Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

autogestion (suite)

Toutes les cellules de gestion collective en milieu libéral présentent comme point commun une propriété collective des moyens de production, l’ensemble ou une partie du personnel de l’entreprise étant propriétaire du capital social ; cette appropriation peut se faire sous forme de souscription de parts ou au contraire sous forme indivise, l’ensemble du personnel étant alors le propriétaire. Les organes de la gestion collective, malgré des variantes mineures, sont les mêmes d’une expérience à l’autre : une assemblée générale du personnel détient la souveraineté et élit un conseil (législatif), d’où émane un conseil de direction, avec éventuellement un directeur. Cette structuration a été reprise par l’autogestion. Pour ce qui est de la Yougoslavie, les organes exercent grosso modo les mêmes fonctions : l’assemblée générale est appelée le collectif, le conseil législatif conseil ouvrier, l’exécutif comité de direction. Durant toute une première phase, s’étendant à toute la décennie 1950, le directeur de l’entreprise yougoslave était nommé conjointement par le conseil ouvrier et par la commune, organisme le plus décentralisé du plan.

C’est en effet l’existence du plan qui différencie l’autogestion des formes libérales de la gestion collective. En régime socialiste, la propriété des moyens de production est indivise au niveau de toute la nation. En tant qu’organe de la nation, l’État possède donc le contrôle de cette propriété indivise. Il la gère, l’administre, la développe. Le plan national, dans lequel s’expriment les intentions de la nation à l’égard de la propriété sociale, est donc un corollaire nécessaire de la socialisation.

Par rapport aux autres pays socialistes, c’est précisément le rôle du plan qui se trouve modifié par le système d’autogestion. Au lieu d’être centralisé et de fixer d’une façon plus ou moins autoritaire les normes de production, les taux d’accroissement, les biens à acquérir et la force de travail à employer, en régime d’autogestion le plan confère le pouvoir de certaines de ces décisions aux entreprises elles-mêmes. Une certaine décentralisation est donc une condition nécessaire à l’autogestion ; une seconde condition réside dans le fonctionnement effectif des organes de la gestion collective.

Au niveau de l’entreprise, les organes d’autogestion ne sont que les utilisateurs de la propriété sociale, et, dans la version yougoslave, il est expressément stipulé qu’ils doivent se comporter en bons gérants de cette propriété. Le plan leur communique les instructions précises de cette bonne gérance et, en retour, les travailleurs autogestionnaires doivent pouvoir se faire entendre et influencer les organes du plan. D’où un double mouvement de communications de haut en bas et de bas en haut, et, pour véhiculer ces communications, des institutions spécifiques qu’il faut mentionner.

Du haut en bas, la communication se fait par l’intermédiaire des unités administratives (provinces, districts, communes), chacune d’elles administrant une portion de plan correspondant à son territoire. À cet égard, c’est l’unité territoriale la plus décentralisée, la commune, qui offre le plus d’intérêt ; ainsi qu’il a déjà été dit, la commune participait à la nomination des directeurs des entreprises situées sur son territoire. Ceux-ci devaient donc jouir d’une double confiance pour leur nomination : celle des travailleurs de leur entreprise et celle du plan, qui les considérait comme ses représentants dans l’usine, en fait les délégués de la nation, propriétaire des biens de production.

Mais la communication doit remonter, dans la mesure où le principe de la gestion collective déborde l’administration d’une propriété par le personnel de chaque usine, pour embrasser la gestion collective de l’ensemble national des biens de production par l’ensemble de la classe ouvrière. Egalement, dans la mesure où le plan restreint l’autonomie des entreprises, la gestion collective doit pouvoir influencer ce plan. D’où l’élection, par l’ensemble de la population active et à chaque niveau territorial considéré, d’une représentation des travailleurs ; cette représentation des producteurs côtoyant la représentation politique habituelle.

Dans ce double réseau institutionnel de communications, la commune joue un rôle particulièrement important, puisqu’elle est à la fois unité administrative de vie pour une population et organe décentralisé de la planification économique. D’où ses doubles compétences sur le plan municipal (semblables à celles des communes habituelles) et en termes de contrôle de la réalisation du plan dans les entreprises, d’institution de développement et de tutelle des entreprises.

Il est évident qu’un des problèmes centraux du fonctionnement de ce dispositif d’autogestion consiste dans les décisions sur l’autofinancement ou, si l’on veut, sur la destination du profit de l’entreprise. Provenant à la fois d’une organisation du travail dont les organes d’autogestion sont responsables, et de la mise à leur disposition d’un capital fixe appartenant à la nation, selon quelles clefs de répartition ce profit sera-t-il divisé ? De ce point de vue, et pour s’en tenir de nouveau à l’observation, on a pu noter une sorte de mouvement de balancier entre des directives autoritaires de transfert du profit à l’État et, au contraire, une utilisation de ce profit au sein même des entreprises qui le réalisent (à noter, toutefois, que même cette utilisation par l’entreprise peut être soumise à une réglementation). En Yougoslavie, dès l’introduction de l’autogestion en 1948-1950, on dénote de tels mouvements de pendule dessinant des périodes de trois à quatre années d’affirmation du plan, de centralisation, et des périodes de décentralisation, d’autonomie plus forte des entreprises.

L’autonomie de l’entreprise autogérée n’est toutefois jamais totale, et le processus de gestion collective qui s’y déroule n’est jamais comparable à celui de l’expérience de gestion collective en milieu libéral. En d’autres termes, du fait de l’idéologie même du socialisme et de son outil institutionnel, le plan, l’entreprise d’autogestion ne peut connaître que des degrés d’autonomie, mais non l’autonomie entière. Le processus de gestion collective s’y heurte toujours à des limites, aux interférences de la volonté nationale. On comprend dès lors que la revendication continue des conseils ouvriers (qu’ils soient yougoslaves, algériens ou polonais) ait toujours été une plus grande autonomie de décision et une plus grande liberté d’utilisation des profits d’entreprise.