Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

Tchécoslovaquie (suite)

Il reste à libérer la Bohême, où les Allemands ont concentré 900 000 soldats pour en faire un réduit de résistance. Dès avril 1945 s’est formé un Conseil national tchèque (CNR) pour diriger l’insurrection. Le 4 mai, les troupes américaines libèrent la Bohême de l’Ouest, de Karlovy Vary à České Budějovice, mais l’état-major soviétique leur interdit toute nouvelle avance. L’insurrection de Prague éclate le 5 mai. La contre-offensive allemande est affaiblie par la défection de l’armée d’Andreï Andreïevitch Vlassov, qui soutient les insurgés. Le 8 mai, à 16 heures, les troupes allemandes de Prague capitulent après accord avec le CNR. Les troupes soviétiques entrent à Prague le 9 au matin et liquident les dernières résistances. Ainsi, sans destructions importantes, l’ensemble de la Tchécoslovaquie est libéré. Son potentiel économique est intact, son indépendance reconnue, et les conséquences de Munich sont effacées.


La Tchécoslovaquie de 1945 à 1948

De 1945 à 1948, la Tchécoslovaquie apparaît comme un État modèle, une synthèse harmonieuse entre les démocraties occidentales et les régimes socialistes de l’Est. Elle semble avoir réussi à établir une collaboration entre partis communistes et non communistes dans un gouvernement unifié. Jusqu’en février 1948, elle reste une vitrine de la démocratie dans une Europe centrale et orientale progressivement alignée sur un modèle unique de démocratie populaire.

Dans le premier gouvernement constitué à Košice, la présidence revient à Zdeněk Fierlinger, social-démocrate de gauche, proche des communistes. Klement Gottwald* est vice-président du Conseil, et les communistes contrôlent aussi plusieurs ministères clés, comme l’Intérieur, l’Information, l’Agriculture. Le ministère de la Défense est confié au général Svoboda, sans parti, mais dévoué aux intérêts de l’U. R. S. S. Beneš occupe la présidence de la République et retrouve en grande partie sa popularité de l’avant-guerre. Jan Masaryk (1886-1948), le fils du président décédé, sans parti, mais pro-occidental, est ministre des Affaires étrangères.

Le programme de Košice, rendu public le 5 avril 1945, annonce une vaste réorganisation du pays libéré. La politique extérieure prendra pour base l’amitié avec l’Union soviétique et avec les peuples voisins, « sur la base de la fraternité slave ». Les relations avec les alliés occidentaux seront aussi renforcées. Les Allemands et les Hongrois seront soumis à des mesures d’expulsion ; leurs biens et ceux des collaborateurs seront confisqués, ce qui entraînera une réforme agraire et une réorganisation de l’économie. La Slovaquie obtient un statut de nation distincte, et le Conseil national slovaque y exercera des pouvoirs étendus.

L’application de ces mesures intervient rapidement. Dès le 28 octobre, les banques et la plupart des entreprises industrielles, représentant 61 p. 100 de la main-d’œuvre, sont nationalisées. En 1946-47, près de 2,5 millions d’Allemands des Sudètes sont expulsés vers les zones d’occupation américaine et soviétique en Allemagne. La minorité hongroise est traitée avec plus d’indulgence. Une centaine de milliers de Hongrois sont expulsés en 1947, mais il en restera environ 700 000 dans le sud de la Slovaquie. La réforme agraire, sous le contrôle étroit des communistes, redistribue 1,8 million d’hectares.

Les premières élections, en mai 1946, voient un important succès des communistes, qui obtiennent 38 p. 100 des voix et 114 députés au Parlement. Le parti communiste, qui n’avait que 27 000 membres en mai 1945, en compte 1 159 000 en mai 1946. Gottwald devient chef du nouveau gouvernement. Le parti, lors de la libération, s’est assuré une forte implantation dans les municipalités (les comités nationaux locaux) et dans les organisations régionales. Il a placé des hommes de confiance dans tous les ministères, même lorsqu’il ne les contrôlait pas directement. Ainsi, au ministère des Affaires étrangères, Jan Masaryk est soumis au contrôle d’un secrétaire d’État communiste, le Slovaque Vladimir Clementis (1902-1952).

Le parti communiste utilise aussi des organisations parallèles pour encadrer les non-communistes. Il enlève à la social-démocratie la direction des syndicats grâce à la création d’un syndicat unique, le Revolučni odborové hnuti (ROH), tout entier soumis à son influence. Mais il ne réussit pas à prendre le contrôle des organisations paysannes. En 1946, les organisations de jeunesse, surtout les étudiants, tiennent en échec toute tentative d’encadrement. Gottwald, dès la libération, rassure les partis non communistes en affirmant que son objectif n’est pas l’instauration du socialisme, mais une révolution démocratique et nationale. En septembre 1945, après un entretien avec Staline, il se déclare favorable à « une voie spécifique tchécoslovaque vers le socialisme ». Il collabore avec les autres partis dans le cadre du Front national, qui regroupe tous les partis de la résistance, seuls autorisés après 1945.

Le parti social-démocrate retrouve en 1946 le même nombre de voix (15,6 p. 100) qu’en 1935 dans les pays tchèques, mais il perd toute audience en Slovaquie. À l’intérieur du parti, l’aile gauche pro-communiste, avec Fierlinger, s’assure la majorité et la présidence, mais la lutte entre les tendances reste très vive. Le parti socialiste national, présidé par Peter Zenkl, est un parti socialiste, mais non marxiste. Il peut compter sur un solide effectif de 593 000 membres, recrutés surtout parmi les fonctionnaires, les intellectuels et les ouvriers qualifiés. Le parti populiste, dirigé par Mgr Jan Šrámek (1870-1956), est un parti catholique progressiste, implanté dans les campagnes, surtout en Moravie. Enfin, en Slovaquie, le parti démocrate, avec 62 p. 100 des voix, bat nettement les communistes slovaques (30 p. 100 des voix) ; mais il est divisé par des querelles internes entre luthériens et catholiques.

Les partis démocratiques possèdent des atouts sérieux : la présidence de la République — mais Beneš joue de plus en plus à l’arbitre au-dessus des partis et compte avant tout sur la modération des communistes ; l’armée — mais elle ne joue pas de rôle politique, et Svoboda a écarté des postes de commandes les brillants officiers de l’émigration de Londres ; enfin l’organisation de gymnastique, les Sokol, liés aux socialistes nationaux — mais elle n’est pas organisée pour jouer le rôle d’un groupe de pression. Surtout, les partis démocratiques, divisés, évitent d’attaquer le parti communiste : ne sont-ils pas, eux aussi, pour les mesures de nationalisation, pour les liens privilégiés avec l’Union soviétique ? Les décisions politiques sont préparées par des réunions communes du Front national, où les communistes jouent de la solidarité marxiste avec les sociaux-démocrates ou de la mystique de l’unité de la résistance pour imposer un cours qui leur est favorable.