Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
T

tapisserie

Pièce de tissu décoratif destinée à être suspendue ou à couvrir un meuble, en principe indivisible et fabriquée sur métier selon une technique spécifique. Dans cette technique, les figures et ornements sont formés uniquement par les fils teintés de trame, entrecroisés, le plus souvent à angle droit, avec les fils de chaîne et tassés de façon à dissimuler ceux-ci.



Historique

Le terme de tapisserie est également appliqué par extension à des travaux à l’aiguille qui ne font pas l’objet du présent article : broderie* et tapisserie au point sur canevas.

L’art de la tapisserie est, comme l’art du tissu, dont il procède, l’un des plus anciens qui aient été pratiqués. Les sépultures de l’Égypte archaïque en ont livré des restes, et les musées européens ont recueilli nombre de pièces coptes*. La Grèce homérique tissait des tapisseries : l’Odyssée nous l’affirme. L’examen des fragments qui subsistent datant de ces âges lointains montre qu’ils ont été tissés à haute lisse, comme l’étaient les tissus orientaux. L’appareil rudimentaire consistait en deux montants portant une traverse à laquelle se fixaient les fils de chaîne, maintenus verticaux par un poids, bientôt remplacé par un rouleau assurant la rigidité de la nappe des chaînes. Placé derrière elle, le praticien attire à lui le nombre de fils pairs ou impairs qu’entourne par une première passée le fil de trame, et fait l’opération contraire pour couvrir la série de retour. La tapisserie n’était d’abord qu’un ouvrage de décoration. Il est remarquable que Rome paraisse l’avoir méconnue : c’est de Byzance que l’Occident médiéval en a reçu les exemples, imités, selon les vieux textes, dans les monastères.

La société féodale, sécularisée, fit usage de la tapisserie en manière de cloison mobile, divisant les vastes salles de ses châteaux et associant ainsi l’utilitaire à l’art. Le Livre des métiers (1268) d’Étienne Boileau enregistre les statuts de la communauté parisienne laïque. C’est un ouvrage parisien, la Présentation au Temple, d’environ 1350, qui est la plus ancienne tapisserie médiévale connue, et que conservent les musées royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles. L’évolution du métier fut rapide. Si la pièce de Bruxelles est presque une grisaille, l’admirable tenture de l’Apocalypse, commencée en 1377 pour le duc Louis Ier d’Anjou, frère de Charles V, est de coloris élevé. Tissée par Nicolas Bataille (entre 1330 et 1340 - v. 1405) sur les modèles peints par Hennequin (ou Jean) de Bruges (Jean Bondolf ou Bandol), ses panneaux subsistants sont exposés au château d’Angers*.

La tapisserie-cloison est conçue pour éveiller la sensation d’une clôture. Elle exclut toute perspective et toute vue des lointains. L’intérêt est répandu sur toute la surface tissée. Le principe de multipolarité est même si impératif que, dans la plupart des œuvres du xve s., les motifs représentés s’enchevêtrent au point de rendre certaines compositions peu lisibles, témoin les deux remarquables pièces qui restent d’une Histoire du fort roy Clovis, conservées à la cathédrale de Reims. Cette formule est d’application générale. Bruges, Tournai*, Arras* la pratiquent comme Paris. Exceptionnelles sont les œuvres dont le décor est centré sur un point préférentiel, comme la Crucifixion d’après Rogier Van der Weyden*, qui est, en fait, un tableau tissé en laine et soie : sans doute fut-ce là une commande particulière ; ses faibles dimensions la destinaient à un oratoire. Van der Weyden, en effet, a composé pour la communauté bruxelloise de nombreux modèles, dont ceux de l’Histoire d’Herkenbald, conservée au Musée historique de Berne et provenant des dépouilles du Téméraire : ces modèles sont conformes à la formule multipolaire. Les Flandres « avantageaient » d’ailleurs les peintres de modèles de certains privilèges, régime que Paris ne paraît pas avoir adopté et qui, sans doute, a déterminé l’unité de style de la production flamande. Toute commande était faite au maître lissier, lequel, interprétant les vœux du client, choisissait un des peintres « avantagés ». Celui-ci fournissait généralement une composition très écrite, mais en grisaille, jetant seulement certaines touches de couleur sur les plages principales. Il appartenait au lissier de travailler sur ce dessein. Il teignait lui-même ses laines, disposant d’une gamme très réduite : le bleu produit par la décoction de la guède, le rouge de garance, solide mais terne, qu’on mélangeait avec le rouge du kermès, insecte vivant sur le chêne, d’où l’on tirait un carmin très frais, le jaune de gaude, enfin les noirs de noix de galle. Les dégradés sont alors obtenus par les hachures, plus ou moins longues et d’un serrage graduel, de la même couleur plus ou moins saturée. Cette technique de la modulation coloristique est la seule qu’ait pratiquée le Moyen Âge ; elle est encore usitée, associée à d’autres moyens.

Ceux-ci consistent en l’emploi de corps de couleur étrangers à la gamme, non complémentaires, destinés à exalter la tonalité locale. Cette innovation est due aux ateliers de Tournai, qui l’ont introduite en les années 1480. Il semble qu’on puisse en faire honneur à Jean (ou Pasquier) Grenier, inventeur d’autre part d’un procédé de « rentrure » des couleurs l’une dans l’autre qu’il fut seul à pratiquer. La pièce de l’Histoire de Pirithoos (tenture d’Hercule) que possède le musée des Gobelins est exécutée de cette manière, qui donne un relief saisissant aux formes traitées. On observe que deux des six pièces de la célèbre Dame à la licorne (musée de Cluny, Paris) sont tissées selon ce procédé, particularité qui autorise à les attribuer à l’atelier de Jean Grenier, encore français à la fin du xve s. Elles sont d’ailleurs exécutées à haute lisse, technique de Paris et Tournai en France, d’Arras et de Bruges en Flandres. C’est au métier horizontal de basse lisse que semble au contraire due la Chasse à la licorne (Cloisters Muséum, New York), tenture admirable tissée dans le dernier quart du xve s., mais qui n’est pas homogène : le Départ pour la chasse et la Licorne captive sont de véritables millefleurs ; dans les cinq autres pièces, étonnantes de vie, les personnages évoluent au cœur de paysages réels, à la végétation opulente et à l’horizon haut, les couleurs sont éclatantes, et le trait de grande qualité. Ici aussi, il semble bien que les cartons soient dus à un artiste parisien, mais l’origine de tissage est difficile à préciser. Tournai, à côté de ses « haute-lissiers », possédait quelques ateliers de basse lisse, mais il s’agit plus probablement de Bruxelles*, que l’on reconnaît dans le traitement des étoffes et dont la production, considérable, était très luxueuse. L’immense tenture de l’Histoire de David et Bethsabée (musée de Cluny) est un autre témoignage de la brillante activité de Bruxelles. Malgré l’accumulation de personnages, l’esprit qui anime la composition est déjà celui de la Renaissance, et l’architecture n’est plus un simple ornement, elle crée l’illusion de l’espace. Les dix pièces ont été tissées vers 1510-1515 ; leurs cartons sont attribués à Jan Van Roome, après l’avoir été à B. Van Orley*.