Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thoutmosis III

Roi d’Égypte de 1505 à 1450 av. J.-C., 5e souverain de la XVIIIe dynastie.


À la mort de son père, Thoutmosis II, il accède au trône, bien que de naissance, semble-t-il, illégitime ; il est vraisemblablement le fils d’une concubine. Pour mieux justifier cette accession, il se marie avec l’aînée des deux filles nées de la grande épouse royale, Hatshepsout. Mais il est très jeune (neuf ans ?) et la reine ambitieuse : celle-ci, sous couvert de régence, usurpe en fait le pouvoir pendant vingt-deux ans ; durant ce temps, on ne sait ce qu’il est advenu du jeune prince ; sauf dans les premières années, il n’est jamais question de lui sur les documents officiels. À la mort d’Hatshepsout, en 1484, Thoutmosis III devient véritablement roi et, au cours d’un règne effectif de trente-quatre ans, redonne vigueur à la monarchie pharaonique, conquiert militairement un vaste empire et met en place un système administratif avisé et sagace.


Le chef d’armée

Quand il prend le pouvoir, la situation est grave en Asie. En effet, si les premiers rois de la XVIIIe dynastie avaient maintenu sous leur obédience les princes asiatiques (depuis le désert de Néguev jusqu’à l’Oronte ou l’Euphrate), c’est que des expéditions militaires régulières avaient su assurer cette mainmise sur des États séparés, qui, souvent, s’entendaient mal entre eux. Mais l’inaction d’Hatshepsout, qui ne pouvait conduire personnellement une armée, et le sentiment croissant du danger que représentait la puissance égyptienne finirent par rapprocher les principaux chefs asiatiques ; en fait, cette coalition, menée par le prince de la ville de Kadesh (sur l’Oronte), fut le résultat des menées secrètes et des intrigues du roi du Mitanni*, puissant royaume constitué dans les hautes vallées du Tigre et de l’Euphrate au moment des invasions indo-européennes du IIe millénaire av. J.-C. Ce royaume devait nécessairement chercher à s’étendre jusqu’à la côte septentrionale de « Syrie », débouché normal de la vallée de l’Euphrate sur la Méditerranée et clé de l’hégémonie dans l’Asie antérieure septentrionale. Un duel militaire, diplomatique, économique s’engagea donc entre les rois de Thèbes et de Washouganni.

Dix-sept campagnes, menées (une chaque année) avec un admirable sens de la stratégie, fruit d’une politique de conquête raisonnée, donneront la victoire au roi d’Égypte. Le détail en est connu grâce à plusieurs textes : notamment celui des Annales, rapport officiel, sculpté en 223 lignes sur les murs nord et ouest (pour la plus grande part) du corridor qui entoure le saint des saints du grand temple d’Amon à Karnak, et reproduit en d’autres lieux saints ; les textes des biographies des officiers de l’armée et des hauts fonctionnaires (v. Égypte, littérature) apportent aussi leur contribution pour une meilleure connaissance de cette épopée.

Au cours des quatre premières campagnes, Thoutmosis reconquiert l’ensemble des positions égyptiennes jusqu’à l’Oronte : phase illustrée par la prise de la forteresse de Megiddo (principale place forte de l’actuelle Palestine) ; les Annales content les affres d’un conseil militaire de campagne, la vaillance de Pharaon, qui « part lui-même à la tête de son armée, montrant la voie par ses pas », les escarmouches dans les collines, la veillée d’armes, la bataille à l’aube : « Sa Majesté allait devant sur un char d’électrum, parée de ses armes de guerre, comme Horus le combattant, seigneur de la puissance, cependant que son père Amon fortifiait ses bras » — et c’est la débandade des coalisés, le pillage, le siège de la ville jusqu’à sa reddition. On poursuit jusqu’à Tyr, cependant que le butin enrichit l’armée et, au retour, les temples des dieux (surtout celui d’Amon, à Thèbes). Thoutmosis III, les années suivantes, assure sagement sa possession sur la « Palestine », la « Syrie » et les ports de Phénicie ; il l’organise : le pays est divisé en districts à l’impôt foncier, et des « préfets » y sont provisoirement installés pour percevoir le tribut, sur le rendement des moissons notamment. Témoignant d’une curiosité nouvelle pour les pays « étrangers », d’un goût de l’exotisme, le rapport de la troisième campagne, sculpté dans une pièce située à l’arrière du temple d’Amon, est accompagné de nombreux reliefs décrivant la flore et la faune rapportées de Syrie (c’est le « jardin botanique » de Karnak).

Cet Empire conquis, maintenu, il fallait encore en assurer la sécurité en lui donnant la frontière de l’Euphrate et en abattant la puissance du Mitanni. Ce fut l’objet des quatre campagnes suivantes : s’appuyant sur les bases maritimes phéniciennes (qui permettaient, plus rapidement et à moindres frais, d’amener les troupes et le ravitaillement, et aussi de transporter plus commodément le butin en retour), Thoutmosis, successivement, conquiert Kadesh, marche jusqu’à l’Euphrate et fait une incursion en Mitanni. Faits d’armes et anecdotes émaillent les textes des Annales et des biographies ; au retour de la cinquième campagne, après la prise du port d’Arwad en Phénicie, les soldats d’Égypte connaissent déjà le sort qui sera celui des soldats d’Hannibal à Capoue : « Les jardins étaient pleins de fruits, les vins s’échappaient à flot des pressoirs, les blés recouvraient les pentes de la montagne, plus abondants que le sable de la côte [...]. L’armée de Sa Majesté était accablée de richesses [...]. Elle était ivre, le corps oint d’huile chaque jour comme les jours de fête en Égypte. »

À la fin de la sixième campagne, les fils de princes sont emmenés en Égypte et mis en résidence surveillée pour recevoir une éducation égyptienne, « et, dorénavant, quiconque parmi ces chefs mourra, Sa Majesté fera en sorte que son fils prenne sa place ». C’était une manière de faire pénétrer plus profondément l’influence égyptienne dans le pays ; plus tard, le procédé sera employé aussi par les Romains. Décisive est la marche glorieuse de la huitième campagne : par la vieille route militaire de Gaza, Thoutmosis III remonte jusqu’à Byblos ; là, prévoyant déjà le passage de l’Euphrate, il fait construire de solides bateaux en bois de cèdre ; ceux-ci sont placés sur des chars traînés par des bœufs, et, derrière eux, charrerie, infanterie, intendance se mettent lentement en route vers le nord ; après des échauffourées et la bataille pour Karkemish, l’Euphrate est atteint ; le roi fait alors mettre à l’eau les bateaux qui l’accompagnaient depuis Byblos et passe ainsi le fleuve avec une partie de l’armée ; il pénètre en Mitanni, mettant à raison son principal ennemi. Marquant la limite septentrionale de l’empire d’Égypte, une stèle-frontière est érigée sur la rive occidentale du fleuve. Durant neuf années encore, le retour, chaque printemps, de Pharaon et de son armée assureront définitivement la conquête.