Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

théâtre (suite)

À ces premières remarques s’ajoutent d’autres considérations :
— importance considérable accordée par Appia à la lumière, qui doit être utilisée en vue non plus d’éclairer le décor, mais de mettre en valeur les qualités plastiques du corps de l’acteur ;
— infériorité du drame parlé par rapport au drame musical, en ce que la durée ne peut être déterminée avec rigueur, ni le jeu des acteurs (évolution et diction) ;
— possibilité donnée par le théâtre lyrique au poète-musicien de régler lui-même la mise en scène de sa pièce, qui se trouve d’ailleurs incluse dans la partition : d’où une parfaite unité entre l’œuvre écrite et sa représentation ;
— réalisation par le théâtre non pas d’une synthèse d’arts, mais d’une synthèse d’éléments artistiques dont l’unité dépend de leur nature et de leurs propriétés. L’autonomie artistique du théâtre se trouve être ainsi établie de façon rigoureuse ;
— subordination de la décoration à la construction, à la plantation, à la praticabilité, c’est-à-dire à un dispositif scénique permettant, par ses points d’appui, par son profil, de mettre en valeur le mouvement et les évolutions de l’acteur. Utilisation de l’espace en largeur, en profondeur, en hauteur au moyen de plans inclinés, de niveaux et de paliers, d’escaliers...

La meilleure utilisation de l’éclairage et le souci d’obtenir une meilleure participation du publie commandent la disparition de la rampe. Suppression du rideau pour répondre à cette dernière préoccupation, qui, dans les écrits d’Appia, sera poussée jusqu’à l’extrême limite : suppression de l’attitude de « vis-à-vis ». Participation totale des spectateurs. Réalisation d’un art, dont le corps de l’acteur est le matériau, conçu dans un espace où n’existe plus de séparation entre la salle et la scène.

De façon frappante se retrouvent chez Craig certains des objectifs généraux poursuivis par Appia : opérer une réforme totale et non partielle du théâtre ; restaurer le théâtre dans son indépendance artistique en mettant fin à l’anarchie qui y sévit.

Pour Craig, l’origine et l’essence du théâtre procèdent du mouvement : « J’aime à me rappeler que toutes choses naissent du mouvement, y compris la musique, et je me félicite que nous ayons l’honneur d’être les servants de cette force suprême, le mouvement. »

« L’art du théâtre est né du geste — du mouvement — de la danse. »

« La vocation du théâtre s’analyse en un désir de mouvement. J’entends par mouvement le geste et la danse, qui sont la prose et la poésie du mouvement. »

Libérer le théâtre de l’emprise des artistes appartenant à d’autres disciplines : littérateurs, musiciens, décorateurs ; lui redonner l’unité, l’harmonie, l’équilibre que cet état d’anarchie lui a fait perdre : pour Craig, cet équilibre reste constamment menacé, plus particulièrement par la faute de l’auteur dramatique et par celle de l’acteur. L’auteur, parce qu’il ignore trop souvent la véritable nature du style dramatique. L’acteur, parce que l’intervention de son corps, réalité vivante, introduit nécessairement dans cette œuvre d’art que doit être l’œuvre théâtrale un grossier réalisme. Or, ainsi que l’écrit Craig, « le but de l’art n’est pas de refléter la vie et l’artiste n’imite pas, il crée. Le réalisme ne peut s’élever, il tend à l’encontre à déchoir. »

L’acteur peut difficilement se contrôler ; or, selon Craig, il n’y a pas d’œuvre d’art sans contrôle rigoureux.

Quelle sera la solution ?

Les propositions formulées par Craig, variables et quelquefois contradictoires, ont donné lieu aux controverses les plus passionnées.

Dans un premier moment, Craig considère qu’il faut, en l’état actuel du théâtre, admettre le concours de l’auteur.

Dans un deuxième temps, il considère que l’auteur doit être chassé du théâtre : « sous l’autorité du metteur en scène, à qui, en ce cas comme dans les autres, une obéissance volontaire, absolue, doit être accordée, faute de quoi on ne pourra rien entreprendre de grand. Ainsi naîtra un art si élevé, si universellement admiré, qu’on y découvrira une religion nouvelle, une religion qui ne fera pas de prêche, mais des révélations, qui ne présentera pas d’images définies telles que les créent les peintres et les sculpteurs, mais nous dévoilera la pensée, silencieusement, par le geste, par des suites de visions. » Il ajoute : « Il s’agit d’une proposition inoffensive — d’aucuns la jugeront chimérique —, il ne s’agit que de restaurer notre art antique et honorable. »

Dans un troisième moment, Craig affirme qu’il n’a jamais voulu chasser personne du théâtre, sauf le non-dramatique.

En ce qui a trait à l’acteur, dans un premier moment, il considère que l’acteur devra se créer un masque, contrôler son imagination, devenir un simple élément mobile du décor.

Quelques réflexions peuvent être groupées pour constituer le second moment de sa pensée : « Supprimez l’acteur et vous enlèverez à un grossier réalisme les moyens de fleurir à la scène [...]. L’acteur disparaîtra : à sa place, nous verrons un personnage inanimé — qui portera, si vous voulez, le nom de « sur-marionnette ». »

Craig précisera : « La super-marionnette, c’est le comédien avec le feu en plus et l’égoïsme en moins. »

Avec Appia et Craig, les principes de la réforme du théâtre sont, pour la plupart, formulés. C’est la reprise de la majorité d’entre eux ou leur mise en application qui inspirera les conceptions et les réalisations qui suivront, notamment celles qui sont propres au constructivisme russe et allemand, à l’expressionnisme allemand et Scandinave, au futurisme italien et français.


Konstantine Sergueïevitch Stanislavski (1863-1938)

Dans ses grandes lignes, la situation du théâtre russe à la fin du siècle dernier n’est pas sans analogie avec celle qui sévit en France : si l’on en croit Stanislavski, fondateur à Moscou, avec Vladimir I. Nemirovitch-Dantchenko (1858-1943), en 1898, du théâtre d’Art, la chose théâtrale se trouvait d’un côté entre les mains d’entrepreneurs de cafés chantants, de l’autre entre celles de bureaucrates.