Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Musique tchèque et musique slovaque

Frères de race et de langue, les peuples tchèque et slovaque ont pourtant connu, jusqu’à leur réunion en république en 1918, des destinées si différentes qu’il est indispensable de séparer leur histoire musicale. Si les Tchèques se sont trouvés très tôt au centre de la culture européenne, les Slovaques, beaucoup moins favorisés, ont été touchés par l’invasion turque, puis rattachés aux destinées de la Hongrie et n’ont pu donner de compositeurs notables qu’au début du xxe s.


La musique tchèque

L’originalité de la musique tchèque provient de la coexistence d’un folklore très riche et original et d’un niveau culturel élevé. Le premier État tchèque, assez éphémère, fut l’empire de Grande-Moravie (ixe-xe s.), évangélisé par les saints Cyrille et Méthode, venus de Byzance. Mais la liturgie glagolitique, en langue slavonne, fut bientôt supplantée par le chant liturgique latin venu de Rome. À l’occasion de l’intronisation du premier évêque de Prague en 973, les nobles chantèrent le Hospodine, pomiluj ny (Seigneur, ayez pitié de nous), premier monument préservé de la musique tchèque. Le second monument est le célèbre Choral de saint Venceslas (fin du xiie s.). Cependant que se développaient mystères et jeux liturgiques, trouvères et Minnesänger introduisaient les formes occidentales de musique savante profane. La musique française, plus particulièrement, exerça son influence avec le séjour à Prague de Guillaume de Machaut.

Une date importante fut celle de 1348, date de la fondation par le roi de Bohême Charles IV de Luxembourg de la plus ancienne université d’Europe centrale à Prague, l’illustre université Caroline. Celle-ci comportant immédiatement une section de théorie musicale, la polyphonie fit de rapides progrès en Bohême, qui produisit alors ses premiers compositeurs autochtones, tel maître Záviš de Zapy. Cependant, à l’aube du xve s., la réforme hussite redonna la prééminence à la monodie sous l’aspect monumental et puissant de ces hymnes de foi et de combat, dont le célèbre Vous qui êtes les combattants de Dieu reste le modèle accompli. La polyphonie s’imposa définitivement au xvie s. grâce à de nombreuses confréries de clercs à base corporative, qui firent connaître le style franco-flamand à la tribune des églises, révélant les chefs-d’œuvre du répertoire international par de véritables concerts. Mais ces confréries donnèrent également l’impulsion à une production nationale marquée par une simplification du style et l’usage de chants populaires en guise de cantus firmus. Cette production nous a été transmise d’abord par de splendides manuscrits enluminés (Cantionnaire de Franus, 1505 ; « Spécial » de Hradec Králové), puis par des recueils imprimés. Vers le milieu du xvie s. s’épanouit une véritable école de polyphonistes tchèques (Jan Trajan Turnovský, Jiří Rychnovský, Jan Campanus Vodňanský, etc.).

Dans les couches modestes, cependant, le chant populaire de tradition hussite se perpétuait par les diverses sectes religieuses, qui, fait unique, coexistaient alors en bonne intelligence. On trouvait ainsi des catholiques romains, des luthériens, des utraquistes (qui donnaient la communion sous les deux espèces), enfin les membres de l’Unité des Frères tchèques, fondée en 1467. Ce furent eux, surtout, qui veillèrent à la publication de recueils de cantiques, ou Cantionnaires, imprimant dès 1501 le premier recueil du genre dans le monde. Durant plus d’un siècle, ces ouvrages se succédèrent (Cantionnaire de Šamotuly [Szamotuły], 1561 ; Cantionnaire de Kralice, 1615), en bonne partie sous l’impulsion de l’éminent évêque de l’Unité des Frères et théoricien Jan Blahoslav (1523-1571). Leur tirage global atteignit cent mille exemplaires, chiffre énorme pour une population de 3 millions, prouvant que la musique était réellement le bien des plus larges masses du peuple.

Cependant, à la cour de Prague, devenue résidence impériale à la fin du xvie s., l’empereur Rodolphe II (1576-1612), grand humaniste et amateur de musique, avait réuni une élite internationale : Philippus de Monte, Karel Luython, Jacques Regnart (Franco-Flamands), Jacobus Gallus (Slovène), Hans Leo Hassler (Allemand) travaillèrent alors à Prague.

Cette floraison connut une fin brutale en 1620, lorsque la bataille de la Montagne Blanche mit fin pour trois longs siècles à l’indépendance nationale tchèque, cependant que les Habsbourg d’Autriche, maîtres du pays, soutinrent les Jésuites dans un mouvement de Contre-Réforme implacable, qui força à l’exil tous les Tchèques protestants (dont beaucoup de nobles) que la répression n’avait pas punis de mort, comme le plus grand compositeur tchèque de l’époque, le grand polyphoniste Kryštof Harant de Polžice et Bezdružice (1564-1621), qui fut décapité. Les Frères, exilés, continuèrent à publier leurs Cantionnaires à l’étranger (grand Cantionnaire d’Amsterdam, 1659, le dernier). En dépit de cette émigration, le pays produisit quelques compositeurs de grande valeur, tels Adam Michna d’Otradovice (1600-1670), auteur d’admirables Messes et Motets de style concertant, parfois curieusement plus proches des maîtres français que de son contemporain Schütz, et Pavel Vejvanovský (1640-1693), auteur d’une remarquable production orchestrale (sonates, sérénades, ballets), qui réserve une part importante aux cuivres.

Nous arrivons ainsi à deux éminents contemporains de J.-S. Bach : Bohuslav Matěj Černohorský (1684-1742), connu en Italie (où il fut le maître de Tartini) sous le nom de Padre Boemo, nous laisse de très belles et audacieuses pièces d’orgue ainsi que des motets polyphoniques avec orchestre témoignant d’une science contrapuntique peu commune. Quant à Jan Dismas Zelenka (1679-1745), attaché à la cour de Dresde et à qui Bach envoyait certains de ses élèves, il fut l’un des plus grands maîtres de son temps, ainsi que la résurrection graduelle de son œuvre (messes, requiems, oratorios, suites et concertos pour orchestre, six admirables sonates en trio) permet de le constater. Le souffle mélodique, l’audace harmonique, la tension polyphonique magistrale de ces ouvrages supportent souvent la comparaison avec Bach lui-même.

La génération suivante fut illustrée par Šimon Brixi (1693-1735), František Václav Míča (1694-1744), pionnier de la forme-sonate et de la symphonie frayant la voie à l’école de Mannheim, Jan Zach (1699-1773), František Tůma (1704-1774) et Josef Norbert Seger (1716-1782). Ces musiciens forment la transition entre le style baroque et le préclassicisme.