Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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tête (suite)

Évolution de la bouche

La région antérieure du corps est aussi la première à être en contact avec les éléments nutritifs contenus dans ce milieu. Il s’ensuit, normalement, que la bouche doit être située dans la région céphalique. Cependant, cette évolution est moins immédiate que l’apparition d’organes sensoriels et la cérébralisation. En effet, c’est chez les Turbellariés que, pour la première fois dans l’échelle zoologique, apparaît l’esquisse, encore bien timide, d’une région céphalique ; les éléments sensoriels sont plus nombreux sur la région antérieure du corps ; corrélativement, la partie antérieure du système nerveux se développe, constituant les ganglions cérébroïdes, dont la structuration (cérébralisation) est déjà complexe chez les formes supérieures. Cependant, on ne saurait encore parler de tête, mais seulement d’une « région céphalique », car la bouche reste généralement située au voisinage du milieu de la face ventrale du Ver. Notons, puisqu’il s’agit de Vers plats, que la région antérieure (scolex) des Ténias n’a rien à voir avec une tête : c’est un simple organe de fixation.

Chez les Annélides, la région céphalique (lobe préoral, ou prostomium) ne porte pas la bouche, qui est située immédiatement derrière elle. Cependant, surtout chez les Polychètes, le prostomium est très riche en organes sensoriels divers, et les ganglions cérébroïdes présentent déjà une structuration très complexe.


Organes de capture des proies

Une tête véritable doit non seulement porter des organes sensoriels spécialisés, contenir des centres nerveux bien développés, mais encore, en manière de corollaire, être capable d’appréhender la nourriture de façon active. Ce rôle peut être assuré simplement par des différenciations de la paroi de la cavité buccale (radula des Mollusques par exemple) ; chez les animaux très élevés en organisation, cette fonction est dévolue à des territoires qui ne font pas partie de la tête primitive, mais annexés par elle, devenant partie intégrante de la tête définitive. Cette céphalisation est bien nette chez les Céphalopodes, les Arthropodes et les Vertébrés.

La tête des Céphalopodes, nettement distincte du reste du corps, a capté la majeure partie des territoires primitivement pédieux pour constituer les tentacules. Corrélativement, la garniture sensorielle des territoires annexés s’est considérablement accrue.

Chez les Arthropodes, animaux métamérisés, la céphalisation se traduit par l’annexion des segments antérieurs du tronc primitif, qui constituent alors la quasi-totalité de la tête en s’interpénétrant de façon compliquée et en fusionnant complètement (la région céphalique primordiale, ou acron, correspondant au prostomium annélidien, est pratiquement réduite à un organe sensoriel préoral). Les premiers segments céphalisés passent en avant de la bouche ; leurs appendices deviennent des organes sensoriels (yeux, antennes des Mandibulates), en perdant éventuellement leur aspect appendiculaire (yeux sessiles), et parfois des organes préhensiles (chélicères des Chélicérates). Les appendices des autres segments céphalisés passent au service de la bouche, se modifiant peu chez les Chélicérates (simple apparition de lobes masticateurs), plus profondément chez les Mandibulates, où ils deviennent les pièces buccales : mandibules (md), maxilles (mx1) et labium (mx2) chez les Insectes, md, mx1 et mx2 chez les Crustacés inférieurs, md, mx1, mx2 et maxillipèdes 1, 2 et 3 chez les Crustacés supérieurs. Si, chez certains Crustacés, chez les Insectes et les Myriapodes, la tête est bien séparée du tronc, il n’en va pas toujours ainsi : chez les Chélicérates, par exemple, la région céphalique est intimement unie à la région antérieure du tronc, qui porte pédipalpes et pattes, et l’on observe seulement un céphalothorax, ou prosome.

Les Vertébrés sont aussi des animaux métamérisés (leurs segments sont désignés sous le nom de somites). On peut admettre que la région acronale, quoique complètement englobée par des territoires segmentaires céphalisés, s’est hypertrophiée (elle correspond à la zone embryonnaire insegmentée située en avant du niveau de l’hypophyse et porte les organes olfactifs et visuels) ; une première vague de céphalisation a généralement porté sur huit somites (prémandibulaire, mandibulaire, hyoïdien et cinq branchiaux). Les choses en sont là chez les Cyclostomes (Agnathes). Chez les Poissons et les Amphibiens, une deuxième vague de céphalisation porte sur sept somites ; une troisième ajoute trois somites supplémentaires dans la tête des Amniotes, nettement séparée du tronc par un cou mobile. La bouche, primitivement située entre l’acron et le premier somite, s’est secondairement étendue par incorporation des deux premières fentes viscérales (prémandibulaire et mandibulaire), et c’est le somite mandibulaire qui fournit les mâchoires, instruments de capture de la nourriture.


Domination de la tête sur le reste du corps

Cette céphalisation somatique a pour corollaire une céphalisation nerveuse. On pourrait croire que cette dernière suit la céphalisation somatique. En fait, la plupart du temps, elle la précède. Ainsi, chez les Gastropodes (où la céphalisation somatique est pratiquement nulle), les ganglions cérébroïdes tendent à s’annexer les autres, si bien que, chez les Pulmonés par exemple, tous les ganglions du système nerveux central forment un anneau péristomodéal. Chez les Céphalopodes, notamment les Dibranchiaux, qui, avec les Insectes et les Mammifères, sont les plus perfectionnés des animaux, tous les ganglions sont soudés en une masse compacte, simplement perforée pour le passage du tube digestif et, par surcroît, ornée de circonvolutions que l’on peut rapprocher de celles du cerveau mammalien.

Chez les Arthropodes, le cerveau, suprastomodéal, résulte de la fusion des ganglions des trois premiers segments céphalisés. Il est uni à la masse sous-œsophagienne résultant, chez les Mandibulates, de la fusion des autres métamères céphalisés : ceux des pièces buccales (md, mx1 et mx2, éventuellement maxillipèdes). La céphalisation nerveuse peut être beaucoup plus poussée que la céphalisation somatique : par exemple, la masse sous-œsophagienne s’est annexé chez l’Écrevisse les ganglions des segments des pattes et chez les Araignées, en outre, ceux des segments abdominaux.

L’encéphale des Vertébrés résulte de la coalescence des centres nerveux de la région non segmentaire (prosencéphale) et de ceux des somites céphalisés (mésencéphale et rhombencéphale).