Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Tchécoslovaquie (suite)

Une autre tâche urgente du gouvernement est de remettre en marche l’économie, désorganisée par le morcellement de l’Autriche. Le nouvel État a des atouts considérables : les pays tchèques ont hérité de près de 70 p. 100 du potentiel industriel de l’Autriche. Mais les entreprises manquent de matières premières et de liquidités financières. L’effondrement de la monnaie austro-hongroise, encore en circulation dans tous les États successeurs, oblige la Tchécoslovaquie à s’isoler, dès 1919, par l’estampillage des billets. En même temps, une réforme agraire permet l’expropriation des grands domaines, surtout autrichiens et hongrois ; la « nostrification » de l’industrie permet aux banques tchèques d’acquérir de nouvelles entreprises en même temps que de placer des ingénieurs tchèques aux postes dirigeants de l’économie privée. Mais les déséquilibres régionaux sont considérables entre les pays tchèques, industrialisés, et la Slovaquie, attardée et agricole.

La Constitution de 1920 est largement inspirée par la Constitution française de 1875. À l’image de la France, la nouvelle République est démocratique et laïque. Mais l’évolution constitutionnelle sera différente, car le président de la République, Masaryk, va utiliser largement ses pouvoirs et maintenir un équilibre réel entre l’exécutif et le législatif.


L’évolution sociale et politique de la Ire République (1918-1938)

La prospérité des années 20 permet à l’État tchécoslovaque de s’imposer partout à l’intérieur comme une démocratie modèle, aux réformes sociales avancées, à l’extérieur comme un pays pacifique, attaché au respect des traités, garant de la paix en Europe centrale.


Les structures sociales

La stabilité intérieure de l’État tchécoslovaque vient d’abord de l’équilibre de ses structures sociales.

Il n’existe guère de grande bourgeoisie d’affaires, sauf dans la minorité allemande des Sudètes*. Parmi les Tchèques, il s’agit surtout d’une petite bourgeoisie de service, issue de l’intelligentsia. Elle forme, dans les pays tchèques comme en Slovaquie, une administration efficace, dévouée au nouvel État. Son niveau de vie modeste ne crée pas de déséquilibre choquant avec les masses. Attachée à la culture tchèque, ouverte aux influences occidentales, elle adhère pleinement à la démocratie et reconnaît dans le président Masaryk le représentant de ses idées.

La paysannerie est une grande force sociale, rassemblée dans le parti agrarien. Dans les pays tchèques, une agriculture moderne assure à de moyens propriétaires aisés une existence confortable. Mais la paysannerie est plus pauvre en Slovaquie et surtout en Ruthénie subcarpatique. Un gros effort a été accompli par l’État pour encourager l’instruction, développer les coopératives.

Enfin, la classe ouvrière est nombreuse, bien organisée, surtout dans les pays tchèques. Le parti social-démocrate, déjà très puissant avant 1918, l’a solidement encadrée dans des syndicats qui rassemblent plus de 2,3 millions d’adhérents en 1937. Les revendications des syndicats sont plus économiques que politiques. Par le parti social-démocrate, constamment au pouvoir, les syndicats ont pu faire adopter une législation sociale qui est parmi les plus avancées d’Europe. Ils ne sont guère révolutionnaires. Lorsque se crée le parti communiste tchécoslovaque, tardivement, en mai 1921, celui-ci rassemble 350 000 adhérents. Mais la plupart d’entre eux quittent le parti lorsque le Komintern exige la bolchevisation, et, après le tournant de 1929, les effectifs tombent à 30 000 en 1930. Les syndicats communistes restent à un niveau très modeste et ne parviennent pas à s’implanter dans les grandes entreprises contrôlées par la social-démocratie. Le parti communiste a plus de succès dans les petites usines et dans la population, surtout agricole, des minorités nationales.


L’économie

L’économie est prospère dans les années 20 ; la couronne tchèque a échappé à l’inflation qui a fait rage dans les pays voisins ; la politique de réévaluation de la monnaie, menée en 1922 par le ministre des Finances Alois Rašín (1867-1923), a été abandonnée par ses successeurs, car elle menaçait l’équilibre de l’économie. La Tchécoslovaquie a besoin d’exporter une partie de sa production industrielle vers l’Allemagne et vers les autres États qui formaient l’Autriche-Hongrie, ses anciens clients. Elle a fait appel aux capitaux étrangers pour prendre la place laissée vacante par les Allemands d’Autriche ou du Reich. Si la Grande-Bretagne a le premier rang avec 30,8 p. 100 des emprunts étrangers en 1937, la France s’est assuré la deuxième place avec 21,4 p. 100. Dès 1919, l’Union européenne industrielle et financière, du groupe Schneider, a racheté la majorité des usines Škoda de Plzeň (Pilsen), la plus importante usine d’armements de l’Europe centrale, l’arsenal de la Petite-Entente. En 1920, Schneider a obtenu aussi le contrôle d’une grande société métallurgique de Těšin. Enfin, la Banque des pays de l’Europe centrale a repris l’ancienne filiale de la Länderbank de Vienne sous le nom de Banque du commerce et de l’industrie. Malgré sa faible superficie et sa population de 13,6 millions d’habitants, la Tchécoslovaquie a le potentiel économique d’une puissance industrielle.


Les sources du pouvoir

À qui appartient le pouvoir dans la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres ? Est-ce une période de domination de la bourgeoisie, comme on le prétendra souvent dans l’historiographie tchécoslovaque après 1948 ? En réalité, il existe trois sources de pouvoir.

• Masaryk a fait de la présidence de la République, le « Château » (Hrad), le véritable centre du pouvoir. Il a su utiliser la tradition de l’exécutif fort, héritée de l’Autriche et, substitut de l’ancienne monarchie, concentrer sur sa personne le prestige et l’influence des souverains déchus. Il a créé un réseau d’informations en utilisant les services des anciens de l’organisation de résistance, la maffia. La chancellerie de la présidence, dirigée par Šamal, maintient des contacts étroits avec tous les partis politiques au pouvoir qui ont des groupes dévoués au « Château ». La domination de Masaryk s’étend sans partage sur la politique étrangère, son domaine réservé, qu’il a confiée à son plus proche collaborateur, Edvard Beneš, ministre des Affaires étrangères de 1918 à 1935, avant de lui succéder à la présidence de la République.