Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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théâtre (suite)

Les tentatives du « Living Theatre » ou du « Bread and Puppet », du « happening » suédois ou anglo-saxon, de Luca Ronconi, des auteurs du Regard du sourd ne vont plus dans le sens de la création dramatique du « nouveau théâtre » des années 50 et pas davantage dans celui de la technologie de la mise en scène. Il s’agit d’une « nouvelle donne » qui déborde la création dramatique et qui, pour tout dire, se rattache plus directement à la théorie de la fête telle que l’avait proposée Rousseau qu’à la recherche proprement dramatique : associer le public à la création, éliminer l’individualité isolée et souffrante, présenter l’événement ou célébrer un acte public.

Si l’on s’interroge sur le théâtre dans les sociétés modernes, on ne peut oublier la grande intuition de J.-J. Rousseau, qui opposait à la représentation dramatique la manifestation publique, où tout homme devenait acteur dans une célébration dont le groupe tout entier était le support et le prétexte. Dans sa réponse à d’Alembert célébrant l’universalité de l’art dramatique et reprenant la plupart des arguments de Bossuet ou des prédicateurs protestants contre la comédie et le théâtre, Rousseau pensait qu’on devait demander à cet événement privilégié que constitue la fête collective ce que le théâtre ne donnait jamais, la participation de tous à une invention commune.

Il est vraisemblable que Rousseau ne pensait guère aux conséquences de ses idées et que les animateurs contemporains n’ont jamais lu Rousseau. Il n’empêche que nous retrouvons ici une préoccupation commune, très contraire à ce que nous avons décrit sous la forme du théâtre. Il est possible que cette contestation nous conduise à admettre que le puissant courant d’invention dramatique qui commence aux Grecs et qui s’achève avec Beckett ou Genet se réduit à la représentation d’une maladie de l’Europe incapable d’adapter sa vie aux exigences du mouvement de la technique ou de l’économie. Il est possible que nous puissions voir dans l’ensemble des œuvres dramatiques européennes l’image d’une névrose collective, et il n’est pas indifférent de rappeler que la psychanalyse s’est, dès son origine, emparée du vocabulaire dramatique et de l’un de ses thèmes fondamentaux, le mythe d’Œdipe. Il est possible aussi que surgisse un dramaturge de génie...

L’existence du théâtre occidental, tel qu’il a été et tel qu’il est encore, ouvre une réflexion infinie dans la mesure où il a été, dans ses manifestations les plus significatives, une protestation contre l’ordre établi et une contestation, transmise à travers une individualité et un discours poétique, de la situation de l’être vivant dans sa culture. On parle d’« anticulture », mais le théâtre a été un fait d’anticulture par lequel les hommes ont fait l’expérience esthétique de leur liberté.

J. D.

➙ Boulevard (théâtre du) / Brecht / Calderón / Comédie / Comédien / Commedia dell’arte / Drame / Élisabéthain (théâtre) / Mélodrame / Mystères (les) et le théâtre médiéval / Shakespeare / Tragédie / Vaudeville.


La mise en scène

Le terme de mise en scène a deux sens distincts : il désigne, d’une part, l’ensemble des moyens d’expression scénique (jeu des acteurs, costumes, décor ou dispositif, musique, éclairage, mobilier) ; il désigne, d’autre part, la fonction consistant dans l’élaboration et l’agencement spatial et temporel de ces moyens d’expression en vue de l’interprétation d’une œuvre dramatique ou d’un thème.


Historique

En France, comme en Angleterre et en Allemagne pour ses équivalents, le terme de mise en scène est récent, puisqu’il date de la première moitié du xixe s. Cette remarque nous fait saisir d’emblée la particularité de la mise en scène : considérée comme l’ensemble des moyens d’expression scénique ou comme l’emploi de ces moyens, elle semble bien ne prendre conscience d’elle-même, de ses pouvoirs artistiques, qu’au cours de la première moitié du xixe s. Mais cette prise de conscience devient particulièrement forte à partir de la dernière décennie du siècle dernier. Sous l’impulsion d’un petit nombre d’artistes, qui se trouvent remplir, précisément, la fonction de metteurs en scène, elle est liée en effet en Europe, puis dans le monde à la naissance et au développement d’un mouvement de réforme dont l’objet est de redonner au théâtre la place qu’il avait perdue parmi les différents arts.

Cette réforme du théâtre tout entier à partir de la mise en scène laisse supposer qu’en ce qui concerne précisément la mise en scène cette période sera, de toute l’histoire du théâtre, la plus riche en faits et en idées.

Schématiquement, il est possible de distinguer au cours des quatre-vingts dernières années deux parties.

De 1887 à 1935 se déroule une période d’étude, de recherche et d’expérimentation. Le Français André Antoine, qui fonde précisément en 1887 le Théâtre-Libre, emploie, le premier, le terme de laboratoire pour désigner son entreprise, et ce terme ainsi que ceux de théâtre d’essai et de théâtre-école seront repris fréquemment par la suite. Méditation en marge de la pratique ou travaux entrepris par de petits groupes en rupture avec la production courante : les fondateurs de troupes semblent avoir la hantise de l’étude et de la recherche, le souci d’une redécouverte du théâtre tout entier.

La plupart des troupes ainsi créées par un directeur-metteur en scène sont destinées à constituer des équipes stables, jouissant d’une indépendance financière et artistique complètes.

Au cours des vingt-cinq années qui suivent (1926-1939 ; 1945-1955), on assiste à une exploitation éclectique des principes pratiques ou théoriques, qui ont été précisés : extension du répertoire (œuvres classiques et étrangères) ; création de mesures destinées à amener au théâtre, devenu fréquemment le foyer principal d’une animation culturelle, un public de plus en plus étendu ; engagement de metteurs en scène issus du théâtre de recherche, tant par des théâtres nationaux que par des théâtres appartenant au circuit commercial.