Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Après la fermeture du théâtre du Vieux-Colombier en 1924, Copeau ouvrit dès 1926 deux des voies nouvelles ou renouvelées du théâtre : à Beaune ou à Florence, les grandes manifestations théâtrales populaires de plein air ; en Bourgogne, avec les Copiaux, une des premières tentatives de décentralisation, amenant le théâtre au village, avec un spectacle composé, pour le texte et la mise en scène, selon des principes proches de ceux qui seront adoptés pour les créations collectives du théâtre des années 70.


Antonin Artaud

Poète surréaliste, acteur au théâtre de l’Atelier sous la direction de Charles Dullin, Artaud*, comme Appia et Craig, a une œuvre de metteur en scène des plus limitées. Ses écrits théoriques — notamment son livre-manifeste le Théâtre et son double, paru en 1938 — ont suffi à marquer profondément depuis 1955 une partie des animateurs appartenant au jeune théâtre français ou étranger, tels Jerzy Grotowski (né en 1933) en Pologne, Julian Beck et Judith Melina aux États-Unis, Roy Hart en Angleterre..., l’autre partie se réclamant des représentants du théâtre politiquement engagé.

Artaud tire de l’observation des manifestations dramatiques telles qu’elles sont pratiquées à Bali les références concrètes de son système. D’après lui, le théâtre balinais est resté ce que le théâtre devait être à son origine, en ce qu’il accorde au langage physique et spatial de la scène, à base de signes et de mouvements, le pouvoir exclusif de rendre sensibles les forces magiques auxquelles le monde obéit. Un tel théâtre apparaît donc être le « double » non pas, comme le théâtre occidental, de la réalité quotidienne, mais d’une autre réalité, incomparablement plus riche et constituée, précisément, par ces forces magiques.

Selon Artaud, c’est plus particulièrement depuis la Renaissance que le théâtre, par la prééminence accordée aux mots, est devenu une branche accessoire de la littérature. Il ne retrouvera son autonomie artistique qu’en recourant aux seuls moyens scéniques spécifiques, dont l’agencement harmonieux constitue le spectacle devenu intégral.

Une telle régénération à partir des moyens d’expression propres au théâtre implique, toujours selon Artaud, une réforme de toutes ses parties. Il importe, écrira-t-il, de mettre fin à la « dictature de l’écrivain » en accordant aux mots ni plus ni moins de place dans le jeu que dans le rêve, mais en utilisant toute la valeur incantatoire dont ils sont chargés, afin de répondre rigoureusement aux exigences physiques de la scène. Or, le metteur en scène, par la connaissance qu’il a des réalités et des lois de la scène, par l’équilibre et l’harmonie qu’il doit imprimer à l’œuvre au cours de son travail, doit devenir nécessairement le seul maître de son théâtre. Ancien auteur ou, à défaut, ancien acteur, il deviendra le créateur unique à qui incombera la double responsabilité du spectacle et de l’action.


Mise en scène et idéologie politique

Si, dans le prolongement de l’œuvre et des écrits théoriques de Bertolt Brecht, le théâtre politique d’inspiration marxiste connaît dans le monde un rayonnement considérable, ne perdons pas de vue que cet auteur-metteur en scène a eu pour devanciers de purs metteurs en scène. Rattaché au ministère soviétique de l’Éducation nationale en 1917, deux semaines après l’avènement du régime, le théâtre, « âme de la vie sociale », fut considéré comme le « premier des services publics », en ce qu’il devait « assurer la cohésion spirituelle de tous les peuples de l’Union ». Avec la musique et le cinéma, le théâtre devait être « l’expression même de la foi sociale qui rassemble, qui instruit, qui ennoblit le prolétariat et qui le conduit vers des destinées toujours plus hautes ». Ce service forma un département spécial (TEO), et ce fut Vsevolod Emilievitch Meyerhold (1874-1942) qui, en 1920, fut nommé directeur de ce département panrusse. Aux termes de sa première déclaration officielle, il prévoyait que le TEO organiserait « son travail de manière à devenir, dans le domaine théâtral, un organe de propagande communiste. Comme tous les départements du Soviet des commissaires du peuple, il affronte les tâches d’instruction politique qui incombent au théâtre. Il faut en finir une fois pour toutes avec les tendances neutres dites culturelles. »

Les principaux éléments d’une doctrine d’un théâtre révolutionnaire se trouvent formulés par l’Allemand Erwin Piscator (1893-1966). La mission de ce théâtre, précise-t-il, « consiste à prendre la réalité comme point de départ, à intensifier le désaccord, pour en faire un élément d’accusation, et à préparer ainsi la révolution et l’ordre nouveau ». Après la Seconde Guerre mondiale, le metteur en scène polonais Leon Schiller (1887-1954), dans un rapport présenté dès 1946 au Conseil supérieur du théâtre à Varsovie, s’est préoccupé de la formation des hommes de théâtre eux-mêmes afin d’assurer une meilleure éducation politique des spectateurs. D’autre part, il s’est attaché à définir les principes idéologiques qui doivent servir de guide dans le choix du répertoire. Sans écarter les œuvres monumentales de la dramaturgie romantique ou postromantique polonaise, il estime que ce seront des drames historiques, dont le thème sera emprunté à l’époque contemporaine, qui intéresseront le plus souvent « ces crève-la-faim d’hier » ou « les hommes des cavernes des villes en ruine ».

Leon Schiller souhaite encore que les hommes de théâtre s’efforcent de dénoncer les altérations que la vérité historique a subies dans certaines œuvres. Il écrit à ce propos : « [...] nous devons [...] commenter de telles œuvres au moyen d’introductions au spectacle, d’exposés entre les actes, de notes adjointes au programme ou filmées. » Rénovation des œuvres classiques afin de les rapprocher des spectateurs, droit proclamé de modifier les textes, recours aux principes de la composition collective de spectacles ou « montages » d’événements.