Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Thessalonique (suite)

En 1204, les barons de la quatrième croisade la cèdent en fief au marquis Boniface de Montferrat († en 1207). Cette principauté franque (le royaume latin de Thessalonique) tombe à la fin de 1224 dans le domaine du prince épirote Théodore Ange Doukas, mais les descendants de ce dernier en sont dépouillés par l’empereur de Nicée Jean III Vatatzès, qui lui fait réintégrer le giron de l’Empire en décembre 1246. Foyer d’une intense activité intellectuelle et artistique, mais minée par de graves déséquilibres sociaux, la ville est étroitement mêlée à la querelle hésychaste et aux guerres civiles qui désolèrent l’Empire byzantin au xive s. En avril 1387, les Turcs s’en emparent après un long siège, mais le sultan Süleyman (Soliman Ier) la restitue aux Byzantins vers 1403. Incapable de la défendre contre les attaques répétées des Osmanlis, son dernier gouverneur, Andronic Paléologue, la remet aux Vénitiens en 1423. La ville compte alors quelque 40 000 habitants. Mécontent de cet arrangement, le sultan Murad II l’assiège et l’enlève le 29 mars 1430.


La domination turque

Les Turcs s’emploient à faire revivre la métropole, que des guerres incessantes ont appauvrie et dépeuplée (7 000 hab. en 1430). La population turque, installée dans le quartier de l’Acropole et vivant de revenus fonciers, est grossie de nombreux Juifs venus d’Allemagne, de Hongrie et surtout d’Espagne. Ceux-ci seront avec les Grecs les artisans du redressement économique. La communauté juive, estimée à 10 000 familles au début du xvie s., est composée en majorité de négociants, d’artisans, de banquiers et d’armateurs, qui bénéficient de privilèges pour la manufacture des draps et les achats de laine. Au milieu du xviie s., la ville compterait 33 000 maisons : 48 districts sont occupés par les musulmans, 56 par les Juifs et 16 par les Grecs et les Arméniens. Le déplacement du commerce international vers l’Atlantique, la guerre entre la France et l’Angleterre ainsi que le déclin de Venise ralentissent l’activité économique de la cité, mais, dès la seconde moitié du xviie s., celle-ci devient une des principales Échelles du Levant. Les bénéficiaires de cette reprise économique sont, dès le début du xviie s., des négociants européens, des commissionnaires juifs et de riches marchands grecs, qui contrôlent le commerce intérieur du pays et même une grande partie du commerce extérieur. Au xviiie s., Thessalonique, peuplée d’environ 60 000 personnes, devient la capitale commerciale de tous les Balkans et poursuit sa croissance.


La période moderne

Acquise aux idées libérales qui travaillent l’Europe entière, la bourgeoisie grecque, mais aussi le menu peuple aspirent à l’émancipation nationale et à la liberté politique. Le soulèvement de 1821 est sauvagement réprimé par les Turcs, et le régime de terreur dure jusqu’en 1823 ; il en va de même lors de l’insurrection de 1854. L’activité économique est ralentie par les guerres et l’anarchie politique ; néanmoins, de grands travaux modifient la physionomie de la ville : rénovation des rues, construction de nouveaux quartiers, inauguration du tram (1871), construction de voies ferrées (Flórina, 1893 ; Istanbul, 1895). De 1865 à 1895, la population passe de 50 000 à 120 000 habitants. Mais l’appropriation de la Macédoine ne tarde pas à devenir le principal objectif de tous les États balkaniques. À la faveur de la guerre qui met ceux-ci aux prises avec la Turquie, les troupes grecques entrent dans Thessalonique le jour même de la fête de saint Démétrios (26 oct. 1912). Le partage ultérieur de la Macédoine entre les belligérants vainqueurs amène la guerre entre les alliés de la veille, mais la Bulgarie est vaincue (1913) et Thessalonique définitivement incorporée au royaume grec. Le roi Georges Ier y est assassiné le 18 mars 1913. Le gouvernement Venizélos* autorise et encourage le débarquement des troupes anglo-françaises à Thessalonique (oct. 1915), qui a été choisie comme base d’opérations contre les forces germano-bulgares menaçant la Macédoine. Venizélos, révolté contre le gouvernement royal, y crée un gouvernement provisoire (1916). Le second conflit mondial atteint durement la ville : victorieuse des troupes italiennes (1940), l’armée grecque est défaite par les divisions hitlériennes (avr. 1941), qui envahissent tout le pays. La ville, qui perd durant l’occupation allemande la quasi-totalité de sa population juive, recouvre la liberté en 1945, mais une guerre civile atroce et ruineuse sévit jusqu’en 1949.

P. G.

➙ Byzantin (Empire) / Épire / Latin de Constantinople (Empire).

 O. Tafrali, Topographie de Thessalonique (Geuthner, 1913) ; Thessalonique au xive siècle (Geuthner, 1913) ; Thessalonique des origines au xive siècle (Leroux, 1919). / A. Vacalopoulos, A History of Thessaloniki (en grec, Thessalonique, 1947 ; trad. angl., Thessalonique, 1963). / N. G. Svoronos, le Commerce de Salonique au xviiie siècle (P. U. F., 1956).


L’art de la Thessalonique byzantine

La localisation privilégiée de la « seconde Athènes » explique les prestigieux monuments que celle-ci garde de son passé médiéval — sans parler de ses vestiges hellénistiques et surtout romains —, monuments avec lesquels seuls ceux de Constantinople* et de Ravenne* souffrent la comparaison.

Dès le début de l’ère chrétienne, le destin de Thessalonique fut marqué par d’importants moments de la vie de l’Église. Saint Paul écrira deux épîtres aux chrétiens de la ville. En 380, Théodose y proclama le christianisme religion d’État. Au ixe s., la ville vit naître les moines Cyrille et Méthode, convertisseurs des Slaves et inventeurs de l’alphabet cyrillique. Contre vents et marées, elle prospéra. Chaque période, avec ses particularités architecturales et iconographiques, est représentée. À ville chrétienne, monuments chrétiens : les églises. Chacune mériterait qu’on s’y arrête.