Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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taoïsme (suite)

• La loi du retour. En dé-définissant l’homme, en bannissant la société surorganisée, Laozi replace l’homme au sein du cosmos où règne le dao. Dans la nature, on peut observer que toutes choses se développent vers le mode yang (masculinité), mode actif et positif qui est éloigné du dao, puis retournent au mode yin (féminité), mode passif et négatif, proche du dao. « Le retour est le mouvement du dao », il faut reconnaître cette loi inéluctable et agir en conséquence. Tout en restant au-dessus de tous les êtres, le dao les engendre et les nourrit. Il faut rester proche du dao pour conserver sa puissance potentielle. Laozi préconise donc l’humilité, la souplesse, la passivité, et fait l’éloge de la féminité.

• Mysticisme de Laozi. Laozi vise une vie authentique, c’est-à-dire une vie à sa source, en communion avec l’univers, avec toutes les choses. Cette philosophie qui essaie de saisir la vie dans son immédiateté, sa totalité et sa profondeur implique une expérience mystique. Rejetant la connaissance discursive, niant l’efficacité du langage, la pensée de Laozi s’exprime au moyen de définitions dé-définissantes, de jugements négatifs, de propositions paradoxales et d’une terminologie qui peut s’interpréter à plusieurs niveaux.


Zhuangzi (Tchouang-tseu*)

Zhuangzi (v. 350 - 275 av. J.-C.) marque une nouvelle étape, après Laozi, dans le développement de la philosophie taoïste. Il mena une vie d’ermite, mais nous ne savons que très peu de chose sur son existence, sinon qu’il était originaire de Meng (Mong), localité située entre les provinces actuelles du Shandong (Chan-tong) et du Henan (Ho-nan), et qu’il occupa un moment un petit emploi au Parc des laquiers.

Le livre qui porte le nom de son auteur est un recueil en prose de 52 chapitres dont 19 sont perdus. Traditionnellement, seuls les sept premiers chapitres sont attribués à Zhuangzi lui-même, le reste étant l’œuvre de ses disciples ou d’autres taoïstes plus tardifs. Le style est d’une envolée lyrique, d’une imagination débordante, d’un ton satirique désinvolte et piquant qui conviennent parfaitement à cet esprit libre, qui se voulait un enfant gai de l’univers.

• Relativité de la connaissance et des opinions. Zhuangzi considère vaines les querelles entre les différentes écoles philosophiques.

Chaque être est une subjectivité. Il ne peut y avoir de vérité purement objective. De même, il ne peut exister de critère du beau ou de règle de conduite valable pour tout le monde. Les êtres diffèrent par leur nature et c’est leur nature qui détermine leur jugement. Cependant, il existe un point de vue supérieur transcendant toutes les subjectivités, celui du dao. Toutes les choses, bien que différentes, viennent du dao, et par conséquent ne font qu’un. Le dao englobe toutes les subjectivités en une grande et unique subjectivité ou unique objectivité, ce qui revient au même.

• Individualité et bonheur relatif. Celui qui accepte les limites de sa subjectivité, et vit selon sa propre nature, est heureux. Il doit seulement veiller au plein et libre exercice de ses aptitudes naturelles pour obtenir le bonheur. Son chemin est individuel. Les critères de conduite dictés de l’extérieur ne peuvent qu’être arbitraires. De même, il est absurde d’imposer sa propre façon de voir aux autres.

La meilleure manière de gouverner est le non-agir (wuwei) ou le non-gouvernement. Plus on gouverne, moins on atteint le résultat désiré. Seul le non-gouvernement peut donner au peuple le vrai bonheur, qui est bonheur ontologique, et l’ordre véritable qui est celui de la nature et de l’univers.

• Inutilité et longévité relative. Une philosophie de l’existence qui refuse la définition de l’homme refuse d’assigner un but à l’existence. L’existence est primaire ; l’homme vit, et ne vit pas pour quelque chose. Il est fondamentalement inutile. Cette inutilité lui donne la possibilité d’échapper à toute emprise de la société et de vivre en toute tranquillité la durée que sa vie naturelle lui permet.

Le sage vit sa propre nature, individuelle et unique. Ses capacités ne répondent à aucune fonction précise ; ses réalisations ne correspondent à aucune norme ; ses bienfaits ne reçoivent aucune récompense et ne lui valent aucun mérite. C’est en vivant cette unicité qu’il obtient le bonheur et la longue vie.

• Bonheur absolu. Liberté absolue. Cependant, Zhuangzi veut aller plus loin. Celui qui vit selon sa nature est heureux, mais ce bonheur est relatif, car il dépend de quelque chose. Le poisson qui vit dans l’étang est heureux, mais il est dépendant de l’eau pour garantir son bonheur. De même que la connaissance du sage est un dépassement de la subjectivité, son bonheur est le dépassement de la dépendance.

L’homme parfait est un avec le dao, donc il est partout, il ne fait rien et il n’y a rien à quoi il ne participe. Autrement dit, il peut tout et il ne dépend de rien. Il est totalement libre et absolument heureux. Zhuangzi nomme cette liberté « non-dépendance » (wudai [wou-tai]).

• Immortalité. Union avec le dao. Le bonheur ne peut être absolu si la mort existe. Ce qu’on nomme longue vie est relatif. La longévité recherchée par l’homme est dérisoire en tant que durée limitée. Le bonheur absolu implique la longévité absolue.

La vie et la mort sont deux aspects d’une même réalité. La mort d’une chose est la naissance d’une autre. La mort n’a de signification que du point de vue d’une subjectivité. Du point de vue du dao, il y a seulement succession des états, ou changements, et métamorphose. Aussi, en adoptant le point de vue du dao, le sage atteint-il le bonheur absolu et en même temps l’immortalité.

• Mysticisme poétique. La connaissance de la non-connaissance mène à l’union de l’individu avec le dao, au bonheur absolu et à l’immortalité. Cette connaissance supérieure n’est pas une connaissance rationnelle, mais une expérience de la vie, ineffable, mystique, d’une parfaite sagesse.

Ayant cette perfection de l’esprit en vue, comme Laozi, Zhuangzi lui aussi nie l’efficacité du langage et de la pensée discursive. Il s’exprime aussi en jugements négatifs et en propositions paradoxales.

Mais son style se caractérise encore par une abondance de métaphores, de paraboles et d’histoires savoureuses. Donnant à ses rêveries d’homme des dimensions cosmiques, il parvient à un lyrisme visionnaire. La philosophie de Laozi est issue de la pensée d’un ermite. La philosophie de Zhuangzi est celle d’un philosophe poète.