétains, Srong-btsan convola avec la princesse népalaise Bri-tsum, fille d’Amśuvarma, roi du Népal et avec la princesse chinoise Wensheng (Wen-cheng), nièce du grand Taizong (T’ai-tsong), fondateur de la dynastie Tang (T’ang). Selon certaines sources, il épousa cette dernière à la suite d’une guerre qui dura sept ans dans les marches chinoises du Koukou Nor.

Le roi tibétain bénéficia durant tout son règne des services d’un ministre zélé et fort habile ; celui-ci, connu sous le nom de « Mgar », fut immortalisé dans le grand récit du Maṇi bka’-’bum.