autobiographie (suite)
Tout autre est la démarche du xviie s., qui, à l’image de Pascal, proclame que « le moi est haïssable », et redécouvre les vertus d’un art impersonnel qui ne parle « ni des autres, ni de soi-même ». Qu’on ne s’étonne pas de ne rencontrer en ce siècle classique aucun écrivain intimiste : que l’on songe seulement à l’importance du cadre extérieur dans un roman comme la Princesse de Clèves. La personne est ici effacée derrière le type, l’honnête homme apparaît comme modèle, non comme incarnation.
Avec le siècle suivant s’ouvre une nouvelle période dans la manière de situer l’homme : le moi s’affirme d’emblée, récusant toute autre vérité que lui-même. « J’ose croire n’être fait comme aucun autre de ceux qui existent », prétend Rousseau dans les premières lignes des Confessions : et telle est bien cette nouvelle personne engendrée par les philosophes, forte et individualisée dans ce qu’elle croit être son bien le plus précieux et qu’elle traduit par une exaltation du moi que le romantisme exploitera de façon systématique.
« Siècle de dissolution de l’individu », ainsi qu’on a coutume de l’appeler, notre siècle est caractérisé par un renversement radical des valeurs sur lesquelles s’appuyait la culture occidentale. Aujourd’hui, la personne en arrive à douter de sa propre existence : et c’est Proust, dont le je d’À la recherche du temps perdu reste mystérieux parce qu’il se cherche constamment, car, « malgré le nombreux bilan de ses richesses, tantôt les unes, tantôt les autres sont indisponibles ». Ainsi, tant qu’elle demeure vivante, la personne n’a qu’un caractère « fictif ». Elle peut se mirer, éparse, sans espoir d’unité. C’est ce que tentent de montrer les pièces de Pirandello, dont les héros connaissent le secret sans pouvoir l’atteindre, puisqu’il est dans l’âme et que « je ne puis espérer y pénétrer ». Cette situation apparemment sans espoir engendre ce que l’on a qualifié de sentiment de l’absurde* : c’est pourquoi s’est développée une philosophie de l’engagement (Sartre, Camus), qui, refusant les conclusions passives de l’absurde littéraire, tente de se créer par l’action. La personne n’est plus donnée comme préexistante, passive : pour exister, elle doit se nier et s’affirmer tout à la fois, ainsi que l’exprime Sartre : « Je suis ce que je ne suis pas et ne suis pas ce que je suis. »
D. C.
➙ Absurde / Journal intime / Mémoires / Roman.
J. Merlant, De Montaigne à Vauvenargues. Essai sur la vie intérieure et la culture du moi (Soc. fr. d’impr. et de libr., 1914). / J. Prévost, Essai sur l’introspection (Au Sans Pareil, 1927). / P. Trahard, la Vie intérieure (Boivin, 1947). / R. Pascal, Design and Truth in Autobiography (Londres, 1960). / P. Lejeune, l’Autobiographie en France (A. Colin, coll. « U 2 », 1971).