Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Une nouvelle génération d’artistes se révéla à l’occasion de la construction, en 1868, du Théâtre national de Prague. De style néo-Renaissance encore imprégné de romantisme, il eut pour architecte Josef Zítek (1832-1909). Les peintres appelés à le décorer puisèrent dans l’héritage de Mánes ; bustes et statues allégoriques furent demandés à Josef Václav Myslbek (1848-1922), artiste complet, auteur du célèbre monument de saint Venceslas à Prague et fondateur de la sculpture tchèque moderne.


Le xxe siècle

À partir de la fin du xive s., les rapports avec la France furent de nouveau prépondérants. Le peintre, dessinateur et affichiste Alfons Mucha (1860-1939) participa à Paris à l’élaboration de l’Art nouveau, tandis que František Kupka* s’y installait, passant de la tentation symboliste à celle du fauvisme et à celle de l’abstraction. Le plus impressionniste des peintres tchèques fut Antonín Slavíček (1870-1910), qui peignit la campagne de son pays et les recoins pittoresques de Prague. Élève de Myslbek avant d’enseigner à son tour à l’Académie des beaux-arts de Prague, le sculpteur Jan Štursa (1880-1925) donna à ses figures de femme une grâce très vivace. En architecture, Jan Kotěra (1871-1923) fut le premier à rejeter le décor surajouté au profit du rationalisme et de l’expression constructive des matériaux (musée de Hradec Králové).

L’avant-garde tchèque s’exprima au sein du groupe des Huit (Osma, 1906), du groupe des Plasticiens (1911), puis du groupe des Obstinés (Tvrdošíjní, 1918), creusets où se mêlèrent la tradition baroque de l’Europe centrale et l’influence des nouveaux courants français. Ainsi prit forme le « cubo-expressionnisme » du peintre et théoricien Emil Filla (1882-1953), du peintre Bohumil Kubišta (1884-1918), du sculpteur Oto Gutfreund (1889-1927), tendance qui s’étendit à l’architecture et aux arts appliqués avec Josef Gočár (1880-1945), Pavel Janák (1882-1956), Vlatislav Hofman (1884-1964).

Après la Première Guerre mondiale, Josef Gočár succéda à Jan Kotěra dans les remarquables travaux de reconstruction et d’urbanisme de Hradec Králové, s’inspirant notamment du constructivisme hollandais. En 1928, l’exposition de Brno consacrée à la culture contemporaine donna le départ à la nouvelle architecture de béton armé et de verre.

Parmi les nombreux courants de la peinture tchèque d’alors, on peut saisir deux directions essentielles. L’une est représentée par des peintres à vocation visuelle, qui cultivent différentes formes de réalisme postimpressionniste, tels Václav Rabas (1885-1954) et Vojtěch Sedláček (né en 1892), attachés à la vie paysanne. L’autre est celle d’une création imaginative issue de la subjectivité propre à chaque artiste : ainsi du peintre-poète Jan Zrzavý (né en 1890), des surréalistes Jindřich Štýrský (1899-1942) et Toyen (Marie Čermínová, née en 1902), auxquels il faut joindre le sculpteur Vincenc Makovský (1900-1966), et de Joseph Sima (1891-1971), qui a développé en France à partir de 1921 sa vision intimiste d’un univers de plus en plus libéré de toute pesanteur figurative.

En Slovaquie se sont notamment distingués le peintre L’udovit Fulla (né en 1902), qui a réalisé une symbiose d’une grande fraîcheur entre des réminiscences populaires et un langage pictural moderne, et le sculpteur Josef Kostka (né en 1912), dont les portraits et les monuments sont marqués par une forte imagination poétique.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’art d’avant-garde (selon les critères occidentaux), ici fortement marqué de symbolisme et d’expressionnisme, n’a pu s’exprimer qu’un court moment — dans les années 60 — en face du réalisme socialiste.

Traduit d’après M. K.-P.

 Histoire des beaux-arts en Tchécoslovaquie (en tchèque, Prague, 1931). / La Peinture gothique tchèque, 1350-1540 (Artia, Prague, 1960). / J. Koet, la Miniature romane et gothique en Tchécoslovaquie (Flammarion, 1964). / M. Kitson, The Age of Baroque (New York, 1966). / J. Pavel, Histoire de l’art en Tchécoslovaquie (en tchèque, Prague, 1971). / A. Kutal, l’Art gothique tchèque (en tchèque, Prague, 1972).
CATALOGUES D’EXPOSITION. Paris-Prague, 1906-1930, musée national d’Art moderne, Paris (1966). / Dix siècles d’art tchèque et slovaque, Grand Palais, Paris (1975).

Tchekhov (Anton Pavlovitch)

Écrivain russe (Taganrog 1860 - Badenweiler, Allemagne, 1904).



L’homme

La biographie de Tchekhov ? Quelques dates dans un calepin et beaucoup de pages blanches. Il ne se passe rien ou à peu près rien dans la vie de l’écrivain, comme il ne se passe rien ou à peu près rien dans son théâtre. Une enfance triste dans une bourgade reculée, des études de médecine, une impérieuse vocation littéraire, quelques voyages à l’étranger, des séjours en sanatorium, un mariage sur le tard : bref une vie sans histoire, une vie de routine, partagée entre le travail, les factures à régler et les médicaments. « Organisez votre vie de la façon la plus convenue ; plus le fond sera gris et terne, mieux cela vaudra » (Ivanov).

Sur ce fond de grisaille, l’homme souffre continuellement, rongé par un mal inexorable, la tuberculose. Il tousse et crache le sang ; le visage fin et bon, la bouche légèrement moqueuse expriment la mélancolie, et les rides trahissent la crispation de la souffrance. Cette vie ne tient qu’à un fil. Mais chaque instant, si douloureux soit-il, est une victoire sur la maladie. Chaque souffle d’air, le frémissement des feuilles, le bruit des pas sur la neige sont un miracle de la vie. Nul n’a éprouvé aussi bien que Tchekhov la tristesse désespérante de ces mornes journées où la maladie ne laisse pas de répit, la solitude, le dégoût devant la médiocrité du monde, le tragique à la fois social et métaphysique de la condition humaine ; mais nul n’a connu aussi bien que lui le prix de cette succession d’instants arrachés à la mort.

Fut-il heureux ou malheureux cet homme qui déclare que « plus le fond sera gris et terne, mieux cela vaudra » ? La question importe peu. « Seuls les êtres indifférents sont capables de voir les choses clairement, d’être justes et de travailler », répond-il. Tchekhov s’est désintéressé de sa propre histoire. Il a tout sacrifié à son travail, renonçant à vivre pour écrire et, par nécessité, se protégeant contre les dangereux élans de la tendresse. Son bonheur à lui compte peu, comparé à celui de milliers d’hommes que son œuvre — cette œuvre construite avec froideur, certains diront avec cruauté — a pour mission d’éduquer. Il aime trop les êtres pour s’attacher à l’un en particulier, et il a trop conscience de leur besoin de dignité pour ne pas constamment dénoncer leurs illusions.